Confinement : tout en exhortant les Français à ne pas se déplacer, Bercy prévoit une stabilité de ses recettes fiscales sur les carburants
Le gouvernement a fait voter en urgence un projet de loi de finances rectificatives comportant les mesures d’urgences prises afin d’atténuer, autant que possible, le choc économique de la crise sanitaire que traverse actuellement la France. Les prévisions de recettes fiscales des principaux impôts sont révisées à la baisse, à l’exception de la taxe sur les carburants, alors même que les Français sont invités à limiter au maximum leurs déplacements. Cet optimisme mérite quelques éléments d’explication.
La loi n° 2020-289 de finances rectificatives pour 2020 a été promulguée le 23 mars 2020 (L. n° 2020-289, 23 mars 2020). Adoptée à l’unanimité dans l’urgence, cette loi permet de concrétiser les mesures de soutien à l’emploi et aux entreprises annoncées par le président de la République, en vue d’atténuer — autant que faire se peut — l’impact de la crise sanitaire que traverse actuellement la France en raison de la pandémie de Covid-19.
Les moyens déployés sont massifs et les garanties proposées se chiffrent en centaines de milliards d’euros : 45 Mds € de mesures de soutien immédiates ; 300 Mds € de prêts garantis par l’État ; 1 000 milliards de garanties de prêts bancaires par les puissances publiques européennes.
Côté recettes, l’effet ciseaux budgétaire est terrible puisque les services du ministère de l’Économie et des Finances ont d’ores et déjà anticipé que les recettes fiscales seraient au moins inférieures de 11 Mds € à ce qui était initialement prévu. Cette baisse de recettes fiscales concernera les 3 principaux impôts français : la TVA (- 2,2 Mds €), l’impôt sur le revenu (- 1,4 Mds €) et l’impôt sur les sociétés (- 6,6 Mds €).
En revanche, le gouvernement prévoit un maintien de ses recettes fiscales sur les carburants, alors même qu’il exhorte les Français à laisser leur voiture au garage et à rester confinés chez eux.
La contradiction semble tellement flagrante que des explications sont nécessaires.
La taxe sur les carburants
Anciennement désignée sous l’acronyme de TIPP, le principal impôt frappant les carburants, s’appelle désormais la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Ce prélèvement est devenu très célèbre, puisque l’augmentation prévue de ses tarifs a déclenché le mouvement de protestation des gilets jaunes en 2018.
Cette taxe prend la forme d’une accise dont la gestion, le recouvrement et le contrôle relèvent de la compétence, non pas de l’administration fiscale, mais de l’administration des douanes.
La TICPE a pour base imposable plusieurs dizaines de produits énergétiques consommés en France, dont les principaux sont les produits pétroliers (essences, gazole et fioul) et le gaz naturel. Ainsi, un automobiliste faisant le plein de carburant supportera une TICPE d’un montant d’environ 70 centimes d’euros ou de 60 centimes d’euros, selon que sa voiture est dotée d’une motorisation essence ou gazole.
L’objectif de cette taxe est d’augmenter (très fortement) le prix de vente de ressources naturelles dont les réserves sont limitées, afin d’en diminuer la consommation et d’orienter les opérateurs vers des énergies renouvelables bénéficiant généralement de taux réduits ou d’exonérations pour augmenter l’effet incitatif.
Telle est la raison pour laquelle la TICPE est généralement considérée comme une taxe poursuivant une finalité environnementale, dont le verdissement s’est considérablement accéléré en 2014, lorsque le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a décomposé ses tarifs en une part fixe, et une part variable selon les émissions de dioxyde carbone rejetées par le produit concerné. Depuis sa création, le prix de la part carbone n’a cessé d’augmenter, passant de 7 € la tonne en 2014 à 46,6 € la tonne en 2018. Le mouvement des gilets jaunes a mis un coup d’arrêt à cette trajectoire budgétaire (suspendue jusqu’à nouvel ordre).
Pour compenser des tarifs de droit commun élevés, la règlementation prévoit cependant des taux réduits, voire des exonérations en faveur de certaines activités considérées comme énergivores ou particulièrement exposés à la concurrence internationale. L’ensemble du secteur industriel est susceptible d’être concerné.

Des recettes fiscales stables malgré les restrictions de déplacement
La TICPE constitue à elle seule la quatrième recette fiscale de l’État, derrière le trio de tête constitué par la TVA, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés.
Les recettes qu’elle génère ne sont que partiellement affectées aux caisses de l’État, puisqu’elles servent également à alimenter le budget des collectivités territoriales et à financer certains projets liés à la transition environnementale et énergétique.
Pour sa part, le gouvernement estime que ses recettes de taxe sur les carburants seront de 14,5 Mds € en 2020, soit un peu plus que l’année dernière (alors même que les Français sont invités à laisser leurs voitures au garage).
Il existe trois raisons essentielles à cette prévision contre-intuitive.
La première est directement indiquée dans l’exposé des motifs du projet de loi de finances rectificatives, qui précise que « Cette prévision repose sur l’hypothèse que le choc est temporaire et que l’économie connaîtra un rebond une fois les mesures de confinement levées ». Cet optimisme du gouvernement se justifie pour les entreprises (supportant également la TICPE sur leurs achats de produits énergétiques) qui verront, et nous le souhaitons tous, après la crise sanitaire, une intensification de leurs carnets de commandes, mais cet espoir est plus surprenant pour les automobilistes, qui rouleront probablement un peu plus une fois leur liberté retrouvée, mais ne passeront pas pour autant leur temps sur les routes de France.
La deuxième explication est relative à la tuyauterie budgétaire complexe de cette taxe dont une partie des recettes alimente le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » finançant le soutien aux filières des énergies renouvelables (électricité verte et biogaz principalement). Or, la loi de finances de début d’année avait prévu une baisse de dotation de ce compte d’1 Md €, augmentant mécaniquement du même montant les recettes du budget général de l’État.
La dernière raison, d’ordre purement fiscale, fait suite à la suppression progressive du taux réduit de TICPE prévu en faveur du bâtiment et des travaux publics (BTP) sur les carburants consommés par leurs engins de chantiers (tractopelles, grues, bulldozers). Ce coup de rabot sur le gazole non routier (GNR) est censé rapporter 0,2 Md € de plus.