Les aviseurs fiscaux : le miroir aux alouettes du fisc

Publié le 06/12/2023
Les aviseurs fiscaux : le miroir aux alouettes du fisc
Maria/AdobeStock

Le dispositif des aviseurs fiscaux mis en place en 2017 est régulièrement présenté comme une réussite par les pouvoirs publics. Pourtant, ce dispositif qui tend progressivement à élargir son scope à des fraudes de moins en moins importantes au détriment de notre démocratie est loin d’être aussi performant et satisfaisant qu’on pourrait le croire.

Les aviseurs fiscaux sont des personnes qui fournissent des renseignements relatifs à une fraude fiscale à l’administration fiscale en échange d’une indemnisation en espèce sonnante et trébuchante.

Créé en 2017 et originairement limité aux grandes fraudes fiscales internationales, ce dispositif d’indemnisation a été étendu aux fraudes fiscales supérieures à 100 000 € dès 2020.

De même, initialement temporaire, ce dispositif d’indemnisation devrait être pérennisé dans la future loi de finances pour 2024 à la suite de l’adoption d’un amendement par la procédure de 49-3.

Ainsi, insidieusement et sans que l’on s’en émeuve davantage, un dispositif général de dénonciation de la fraude fiscale est en train d’être gravé dans notre droit positif.

Pourtant ce dispositif est loin d’être exempt de tout reproche, que ce soit sur le plan de son efficacité, de l’aléa de l’indemnisation pour l’aviseur ou encore du sort des aviseurs antérieurs à l’entrée en vigueur du dispositif notamment.

I – Le dispositif actuel d’aviseur fiscal

Introduit par la loi de finances pour 2017, le régime d’indemnisation des aviseurs fiscaux a été codifié à l’article L10-0 AC du Livre des procédures fiscales (LPF).

Ce régime permettait initialement l’indemnisation de renseignements ayant amené à la découverte d’un manquement aux règles de fiscalité internationale (règles de domiciliation des personnes physiques et de territorialité de l’impôt sur les sociétés, non-déductibilité des commissions à l’exportation au profit d’un agent public, dispositifs destinés à lutter contre l’évasion fiscale internationale, obligations de déclaration des avoirs détenus à l’étranger et dans des trusts).

Le champ de cette mesure a ensuite été étendu à la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Puis, à titre expérimental, les manquements à la législation fiscale présentant un enjeu supérieur à 100 000 € ont été ajoutés par la loi de finances pour 2020 (activités occultes, insuffisances de déclaration, règles de facturation, transferts de fonds vers ou en provenance de l’étranger).

La décision d’indemnisation de l’aviseur fiscal est une décision discrétionnaire du directeur général des Finances publiques sur proposition du directeur national des enquêtes fiscales.

Comme cela a été dit en introduction, le dispositif tel qu’il se présente actuellement devrait être pérennisé par la loi de finances pour 2024.

II – Un bilan en trompe-l’œil

Un bilan très positif est mis en avant par les artisans du régime alors qu’il est – en réalité – loin de démontrer une réussite. Il suffit pour cela d’analyser les chiffres liés au nombre de demandes d’indemnisation, du montant des droits recouvrés ou du montant d’indemnisation accordé aux aviseurs.

A – Les demandes d’indemnisation

Entre 2017 et 2021, la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) aurait reçu un total de 317 demandes de personnes souhaitant communiquer des informations relatives à une fraude1. Le nombre de demandes serait en constante évolution, passant de 27 pour la première année (2017) à 56 en 2018, 61 en 2019, 71 en 2020, et finalement 102 en 2021.

Pourtant, pour un total de 317 demandes, il n’est fait état que de 5 indemnisations entre 2017 et 2021 (il y aurait eu 9 indemnisations à fin 20232).

C’est-à-dire que sur l’ensemble des demandes présentées à l’administration, seules 1,58 % des demandes ont donné lieu à indemnisation. Quand on sait que l’indemnisation est généralement le moteur de la demande, c’est peu de dire qu’à ce jeu la plupart des joueurs ont perdu.

Les raisons pour lesquelles des demandes ont été rejetées seraient entre autres des renseignements trop imprécis ou anciens (51 %), des renseignements déjà connus (12 %) ou bien encore en dehors du champ du dispositif (entre 2017 et 2019), soit 37 %.

Derrière ces chiffres, on peut penser qu’il n’y a eu finalement que cinq affaires concluantes entre 2017 et 2021. Ce qui est très modeste par rapport à l’ambition affichée du régime.

B – Montants des recouvrements

Le but de ce dispositif d’aviseurs fiscaux est bien entendu pour l’administration de procéder à des contrôles fiscaux menant à des redressements conséquents pour les finances publiques.

