Tribunal de Nanterre : « Il dit qu’il a été influencé, mais je vois un certain professionnalisme »
De l’aveu de son avocate, le prévenu est un bien « piètre » voleur. Sans déresponsabiliser son client de ses actes, elle a aussi donné au juge un peu de contexte sur le vécu de cet homme venu de Roumanie et issu de la communauté tsigane, fortement ostracisée dans son pays d’origine.
Une interprète se place à proximité du box, tandis que Monsieur J. est amené par les agents dans la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Elle lui adresse quelques mots en roumain avant que le juge ne commence ses questions. Le prévenu, Monsieur J., n’a pas d’adresse fixe, il a vécu à son arrivée en France dans un campement de Stains. Il comparaît pour plusieurs vols commis entre mai et juin 2024, dont certains sur personne vulnérable. Il reconnaît les faits sans aucune difficulté.
« À part les vols, de quoi vivez-vous ? »
Tous les faits se sont déroulés au sud de Paris sur la ligne 4.
À la station Mairie de Montrouge, une femme a constaté le vol de son portefeuille en sortant du métro après avoir repéré deux individus en train de changer de direction pour la suivre. Ce n’était pas la première fois qu’elle les voyait à cet arrêt de métro. Deux techniciens ont récupéré son portefeuille jeté après le vol.
Même ligne de métro, mais autre mode opératoire : alors qu’il est à la borne pour acheter un ticket, un usager est abordé par un homme qui lui fait remarquer qu’il avait fait tomber un billet de dix euros. Tandis qu’il le ramasse, un autre acolyte en profite pour dérober sa carte bleue sur la borne. Le temps de faire opposition, un retrait de mille euros a déjà été fait. « Vous allez perdre dix euros mais vous en gagnez mille à côté ! », siffle le président, presque admiratif de la combine. La défense souligne que ce n’est pas son client qui a procédé au retrait.
À la station Barbara, un homme transportant une lourde valise emprunte l’escalator, lequel s’arrête brutalement. Un arrêt tout sauf dû au hasard. Un individu lui propose de l’aide pour porter ses bagages. Ce n’est qu’une fois sorti qu’il s’aperçoit que la fermeture de son sac à dos est ouverte et que tandis qu’il reçoit un coup de main, un autre individu le déleste de son portefeuille.
Pour chaque affaire, les images de vidéosurveillance ont montré Monsieur J. et un autre homme à la manœuvre.
– « Pourquoi vous volez ?
– J’ai été influencé.
– Par qui ?
– Avec ceux qui étaient dans le métro avec moi. Ils m’ont dit quoi faire. »
Le juge ne semble pas très réceptif à l’idée que Monsieur J. ait été un simple exécutant. « Ils ne vous tiennent pas la main… si je puis dire. » Le choix de l’expression est tristement ironique, s’il n’est pas carrément indélicat : Monsieur J. a une infirmité impossible à ne pas voir, il lui manque la main gauche. « C’est vous qui faites », se reprend le juge.
« Il s’en prend toujours à la même station de métro ! »
Monsieur J. est arrivé en France depuis plus d’une dizaine d’années. Il est en situation irrégulière, sans titre de séjour. Sa femme, ainsi que leurs trois enfants, sont retournés en Roumanie. Il n’a jamais été scolarisé, n’a jamais travaillé du fait de son handicap.
– « À part les vols, de quoi vivez-vous ?
– De la mendicité.
– Ça rapporte pas beaucoup, ça se saurait…
– Je vis de ça.
– Vous n’avez pas de ressources légales ?
– Non.
– Ça fait longtemps que vous êtes en France, vous parlez bien français.
– Non, je ne parle pas du tout.
– Suffisamment pour qu’une des victimes vous comprenne quand vous lui indiquez qu’elle a perdu un billet de dix euros.
Monsieur J. garde le silence. Le juge rappelle les deux mentions à son casier judiciaire et sa condamnation en 2023 pour des faits similaires à Paris et à Créteil. Que souhaite-t-il pour l’avenir ? Il fait part de son souhait de retourner en Roumanie.
Aucune victime ne s’est portée partie civile, la parole revient donc à la procureure pour son réquisitoire. « Il dit qu’il a été influencé, mais je vois un certain professionnalisme. Il écume les transports en commun en groupe, on a des vols à une minute d’intervalle. C’est un stratagème bien élaboré. Il s’attaque à des personnes âgées, ou bien chargées. » Pour le ministère public, les vols n’ont rien à voir avec de l’opportunisme, mais sont bien « un mode d’action ». Il requiert six mois d’emprisonnement et le maintien en détention, ainsi qu’une interdiction définitive du territoire français. « Son action pollue la vie des usagers des transports parisiens. »
Loin de louer les compétences de son client, l’avocate de Monsieur J. déplore « son piètre talent de voleur » : « Le métro est filmé, il a un moignon qui fait qu’on le reconnaît aussitôt, il s’en prend toujours à la même station de métro ! » Elle tient à nuancer le fait qu’il ne s’en prendrait qu’à des personnes faibles, et rappelle qu’il est aussi le seul dans le box à devoir répondre de ces faits. Son acolyte, Monsieur N. a été relâché par le parquet. Au-delà de la matérialité des faits, l’avocate tient à analyser le contexte de vie du prévenu, ce qui n’a été abordé que très brièvement à l’audience : « La mentalité tsigane est vraiment particulière, c’est une communauté fermée. Lorsqu’ils arrivent en France, ils n’ont pas de volonté de se scolariser, d’aller vers les institutions. Ils s’installent dans des camps. » En prison, il n’a reçu aucune visite, ne parle à personne, n’a reçu aucun coup de téléphone. Son avocate raconte avoir bataillé pour ne serait-ce que lui apporter un sac de linge au bout de trois semaines. Alors quelle peine ? Un sursis mis à l’épreuve ? « Je ne crois pas qu’il travaillera en France… et montrer un billet sur le sol, je n’appelle pas ça des progrès linguistiques, tacle-t-elle. Mon Roumain est bien meilleur. » Non, la seule solution est de repartir en Roumanie, auprès des siens à Ploiești. « Lui aussi souhaite partir. »
Ce que confirme Monsieur J. : « Je suis désolé, je regrette. Je ne veux pas rester en France. » Reconnu coupable sans circonstances aggravantes, il est condamné à six mois d’emprisonnement et au maintien en détention. Il semble sonné mais reste impassible, comme tout au long de l’audience. Il écope également d’une interdiction définitive du territoire français.
Référence : AJU015o6