Proposition d’un abattement fiscal stimulant le bénévolat d’utilité publique
Le monde associatif souffre actuellement d’une pénurie grandissante de bénévoles. Cette situation préoccupante frappe le quotidien d’associations locales comme nationales et de secteurs d’intervention divers. La qualité de l’action associative présente sur le territoire national s’en ressent profondément. Les pouvoirs publics doivent prendre des dispositions législatives pour enrayer ce phénomène.
1. Le bénévolat associatif concerne en France un peu plus de 13 millions de personnes1. Parmi celles-ci, 3,5 millions d’entre elles apportent leur aide en donnant de leur temps à des associations caritatives2. La plupart sont des personnes résidentes fiscales françaises. Et pourtant elles n’en retirent aucune récompense mise à part celle d’avoir contribué grandement à mener des actions en faveur d’une noble cause. Cela explique en grande partie les difficultés qu’éprouvent actuellement la plupart des associations pour mobiliser des bénévoles.
2. Pour rappel, en droit français, une association est régie par la loi de 1901 relative au contrat d’association, dite Waldeck-Rousseau3. Toute association se définit comme étant « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations »4. Les associations peuvent ainsi être dotées par leurs membres fondateurs d’objets très divers. Il peut s’agir d’activités sportives, humanitaires, d’organisation de manifestations culturelles ou festives etc. Une association peut être qualifiée de « simple » car étant non déclarée en préfecture. Dans ce cas-là, elle est dépourvue de toute capacité juridique5. En revanche, lorsque l’existence de l’association fait l’objet d’une déclaration en préfecture, celle-ci est dotée d’une pleine capacité juridique, lui permettant d’ester en justice ou encore de disposer d’un patrimoine propre6. On parle alors d’association « déclarée ». Les deux types d’associations restent soumis à un strict contrôle de l’État dont nous ferons le détail en note de bas de page7.
3. Le droit français applicable aux associations ne reconnaît pas le terme « caritatif ». Il lui préfère celui « d’utilité publique ». Effectivement, une association régie par la loi de 1901 peut être reconnue d’utilité publique, par décret en Conseil d’État8. Une telle reconnaissance permet à l’association d’accéder à certains avantages, notamment de nature fiscale pour ses donateurs tel que nous le verrons plus loin9. Pour cela, d’étroites conditions doivent être remplies par l’association qui en fait la demande auprès du ministère de l’Intérieur (bureau des associations et des fondations)10. Seules les associations « déclarées » en préfecture peuvent y prétendre11. L’association doit disposer d’un objet d’intérêt général, avoir une influence et un rayonnement dépassant le cadre local, avoir au minimum 200 adhérents12. L’association doit également fonctionner de manière démocratique et organisée via ses statuts13. Elle doit aussi disposer d’une solidité financière tangible se caractérisant par un montant minimum de ressources annuelles à hauteur de 46 000 €, un montant de subventions publiques inférieur à la moitié de son budget annuel ainsi que les trois derniers résultats positifs14. La reconnaissance d’utilité publique est accordée par décret publié au Journal officiel. Une copie est transmise à l’association par le préfet du département. Une période probatoire de fonctionnement de l’association d’au moins 3 ans après le dépôt de la déclaration initiale de l’association auprès de la préfecture est exigée15. Mais la reconnaissance d’utilité publique peut être retirée à tout moment lorsque l’association ne justifie plus des conditions nécessaires16. Actuellement, cette reconnaissance d’utilité publique bénéficie à 1885 associations17.
4. Nous arrivons donc à nous demander quelle est la cause des difficultés de « recrutement » rencontrées par les associations reconnues d’utilité publique alors même qu’elles offrent une certaine attractivité fiscale qu’une association traditionnelle n’offre pas. C’est tout simplement parce que malgré leur régime fiscal spécifique, rien n’est pensé pour les bénévoles, lesquels sont pourtant les chevilles ouvrières et indispensables de l’association (I). La mise en place d’un abattement fiscal dédié au bénévolat d’utilité publique nous paraît être la réponse la plus appropriée pour enrayer ce désintéressement grandissant et dangereux pour notre société (II).