Nous savons qu’entre 2017 et 2021, l’administration a recouvré 110 M€ grâce à ce dispositif. Or une seule affaire a rapporté à elle seule 102 M€. Cette seule affaire (qui se trouve être la première) représente 93 % du total des redressements.

Autant dire que si le nombre d’aviseurs indemnisés nous montre qu’il n’y a eu que cinq affaires concluantes entre 2017 et 2021, on notera que le bilan se dégrade encore d’avantage lorsqu’on observe les montants recouvrés.

Il n’y aura finalement eu qu’une seule affaire qui ait été réellement d’importance sur cette période.

C – Montant d’indemnisation

Contrairement à ce qui était prévu à l’article 109 de la loi de finances pour 2017, les rapports remis par le gouvernement au Parlement ne mentionnent pas le montant des indemnités versées.

Il faut se contenter d’un total d’indemnisations qui atteindrait 1,83 M€ pour les cinq aviseurs sur la période 2017-2021.

Il ne fait pas de doute qu’aucune indemnisation n’a pu dépasser le million d’euros car le montant d’indemnisation était initialement plafonné à 1 M€ (or la plus grosse affaire a pris place à cette période).

Une note du ministre du Budget à l’attention du directeur général des Finances publiques, en date du 11 juin 2020, prévoirait que le montant de l’indemnisation pourrait être porté jusqu’à 15 % des droits recouvrés dans le cas d’affaires d’une grande importance.

Quoi qu’il en soit, en l’état des informations disponibles, il ne semble pas que cette exception ait trouvé à s’appliquer.

Les indemnisations restent donc très peu rémunératrices et n’ont jamais – à notre connaissance – dépassé le million d’euros ; ce qui a d’ailleurs fait dire à la rapporteure du rapport d’information précité que le rendement budgétaire du dispositif était ainsi très avantageux pour les finances publiques. On appréciera l’ironie.

III – L’indemnisation totalement discrétionnaire de l’aviseur fiscal

La décision d’indemnisation d’un aviseur est prise par le directeur général des Finances publiques qui en fixe le montant, sur proposition du directeur de la DNEF, par référence aux montants estimés des impôts éludés et après examen de l’intérêt fiscal pour l’État des informations communiquées et du rôle précis de l’aviseur.

Cette règle fixée à l’article A10-O AC-1 du LPF conduit à donner dans les faits un pouvoir discrétionnaire d’indemnisation à l’administration fiscale.

En effet, aucun barème n’existe en fonction du montant des redressements, comme cela se pratique aux États-Unis par exemple. Il n’y a aucun critère clair permettant de mesurer et d’anticiper le montant d’indemnisation auquel pourrait prétendre un aviseur. Les montants estimés d’impôt éludé, l’intérêt fiscal pour l’État et le rôle précis pour l’aviseur sont des notions floues et non définies.

De plus, aucun enregistrement de l’aviseur n’est établi avec un numéro d’identification comme les aviseurs des douanes peuvent en avoir.

Aucun droit à indemnisation n’est prévu pour l’aviseur fiscal. La décision d’attribution d’une indemnisation étant pour le moment discrétionnaire, elle est insusceptible de recours pour l’aviseur. Il n’est – a priori – pas possible de saisir le juge afin qu’il contrôle le principe de l’indemnisation ou même le montant.

La seule décision favorable que nous ayons obtenue a conduit le juge à enjoindre l’administration à se reprononcer3.

L’ensemble de ces circonstances conduit à donner tout pouvoir à l’administration quant à l’indemnisation d’un aviseur.

Or, au vu des chiffres communiqués, il est flagrant que l’administration n’indemnise que très rarement et très peu les personnes lui communiquant des informations.

IV – Les aviseurs antérieurs à l’entrée en vigueur du régime

Le dispositif des aviseurs fiscaux a été institué à la suite de révélations concernant des affaires de fraude fiscale internationale de grande ampleur. Il est apparu qu’il était important de disposer d’un système pour indemniser les informateurs en matière de fiscalité internationale.

Pourtant, les aviseurs fiscaux qui ont inspiré ce régime se voient refuser une indemnisation par l’administration au motif que les renseignements fournis seraient antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi.

Un arrêt récent de la cour d’appel a d’ailleurs confirmé la position de l’administration en jugeant que les dispositions de la loi ne sauraient avoir pour objet ni pour effet d’imposer l’indemnisation des personnes ayant fourni des renseignements antérieurement à la date fixée par le dispositif (CAA Paris, 27 sept. 2023, n° 22PA04079)4.

Cette jurisprudence nous semble contestable du fait du principe d’application immédiate de la loi nouvelle aux situations en cours.

