Les occupants du théâtre de la Gaîté Lyrique saisissent le Conseil d’État
Alors que les quelque 450 jeunes migrants qui avaient occupé le théâtre de la Gaité Lyrique sont en passe d’être de nouveau expulsés du campement sur l’ile Saint-Louis où ils se sont réfugiés, leurs représentants plaidaient ce vendredi matin devant le Conseil d’état un appel contre l’ordonnance de référé du tribunal administratif de Paris ayant rejeté, le 20 mars dernier, leur demande de suspension de l’arrêté d’expulsion du préfet de police concernant leur présence au théâtre.

Ils sont une petite vingtaine de militants à être venu soutenir, discrètement et sans faire de bruit, le recours devant le Conseil d’état déposé, selon ce qui est inscrit au rôle, par les « Occupants sans droit ni titre de l’immeuble du théâtre de la Gaîté et autres ». Du côté des requérants, deux avocats, Me Samy Djemaoun et Me Florian Bertaux, ainsi que l’un des jeunes de la Gaité. Pour la mairie de Paris en défense, l’avocat au conseil Regis Froger. En face, trois représentants du ministère de l’Intérieur. Les occupants du Théâtre de la Gaité réclament en appel l’annulation de l’ordonnance de référé du tribunal administratif de Paris du 20 mars dernier qui a refusé de suspendre l’arrêté d’expulsion du préfet et de faire droit à leur demande d’examen individuel de la vulnérabilité. Précisons à ce stade que si les médias ont évoqué pendant des semaines des « mineurs isolés », durant toute l’audience, d’un côté comme de l’autre, c’est le mot « jeunes » qui a été utilisé.
Restaurer une occupation sans titre ?
Avant d’aborder le fond, le sous-directeur juridique et contentieux du ministère de l’Intérieur, Charles-Edouard Minet, observe que la suspension d’une décision entièrement exécutée est impossible, dès lors qu’elle aurait pour objet en l’espèce de rétablir une situation antérieure par définition irrégulière. « J’imagine mal qu’on puisse ordonner de restaurer une occupation sans titre » souligne-t-il. « On n’a jamais demandé la réintégration à la Gaîté Lyrique, mais une évaluation individuelle conduisant à un hébergement adapté et un suivi social » réplique Me Samy Djemaoun.
Ce que les requérants reprochent au ministère, c’est d’avoir procédé à l’expulsion des occupants du théâtre alors qu’il aurait fallu examiner la situation de chacun d’entre eux pour les orienter vers des solutions d’accueil et de suivi adaptées. Ce d’autant plus que le ministère savait, en raison des pièces produites lors des recours exercés, qu’au moins 47 étaient en situation de vulnérabilité particulière. En réalité, assurent les requérants, ils ont été expulsés du théâtre de la Gaîté et aucun examen individuel de situation n’a jamais été réalisé.
« Ils ont été très mal conseillés par les collectifs »
« Cette présentation des faits est outrageusement inexacte », réagit Charles-Edouard Minet. Il explique que le dispositif, le jour de l’évacuation, a consisté à aller vers l’ensemble des occupants pour proposer à chacun des solutions. Seuls six ont accepté, alors que 450 places étaient prévues, ce qui aurait permis d’héberger la totalité des occupants. « Ils ont refusé, car ils ont été très mal conseillés par les collectifs, dont le comportement manifestement non coopératif explique l’échec du dispositif » précise-t-il. Il ajoute qu’un tel dispositif excédait les obligations de l’État en la matière, car seuls les mineurs et les personnes en grande vulnérabilité disposent d’un droit opposable à obtenir un hébergement. Il était prévu que les examens de situation individuelle seraient réalisés dans les structures d’hébergement. La cheffe du service de la prévention et des urgences sociales auprès du préfet d’Ile-de-France, Tiphaine Leclere, explique à sa suite que huit SAS (Sas d’accueil temporaire) régionaux avaient été mobilisés et que leur vocation consiste précisément à procéder à l’accueil et à l’évaluation des personnes vulnérables pour leur proposer des places d’hébergement adaptées à leur situation sociale et médicale.
Insultes et accusations de trahison
Me Samy Djemaoun objecte que cette présentation du dispositif ne démontre pas que, concrètement, cette prise en charge a été proposée aux jeunes. Il dit aussi ignorer qui sont les six personnes qui ont accepté l’hébergement et constate, au vu de ce que viennent d’expliquer les représentants du ministère, qu’il appartenait aux jeunes d’aller vers le personnel présent pour réclamer eux-mêmes un examen de leur vulnérabilité. Il dénonce par ailleurs le fait que le préfet ait pris plusieurs OQTF contre des jeunes qui avaient pourtant sur eux des documents indiquant qu’ils avaient une procédure en cours pour faire reconnaître leur minorité. Me Bertaux ajoute que trois d’entre eux sont atteints de la tuberculose. Surtout, les avocats des requérants invoquent un mail d’une cheffe de service d’un SAS qui aurait indiqué que les mineurs qualifiés de majeurs par l’administration ne seraient pas acceptés dans les SAS. Ce qui leur impose soit de se dire majeur pour être hébergés, au risque de ne plus pouvoir espérer plaider devant un juge qu’ils sont mineurs, soit de renoncer à l’hébergement en SAS.
