Augmentation des injustices pour 71 % des Français : les avocats s’engagent pour trouver des solutions

Publié le 26/08/2021

Le Conseil national des barreaux (CNB) a décidé de s’engager face à l’augmentation des injustices ressentie par les Français. Sous l’impulsion de son président Jérôme Gavaudan, le travail a commencé au mois de février 2021. Le projet est baptisé « In/Justice » avec comme objectif d’être source de propositions dans le cadre de l’élection présidentielle de 2022. Dans ce cadre-là, le CNB a commandé un sondage à l’institut IFOP. Les résultats ont été diffusés début juillet. Principal enseignement : 71 % des Français ont le sentiment que les injustices ont augmenté. Le domaine de la justice est le davantage concerné par ce phénomène. L’analyse et les explications de Sophie Ferry, avocate et présidente de la commission « prospective » au Conseil national des barreaux. Cette commission travaille notamment sur l’avenir de la profession d’avocat.

Actu-Juridique : Globalement, quels enseignements pouvez-vous tirer du sondage indiquant que 71 % des Français ressentent une augmentation de l’injustice ?

Sophie Ferry : C’est un constat très fort. Ce ressenti sur les injustices augmente en France. C’est donc à la fois personnel et collectif. Tout le monde est concerné par les injustices. C’est ce qui est très frappant. Ce phénomène est absolument transversal. Il y a des variations assez faibles selon les catégories socio-professionnelles. C’est autant les hommes que les femmes.

Pour 67 % des Français ne pas pouvoir manger à sa faim et nourrir convenablement ses enfants est l’injustice la plus insupportable

Ensuite, l’injustice est difficilement objectivable. C’est nécessaire de pousser l’analyse à travers des questions plus précises. Les concitoyens, entendus dans ce sondage, ont précisé les situations d’injustice. Ils sont 67 % à considérer le fait de ne pas pouvoir manger à sa faim et nourrir convenablement ses enfants comme l’injustice la plus insupportable. C’est la base de la pyramide des besoins de Maslow. Puis, constat très frappant, les discriminations sont des injustices insupportables pour 52 % des personnes sondées. L’insécurité dans l’environnement quotidien atteint 45 %.

AJ : Qu’est-ce que ce phénomène signifie, selon vous ?

 S. F. : En face de ce sentiment d’injustice, je mets clairement le besoin de justice. Il faut apporter des réponses à ce besoin. Quand nous avons vu les résultats de ce sondage, nous nous sommes demandés en quoi la profession d’avocat est-elle concernée et comment pourrait-elle remédier à cette problématique.

Prenons par exemple les discriminations. Quand on est discriminé, il faut une institution, un pouvoir qui vienne indiquer que ce n’est pas admissible. Cette réponse peut être donnée par plusieurs voies : la justice, une procédure avec un avocat, un positionnement clair des pouvoirs publics en indiquant que la discrimination n’est pas acceptable dans notre société. Il ne faut pas uniquement des déclarations. Il faut aussi des actes.

Par exemple, quelqu’un va déposer plainte car il est victime de discrimination. S’il n’a pas de réponse à sa plainte. S’il n’a pas d’avocat qui l’écoute, qui l’aide à rédiger un courrier ou à faire une médiation pénale. Sans réponse du pouvoir régalien, au niveau de l’État, le sentiment d’injustice continue. Il a été victime d’une discrimination, elle a été dénoncée mais il n’y a pas eu de réponse. C’est exactement le même phénomène pour l’insécurité au quotidien. La réponse peut être plurielle. Il n’y a pas que le canal contentieux.

AJ : Quels pourraient être les facteurs explicatifs de ce sentiment d’injustice ?  

S. F. : J’ai été assez frappée de voir que les injustices étaient invoquées d’abord dans le quotidien des Français. Ce n’est pas conceptuel. Ce sont des injustices décrites très concrètement. S’agissant de la discrimination, il peut y avoir une corrélation avec la montée en puissance de l’individualité : dans notre société, l’individu a une importance majeure. Il a besoin d’être respecté, dans toutes ses composantes. Toute agression envers une de ces composantes est ressentie de façon extrêmement forte. D’où les 52 % de Français qui ressentent les discriminations comme les injustices les plus insupportables.