I – L’absence de récompense fiscale pour le bénévolat d’utilité publique
5. La reconnaissance d’utilité publique permet à une association de faire bénéficier les auteurs de dons et legs à son égard d’avantages fiscaux non négligeables pour son financement. Le Code général des impôts prévoit que les dons et legs des entreprises et des personnes physiques sont exonérés de droits de succession s’ils sont effectués au bénéfice d’associations reconnues d’utilité publique18. Ils ouvrent également droit à différents abattements. Concernant les entreprises individuelles comme les sociétés, la loi leur permet de bénéficier d’une « réduction d’impôt égale à 60 % de leur montant, les versements, pris dans la limite de 5 pour mille du chiffre d’affaires, effectués par les entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés »19. Le mécénat d’entreprise répond lui aussi de cet abattement. Cependant, celui-ci permet de réaliser des dons en numéraire, en nature ou en compétence20.
6. En revanche, les personnes physiques résidentes fiscales françaises peuvent obtenir « une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant, les sommes prises dans la limite de 20 % du revenu imposable qui correspondent à des dons et versements, y compris l’abandon exprès de revenus ou produits »21. Précisons que la cotisation annuelle réclamée par l’association à chacun de ses adhérents correspond fiscalement à un don de ce dernier. Il bénéficie donc de l’abattement fiscal prévu par les textes précités. En revanche, un bénévole qui ne serait pas adhérent ne retire aucun avantage fiscal de sa participation à l’activité de l’association. Lorsque l’adhérent est également bénévole, seule sa cotisation ou son don financier ou matériel lui permettra de bénéficier de l’abattement fiscal prévu, mais pas le don de son temps. Il n’existe pas de don de compétence comme pour le mécénat d’entreprise. Et c’est là que réside tout le problème lié au « recrutement » de bénévoles selon nous.
II – La mise en place d’un abattement fiscal dédié au bénévolat d’utilité publique
7. Le mécénat d’entreprise permet aujourd’hui aux entreprises dotées de faibles moyens financiers de participer à des actions reconnues d’utilité publique. Aussi, la proposition d’un nouvel abattement fiscal dédié aux heures de bénévolat réalisées par des personnes physiques au sein d’associations reconnues d’utilité publique nous semble impérative en droit français. Certes, le rapport Murat de 200522 avait donné lieu à l’adoption de certaines mesures en faveur du monde associatif23. Ce fut notamment le cas avec la validation des acquis de l’expérience bénévole sous certaines conditions24. Mais force est de constater que ces mesures restent insuffisantes. L’abattement proposé pourrait ainsi donner lieu à la modification de l’article 200 bis du Code général des impôts. Un numéro 8 pourrait ainsi fixer notre proposition. Celle-ci consisterait à accorder un abattement fiscal à hauteur de 80 % de la valeur du service horaire effectué par le bénévole d’une association reconnue d’utilité publique. Le service horaire serait évalué grâce à une grille de correspondance élaborée par le législateur. Une seule heure de bénévolat pourrait correspondre à 40 % d’une heure de travail rémunérée au SMIC. Plus le volume horaire de bénévolat effectué augmenterait, plus la rémunération des heures serait revue à la hausse par la grille de correspondance proposée. Ainsi, les vingt premières heures de bénévolat effectuées dans une même année civile donneraient lieu à une rémunération horaire pour chacune d’entre elles à hauteur de 45 % du SMIC. Cela augmenterait de 5 % par tranche de 5 heures effectuées en plus dans la même année, en instaurant toutefois un plafond limite de 75 % du SMIC horaire.
8. Pour que notre proposition soit viable et juridiquement sécurisée, le président de l’association devrait envoyer à l’administration fiscale une déclaration d’heures de bénévolat effectuées par chaque bénévole. Il devrait y indiquer les dates auxquelles ces heures auraient été réalisées, leur volume, et bien entendu l’abattement fiscal auquel elles donneraient droit à leur bénéficiaire. Le formulaire serait fourni à l’association reconnue d’utilité publique par l’administration fiscale à chaque fin d’année civile. L’abattement serait pris en compte pour l’imposition de l’année civile suivant celle au cours de laquelle les heures auraient été réalisées (N+1). Le président de l’association serait tenu de remplir cette déclaration, et il devrait également attester sur son honneur de la véracité des informations fournies. Il pourrait ainsi engager sa responsabilité pénale en cas de fraude avérée de sa part. Il serait remis à chaque bénévole un reçu fiscal reprenant les informations déclarées à l’administration fiscale à son sujet par l’association. Ce reçu devrait être transmis par le bénévole à l’administration fiscale en chaque période annuelle du calcul de l’imposition sur le revenu (au printemps).
