Droit au cumul de congés payés pendant un arrêt maladie : l’alignement avec la jurisprudence européenne qui pourrait coûter cher aux employeurs français

Publié le 06/11/2023

Par une série d’arrêts du 13 septembre 2023 ayant déjà fait grand bruit, et après des années de résistance du législateur français, la Cour de cassation décide de s’aligner sur la jurisprudence européenne : le salarié en arrêt pour maladie simple ne doit pas voir le calcul de ses droits à congés payés impacté par son absence.

Quelle était la situation avant ces décisions ?

L’article L. 3141-3 du Code du travail dans sa rédaction actuelle dispose que « le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur ».

L’article L. 3141-5 du Code du travail venant préciser que sont considérées comme des périodes de travail effectif pour le calcul des droits à congés payés « les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ».

Par conséquent, il convenait de distinguer :

• les salariés en arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle qui continuaient à cumuler des congés payés pendant leur absence, dans la limite d’une année ;

• les salariés en arrêt pour maladie simple qui ne cumulaient pas de congés payés pendant leur absence.

Or, selon le droit de l’Union européenne, un salarié en arrêt maladie, qu’elle qu’en soit l’origine, doit pouvoir cumuler des congés payés pendant son absence.

Ce principe est issu des dispositions de la directive n° 2003/88/CE interprété par la Cour de justice de l’Union européenne et est surtout consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui prévoit que « tout travailleur a droit à (…) une période annuelle de congés payés ».

Malgré plusieurs sanctions de la France par la CJUE sur ce point, le législateur français continuait de résister et de ne pas se conformer à ces textes européens.

Que changent les décisions de la Cour de cassation ?

Les décisions du 13 septembre 2023 constituent un important bouleversement de la logique française, en ce qu’elles viennent écarter partiellement les dispositions des articles L. 3141-3 et suivants du Code du travail.

Ainsi disparaissent :

• la distinction entre maladie simple et maladie professionnelle : tous les salariés en arrêt maladie, quelle que soit l’origine de cette dernière, doivent continuer à acquérir des congés payés ;

• la limitation d’une année prévue par l’article L. 3141-5 et pendant laquelle un salarié en maladie professionnelle pouvait cumuler des congés payés.

Un autre apport de ces décisions est passé plus inaperçu : la Cour de cassation décide que lorsque le salarié se trouve dans l’impossibilité de prendre ses congés payés en raison de l’exercice de son droit à congé parental, les congés payés acquis à la date de prise de ce congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail. Le législateur était déjà venu rectifier ce point depuis le 11 mars 20231, mais par cette décision la Cour de cassation vient faire bénéficier de ce droit les salariés ayant été lésés avant le 11 mars 2023.

Concrètement, que doivent faire les employeurs pour se conformer à ces décisions ?

Les employeurs devraient donc en principe dès à présent ne plus arrêter les compteurs de congés payés des salariés en maladie simple ou en maladie professionnelle depuis plus d’un an et créditer ces compteurs comme si le salarié travaillait de façon effective.

Il est conseillé de régulariser la situation pour la période d’acquisition de congés payés en cours.

Il est précisé que dans la mesure où le salarié en arrêt maladie ne peut pas prendre ses congés payés du fait de son état de santé et de ses arrêts maladie, les congés ainsi acquis pourront se cumuler sur plusieurs années, et ne pourront pas être considérés comme perdus à l’échéance de la période annuelle de prise des congés payés comme c’est le cas pour les salariés travaillant effectivement.

Se pose toutefois la question de la régularisation des années d’acquisitions précédentes.

Ces décisions ont-elles un effet rétroactif et valent-elles pour le passé ?

Par principe, et malgré l’insécurité juridique que cela peut parfois créer, la jurisprudence a un caractère rétroactif.

Il convient donc de considérer que ce revirement vaut pour le passé, ce qui emporte les conséquences suivantes :

• le droit pour des salariés en arrêt maladie avant ces décisions de solliciter de l’employeur une régularisation de leur compteur de congés payés ;

• l’obligation pour l’employeur de régulariser les situations passées pendant lesquelles le salarié en arrêt maladie ne s’est pas vu créditer des congés payés.

En pratique, il semble toutefois préférable pour l’employeur de ne pas régulariser d’office les situations et d’attendre une réclamation au cas par cas des salariés sur ce point.

Et cela d’autant plus compte tenu des incertitudes liées à la durée sur laquelle doit porter une telle régularisation.

Sur quelle durée les demandes de rappels de congés payés peuvent-elles intervenir, notamment concernant les salariés en arrêt de longue durée ?

