L’accord fiscal des pays du G7 : « un taux d’imposition minimum de 15% et surtout une modification de la localisation de l’assiette imposable »

Publié le 06/07/2021

Les ministres de finances des pays du G7 ont trouvé un accord le 5 juin dernier sur un taux minimum mondial pour l’impôt sur les sociétés. Une étape importante après plusieurs années de débat autour de la fiscalité internationale des multinationales et notamment des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple). Objectif : poursuivre la lutte contre l’évasion fiscale déjà engagée à travers plusieurs conventions et limiter l’optimisation fiscale des entreprises. La prochaine étape est la validation lors du G20, du 7 au 11 juillet 2021, à Venise. Avocat fiscaliste et ancien inspecteur des finances, Patrick Michaud explique les règles en vigueur et décrypte les enjeux autour de cet accord fiscal entre les pays du G7.

Actu-Juridique : Quelles sont les normes fiscales actuellement en vigueur au niveau international pour les entreprises ?

Patrick Michaud : Au niveau international, vous avez trois types de normes fiscales : les conventions fiscales bilatérales, les conventions fiscales internationales et les directives de l’Union européenne. Les conventions fiscales bilatérales sont signées entre deux États. Il y en a 121 actuellement signées par la France. Concernant les conventions fiscales internationales, c’est quelque chose de nouveau. La première de ce type à avoir été signée est la convention de Strasbourg portant assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Elle date de 1988. Elle est appliquée mais difficilement applicable car vous avez de nombreuses exceptions. Ensuite, vous avez la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS pour Base erosion and profit shifting). Ce projet a été lancé par le G20 en 2012 et mis en œuvre par l’OCDE. Il vise à faire échec aux stratégies d’optimisation fiscale mises au point par des cartels d’entreprises pour profiter des niches des conventions fiscales bilatérales. Ce plan avec 15 actions importantes est applicable en France depuis 2018. Enfin, il y a la convention portant échange automatique des renseignements relatifs aux comptes financiers. Cette norme concerne autant les particuliers que les entreprises. Elle est entrée en vigueur en février 2016 et est très appliquée.

AJ : En quoi est-ce nécessaire d’avoir une fiscalité sur les sociétés à l’échelle mondiale ?

P. M. : Le principe était de favoriser l’information par échange de renseignements entre administrations fiscales. Il y a depuis trois ans une énorme modification d’esprit dans les conventions bilatérales. En général, elles étaient signées pour éviter la double imposition internationale. Maintenant, elles sont signées aussi pour prévenir l’évasion fiscale internationale c’est-à-dire pour empêcher notamment la double exonération. Si une société n’est pas imposée dans un État, pour différentes raisons, en principe, la convention ne s’applique pas et la force attractive du droit interne français s’applique.

AJ : Comment les pays du G7 en sont arrivés à se mettre d’accord sur un taux minimum des sociétés au niveau mondial ?

P. M. : Pour imposer aux paradis fiscaux et aux États à faible fiscalité des règles communes, il fallait que les puissances importantes du G7 imposent des décisions. C’est un accord entre 7 ministres des finances d’États importants, qui pourrait obliger les États à faible imposition à se soumettre à une décision internationale. C’est un coup de force. Il devra être entériné d’une part en juillet prochain lors du G20 à Venise et ensuite par les membres de l’OCDE lors de son assemblée générale. Ensuite ce sera un accord multilatéral, qui devra être entériné par chaque État. Autre point, le 23 mars dernier, l’OCDE a rendu un rapport pour organiser la responsabilité des promoteurs de montages fiscaux abusifs. Son idée, c’est d’inciter les États à voter des règles qui entraîneront la responsabilité des intermédiaires fiscaux, qui réalisent des opérations abusives. L’objectif est d’avoir de la transparence puis d’engager la responsabilité en cas de fraude. Les États-Unis ont un régime de bénéfice mondial. Une société américaine est imposée sur l’ensemble des résultats mondiaux mais pas forcément pour ses filiales. Une filiale basée à l’étranger n’est pas imposée aux États-Unis, sauf option d’intégration fiscale. Le régime de bénéfice mondial ne s’applique pas dans tous les cas. L’idée de base est d’éviter les transferts de bénéfices abusifs dans des paradis fiscaux avec une taxe minimum pays par pays.

AJ : Qu’est-ce que l’accord du 5 juin 2021 entre les pays du G7 prévoit concernant la fiscalité internationale ?

P. M. : L’accord fixe un taux minimum de l’impôt sur les sociétés de 15 %, pays par pays car ce n’est pas une imposition globale. Chaque État doit avoir un taux d’imposition sur les sociétés d’au moins 15 %. Maintenant et c’est peut-être le plus important, reste à déterminer l’assiette de l’impôt. Actuellement, on le voit pour les GAFA, elle est établie dans l’État de la facturation. Vous avez par exemple une société basée en Irlande, elle facture des Français, des Allemands, des Américains et les bénéfices tirés sont en Irlande. Dans l’accord entre les pays du G7 conclu le 5 juin 2021, il y a une modification de l’assiette d’imposition des sociétés. Le lieu d’imposition ne sera plus exactement le lieu de la facturation mais sera aussi l’endroit où la marchandise a été consommée, c’est-à-dire le lieu du marché. Il y a donc deux nouveautés : un taux minimum d’impôt sur les sociétés et surtout une modification de la localisation de l’assiette imposable.

mappemonde formée à partir de pièces, image conceptuel de la fiscalité internationale
pogonici / AdobeStock

AJ : Qu’est-ce qui reste à déterminer encore par rapport à l’accord conclu entre les pays du G7 et quelles sont les prochaines étapes ?

P. M. : Le grand problème sera la manière de déterminer la part imposable dans l’État de la facturation et la part imposable dans l’État de la consommation. Ce sera une assiette partagée entre le lieu de facturation et le lieu de consommation. C’est un problème technique et je suppose qu’il y aura une ventilation forfaitaire. Il y a un autre problème dont on ne parle pas concernant les régimes sociaux. Il n’y a aucun contrôle, aucune lutte contre l’évasion sociale. Exemple avec des entreprises françaises qui utilisent des travailleurs immigrés, qui les payent dans leur pays car les charges sont moins chères. Le régime des cotisations sociales qui représentent 500 milliards d’euros n’est absolument pas contrôlé. Après, cet accord est déjà une avancée. Il y a un consensus entre les États pour lutter contre l’évasion fiscale internationale. La prochaine étape c’est la validation lors du G20 en juillet (du 7 au 11 juillet 2021) à Venise et ensuite par les membres de l’OCDE lors de son assemblée générale. Puis ce sera un accord multilatéral, qui devra être entériné par chaque État.

AJ : Quelle réaction peut-on attendre de la part de certains pays face à cet accord ?

P. M. : Avec cet accord, chaque État conserve son autonomie d’application et d’interprétation. Selon moi, la grande difficulté provient de l’Union européenne car pour modifier les règles de fiscalité, il faut l’unanimité des membres. Il y a des pays comme le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande qui ne sont pas d’accord. Mais il y a une forte probabilité pour qu’il y ait des mesures de rétorsion. Si un État refuse d’appliquer les futures règles de l’OCDE, il sera considéré comme un paradis ou un abri fiscal. Il sera donc mis hors-jeu de la communauté internationale.

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