9. Il ne fait aucun doute que si de telles propositions venaient à entrer en vigueur, le monde associatif reconnu d’utilité publique verrait son avenir sous un bien meilleur angle. Les bénévoles seraient enfin récompensés pour leurs efforts et le caractère d’utilité publique prendrait ainsi tout son sens.
Notes de bas de pages
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1.
Ministère de l’Éducation nationale, Guide du bénévolat 2018-2019, p. 4.
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2.
Ministère de l’Éducation nationale, Guide du bénévolat 2018-2019, p. 4.
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3.
Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. À cette époque, le président du conseil était également ministre de l’Intérieur et des Cultes. Il s’agissait de Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904). La loi prit son nom puisque c’est lui qui la présenta au vote du Parlement.
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4.
Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, art. 1er.
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5.
Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, art. 2.
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6.
Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, art. 5 et 6.
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7.
Pour les associations « déclarées » : contrôle a posteriori par la vérification de la déclaration en préfecture après dépôt du dossier et une série de contrôles dont celui exercé par la Cour des comptes pour les associations recevant des dons du public ou encore l’obligation de certification des comptes pour toute association recevant plus de 153 000 € de subventions ou plus de 153 000 € de dons. Ces associations sont tenues d’établir une comptabilité annuelle en se conformant aux règles du plan comptable en vigueur et de la publier, laquelle est accompagnée du rapport du commissaire aux comptes, en les déposant sur le site de la direction de l’information légale et administrative. Les associations « simples » et « déclarées » sont soumises, comme toute personne morale, aux lois et règlements en vigueur. Elles peuvent donc faire l’objet de poursuites pénales si certaines de leurs pratiques sont qualifiées d’infractions de telle nature. Leurs dirigeants y restent, eux, aussi soumis.
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8.
Décret du 16 août 1901 pris pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, titre 1er, chap. II, art. 8.
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9.
V. infra, n° 7.
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10.
Précisons que la procédure de reconnaissance d’utilité publique selon la loi 1901, n’est pas applicable dans les trois départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.
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11.
Décret du 16 août 1901 pris pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.
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12.
Réponse ministérielle du 15 juillet 2008 relative à la question n° 16885 portant sur l’utilité publique, l’intérêt général et à leur distinction et aux conséquences juridiques en résultant. Le ministre précise à cette occasion qu’aucun « texte ne définit les critères de l’utilité publique. Seule la pratique administrative, sur le fondement des avis rendus par le Conseil d’État, a permis de dégager un faisceau de critères exigés de l’association qui sollicite cette reconnaissance ».
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13.
Ibid.
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14.
Ibid.
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15.
Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, art. 10, al. 1er et 3. Celui-ci précise que cette période n’est cependant pas exigée lorsque les ressources prévisibles de l’association sur un délai de 3 ans sont de nature à assurer son équilibre financier.
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16.
Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, art. 10, al. 2.
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17.
Chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur. Nous avons ici une pensée toute particulière pour l’association marseillaise « Le blé de l’espérance » qui vient en aide aux enfants malades.
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18.
CGI, art. 788, III ; Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, art. 11, al. 2.
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19.
CGI, art. 238 bis, 1, b.
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20.
BOI-BIC-RICI-20-30-20190807
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21.
CGI, art. 200, 1, a.
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22.
Rapport n° 293 (2004-2005) de M. Bernard Murat, fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 13 avril 2005.
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23.
Loi n° 2006-586 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif du 23 mai 2006, parue au JO n° 121 du 25 mai 2006 (rectificatif paru au JO n° 124 du 30 mai 2006).
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24.
C. trav., art. L. 6411-1 ; C. éduc., art. L. 335-5 et C. éduc., art. L. 335-6 ; V. également : AN-Question 13947 p. 2723.