« C’est précisément le public qui peut être accueilli par le SAS, explique le représentant du ministère, dès lors qu’ils sont considérés comme majeurs. Ce qui ne compromet nullement la procédure judiciaire, car le juge est indépendant de l’administration ». À aucun moment, il n’a soutenu que c’était aux jeunes de se présenter aux agents de la préfecture. « Le dispositif consistait à aller vers la totalité des occupants sans titre, les agents ont travaillé durant 4 heures pour tenter de les convaincre » précise-t-il. Ce que confirme la responsable des opérations qui raconte : « nous étions dix professionnels expérimentés, dédiés à ce travail de conviction, mais le public en recours de minorité est difficile en raison des collectifs militants qui interrompent sans cesse les échanges qui peuvent se nouer ». Elle explique que les agents de la Préfecture se sont heurtés à « un rejet de principe sur les places d’hébergements ». Et d’ajouter : « des jeunes fragilisés étaient sur le point d’accepter, mais ils ont été accusés de trahison, et je passe sur les insultes que nous avons subies ! »
« Ils ont gazé, je pensais que j’allais perdre mes yeux »
Le ministère ayant pointé l’obstruction des associations, les requérants dénoncent à leur tour les violences policières constatées par Médecins du monde et qui font l’objet d’un recours devant le Défenseur des droits : intervention violente, matraquage et nasse pendant près de trois heures. L’un des occupants, Felix D., est venu à l’audience. Il raconte que depuis le 10 décembre, date du début de l’occupation du théâtre, la mairie de Paris n’a jamais proposé de solution, pas plus que la préfecture. « Les SAS, ce n’est pas adapté pour nous, explique-t-il, nous avons déposé nos recours à Paris, nos réseaux associatifs et nos rendez-vous médicaux sont à Paris, je me vois mal laisser tout cela pour aller où je ne connais personne ». Il dénonce par ailleurs le fait qu’il y a eu une cinquantaine d’arrestations dont 25 ont débouché sur des OQTF. « L’administration n’a pas fait son travail, estime-t-il, c’est à la Gaîté qu’ils devaient venir nous voir et dire qui était en situation de vulnérabilité ». Il en veut aussi à Léa Filoche, adjointe à la Mairie de Paris en charge des solidarités, « elle nous a adressé un communiqué disant que si la préfecture ne trouvait pas de solutions, elle aurait des places pour nous, et elle n’a pas tenu sa parole ». Felix D. dénonce enfin les violences le jour de l’expulsion. « Ce qui s’est passé le 18 mars, c’était pas normal. À 5 heures du matin, je suis allé négocier pour dire qu’il était inutile de nous violenter, que nous étions tous dehors et que nous n’allions pas résister. À 5 h 40, ils sont entrés, jusqu’à 9h, ils ont gazé. Je pensais que j’allais perdre mes yeux. Si c’est ça une expulsion bien faite, je ne sais pas ce que serait une expulsion mal faite ».
Invité à réagir, le ministère désamorce la portée du mail invoqué : en effet, un SAS ne peut pas accueillir des mineurs isolés, son auteur ne dit rien d’autre, mais encore une fois, on parle de majeurs en recours de minorité. Quant à la peur d’aller en province, elle est compréhensible, mais ce choix appartient à l’administration, on ne peut pas héberger tout le monde à Paris, ce qui impose de répartir les personnes sur le territoire. S’agissant des violences, oui, il y a eu usage de la force pour installer le dispositif et gérer les personnes rétives, mais le représentant du ministère affirme qu’il n’y a pas eu de recours au gaz lacrymogène. Enfin, il propose de verser au dossier le nom des six jeunes qui ont accepté la solution d’hébergement.
Ce ne sera pas la peine, décide la juge des référés Anne Courrèges, qui déclare l’instruction close et annonce qu’elle rendra sa décision « le plus rapidement possible ». L’audience, qui a commencé à 10 h 30 ,s’achève à 12 h 15. En début d’après-midi, un autre recours est prévu, devant le tribunal administratif de Paris, pour obtenir la suspension de l’arrêté d’expulsion visant ces mêmes jeunes désormais réfugiés sous un pont de l’Ile Saint-Louis.
Référence : AJU497789