Les arrêts du 13 septembre, s’ils sont clairs quant à leur principe, laissent toutefois beaucoup de questions en suspens concernant leur application pratique. La principale de ces questions étant celle de la prescription.

Il est rappelé qu’en matière d’indemnité de congés payés, la prescription est de trois ans, conformément à l’article D. 3141-7 du Code du travail. Ainsi, selon ce texte et l’article L. 3245-1 auquel il renvoie, l’action en paiement de salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Sur ce fondement, la Cour de cassation avait décidé à plusieurs reprises que le point de départ de la prescription de trois ans concernant les congés payés devait débuter à l’expiration de la période pendant laquelle les congés payés auraient dû être pris2.

Il aurait donc été aisé de penser que les demandes de régularisation de congés payés par les salariés ne pourraient concerner que les trois dernières années.

Toutefois, sur cette question la Cour de cassation vient également s’aligner sur la jurisprudence européenne qui décide que la perte du droit au congé payé ne peut intervenir qu’à la condition que l’employeur ait mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit en temps utile3.

Ainsi, la Cour de cassation décide que la prescription triennale ne peut commencer à courir que si l’employeur apporte la preuve qu’il a mis le salarié en mesure de pouvoir prendre de façon effective ses congés payés.

Cette décision interroge le cas de salariés en arrêt de longue durée, puisque dans une telle situation l’employeur est lui-même dans l’impossibilité de permettre au salarié de prendre ses congés.

Dans l’arrêt du 13 septembre, la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la cour d’appel qui avait limité les rappels de congés payés à trois ans à une salariée ayant été en arrêt de travail pendant dix années, laissant entendre que cette dernière aurait dû percevoir un rappel de dix années de congés payés puisqu’elle n’aurait pas été en mesure de les prendre du fait de son arrêt maladie.

Pour les entreprises, les impacts financiers de ces décisions pourraient donc dans certains cas être très importants.

Quel est l’impact financier de ce revirement pour les entreprises ?

Il convient de relativiser ces décisions en rappelant que les droits à congés payés des salariés sont de 2,5 jours par mois, ce qui ne représente finalement qu’un mois de salaire à devoir payer au salarié pour une année entière d’absence pour arrêt maladie.

Toutefois, dans certaines situations, ce revirement pourrait coûter cher à certains employeurs, notamment pour les entreprises enregistrant un nombre important d’arrêts maladie ou pour les cas de longues maladies compte tenu de l’incertitude quant à la période sur laquelle le salarié peut solliciter une régularisation.

Qu’est-ce que cela doit changer dans la pratique des entreprises sur la gestion des arrêts maladie ?

Jusqu’alors, à la suite d’arrêts maladie de plusieurs mois voire années pour lesquels plus aucun maintien de salaire n’était prévu de la part de l’entreprise, beaucoup d’employeurs laissaient courir des arrêts maladie de longue date compte tenu de leur absence de conséquence financière.

Les enjeux sont désormais différents puisqu’en cas de rupture du contrat avec une longue absence pour maladie, l’employeur devra verser au titre du solde de tout compte du salarié une importante indemnité de congés payés.

Il est donc conseillé aux employeurs d’être vigilants quant aux arrêts maladies de longue durée et de solliciter des contrôles réguliers tant du médecin du travail que d’un médecin contrôleur qui pourront apprécier si l’arrêt est justifié ou non.

Il est d’ailleurs précisé que le gouvernement, pour lutter contre les arrêts de travail injustifiés, a inséré au projet de loi de financement de la sécurité sociale un article 27 qui pourrait prévoir la suspension automatique des indemnités de sécurité sociale en cas de rapport du médecin contrôleur mandaté par l’employeur qui conclurait au caractère injustifié de l’arrêt.

Le législateur va-t-il intervenir à la suite de ce revirement ?

Après ces décisions, leurs impacts financiers et les incertitudes qu’elles génèrent, il est évidemment indispensable que le législateur intervienne pour se mettre en conformité avec la législation européenne, mais surtout pour fixer les conséquences de ces nouvelles règles en matière de prescription notamment.

Sur ce point, le ministre du Travail a récemment indiqué qu’il étudiait la question. Il convient donc de suivre de près ce sujet dans l’attente de régulariser les éventuelles réclamations des salariés.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2023-171, 9 mars 2023.
  • 2.
    Par exemple, pour des congés n’ayant pas été crédités par l’employeur en janvier 2022, et qui auraient pu être pris entre juin 2022 et mai 2023, la prescription de trois ans court à compter du 31 mai 2023 soit jusqu’au 31 mai 2026.
  • 3.
    CJUE, 22 sept. 2022, n° C-120/21.
Plan
X