En application de ce principe, la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 devrait pouvoir s’appliquer aux personnes faisant une demande postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi pour des renseignements fournis antérieurement.

De même, les renseignements mentionnés dans la loi devraient pouvoir consister non seulement en des documents physiques (sur papier, clef USB, etc.) mais également en des informations et des indications données à l’oral à l’administration. Or des indications de cette sorte ont pu être données postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. La problématique sera alors de pouvoir prouver ces échanges oraux devant le juge.

Quoi qu’il en soit, l’administration aurait toutefois pu décider d’indemniser Stéphanie Gibaud dans l’affaire dite UBS pour les renseignements fournis antérieurement à l’entrée en vigueur du dispositif sans que la saisine du juge ne soit nécessaire. Cette attitude est évidemment regrettable et démontre le peu de considération que l’administration peut avoir des aviseurs une fois qu’ils l’ont aidée.

Le traitement de ce dossier par l’administration révèle le manque de cohérence du dispositif. D’un côté, l’administration refuse d’indemniser les personnes ayant notamment permis de recouvrer plusieurs milliards d’euros (comme dans l’affaire de Stéphanie Gibaud) alors qu’elles agissaient dans le seul intérêt général. Et, de l’autre, le dispositif des aviseurs fiscaux s’ouvre progressivement à toutes les fraudes, ce qui pourrait faire exploser le nombre de dénonciations.

V – Autres critiques

Le dispositif – tel qu’il est et tel qu’il sera – est évidemment critiquable à bien d’autres égards.

En ce qui concerne l’objectif initial tout d’abord. Le dispositif devait s’appliquer aux grandes fraudes fiscales internationales. Il ne devait pas permettre les règlements de comptes entre voisins5. Or, force est de constater que le régime s’est ouvert à tous les types de fraudes supérieures à 100 000 € (ce qui est peu en pratique). L’objectif n’est donc plus de lutter contre la grande fraude fiscale internationale mais bien de généraliser un système de dénonciation des fraudes modestes. À cet égard, on pouvait d’ailleurs lire dans la presse : « Il y a deux grandes catégories d’aviseurs fiscaux. Le conjoint avec lequel ça se passe mal. Et le comptable au sens large (…) »6. En favorisant ainsi la dénonciation pour des fraudes mineures, ce dispositif affaiblit notre démocratie.

Dans le même ordre d’idée, le recours à un aviseur devait permettre à l’administration de mieux comprendre les schémas complexes grâce à des personnes placées à l’intérieur des schémas de fraude. Or, toujours d’après les informations recueillies dans la presse, on comprend que dans « deux cas sur trois, les aviseurs ont apporté aux agents de Bercy des listes de résidents français qui possédaient des actifs, ou des comptes, certains anonymes, logés à l’étranger »7. Il s’agit donc de fraudes extrêmement simples qui ont été révélées. Les agents de Bercy n’ont probablement pas appris grand-chose de ces affaires.

Mais ce dispositif présente bien d’autres difficultés qui peuvent être de nature technique. Par exemple, quel est le sort des informations communiquées à l’Administration et qui font l’objet d’un « classement sans suite » selon sa terminologie ? Ne faudrait-il pas prévoir leur destruction ? Que peut en faire l’administration ?

En conclusion, ce dispositif a un goût d’inachevé et d’inabouti. En choisissant de légiférer sur ce sujet, le législateur aurait certainement dû aller jusqu’au bout en prévoyant notamment des garanties pour les aviseurs. Le système actuel est trop imparfait et aurait dû a minima rester cantonné aux fraudes de grande ampleur, ce qui était sa justification.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Rapport d’information n° 4489 du 22 septembre 2021 sur la mise en œuvre des conclusions de la mission d’information relative aux aviseurs fiscaux.
  • 2.
    D’après le rapport d’initiative citoyenne publiée le 15 novembre 2023 par la Cour des comptes, depuis 2021, trois indemnisations supplémentaires ont été accordées, portant le total de la rémunération des aviseurs fiscaux à 3,4 M€ fin 2022.
  • 3.
    TA Montreuil, 7 juill. 2022, n° 2101809, Stéphanie Gibaud.
  • 4.
    Affaire Stéphanie Gibaud.
  • 5.
    AN, compte rendu intégral de la deuxième séance du vendredi 18 novembre 2016.
  • 6.
    « Impôts. Le dispositif des “aviseurs” qui dénoncent les fraudes contre rémunération va être étendu », Ouest-France, 19 oct. 2023.
  • 7.
    « Impôts : “les indics” du fisc pourront dénoncer toutes les fraudes fiscales », Le Parisien, 19 oct. 2023.
Plan