Augmentation des injustices pour 71 % des Français : les avocats s’engagent pour trouver des solutions
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AJ : Ce sentiment d’injustice est-il lié aux inégalités présentes en France ?

S. F. : Oui et non ! L’inégalité est quelque chose d’assez objectivable. Nous sommes sur la base d’une situation objective. L’injustice est un ressenti qui est beaucoup plus large. Nous n’avions jamais fait de sondage sur le sentiment d’injustice. Nous en avions faits sur l’inégalité. Après, tout le monde est touché par l’injustice, mais les territoires ne sont pas tous touchés de la même façon. Il y a des sentiments d’injustice plus marqués sur le sentiment du recul des libertés et des droits fondamentaux. Les chiffres sont importants en Outre-mer (84 %), en Bretagne (83 %), dans le Grand Est (82 %).

AJ : Le sondage montre aussi que 52 % des Français accordent leur confiance aux avocats pour réduire les injustices. Mais en même temps, ils sont 37 % à considérer que la justice puisse réduire les injustices. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

S. F. : Il y a un élément marquant sur ce point. Nous avons 44 % des Français qui considèrent que le domaine dans lequel il y a le plus d’injustice, c’est la justice. C’est devant les impôts et les taxes (42 %), le monde du travail et l’entreprise (39 %), l’accès au logement (35 %) et l’accès aux soins et à la santé (34 %). Il y a donc un besoin de justice. C’est ciblé par les Français comme le secteur où il y a le plus d’injustices.

« 44 % des Français considèrent que le domaine dans lequel il y a le plus d’injustice, c’est la justice »

Quand nous regardons les problématiques liées à la justice et dénoncées par les Français, ce qui freine l’accès à la justice, ce sont les délais à 53 %, notamment pour les décisions rendues. Ce phénomène peut créer une injustice forte. Quand vous perdez votre travail de façon injuste, vous demandez à obtenir des dommages et intérêts dont vous avez absolument besoin, vous allez avoir une réponse dans un délais de deux à trois ans. C’est très long pour un particulier. Je ne parle pas des problématiques familiales comme les divorces. Les difficultés sont aiguës et immédiates. C’est variable en fonction des territoires. 27 % des Français interrogés considèrent aussi que le coût de la justice est trop important. 16 % indiquent qu’ils manquent d’accès aux informations juridiques.

Par rapport aux 52 % de Français qui accordent leur confiance aux avocats, l’une des raisons c’est notre rôle dans l’explication du droit. Nous n’avons pas forcément besoin d’une procédure judiciaire pour intervenir. L’avocat peut trouver une solution de médiation ou de conciliation. Il peut aussi éclairer une personne sur ses droits.

AJ : Qu’est-ce que le Conseil national des barreaux va engager face à ce sentiment d’injustice ?

S. F. : Nous allons véritablement réaliser un état des lieux. Nous sommes partis avec cette conviction : nous sommes un des premiers acteurs à être au contact avec l’injustice. C’est le cœur de notre profession. Les personnes, qui viennent nous voir, sont victimes d’une injustice. Face à cette situation, ils cherchent une réponse auprès de nous. Nous sommes donc un capteur de la société civile.

Dans le cadre du débat démocratique de l’élection présidentielle de 2022, nous souhaitons pouvoir porter ce que nous savons, auprès des pouvoirs publics. Nous considérons que nous pouvons porter la voix de nos concitoyens. Nous pouvons aussi proposer des réponses portées par la société civile et par l’institution judiciaire.

Nous avons donc réalisé ce sondage IFOP à propos du regard des Français sur les injustices. Ce sondage va être analysé. Une phase de diagnostic est en cours jusqu’en septembre. Nous allons rencontrer d’autres acteurs de la société civile, qui s’inscrivent dans la lutte au quotidien contre les injustices. C’est le cas des associations, des représentants du travail employeurs et salariés, des acteurs du numérique et de l’écologie et les institutionnels territoriaux. Puis, nous réaliserons ensuite un compte-rendu des propositions retenues pour lutter contre les injustices. Nous souhaitons être force d’actions et de solutions.

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