Justice financière : Paris se rêve place de droit sur fond de Brexit

Publié le 01/06/2017

Le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) a remis, le 3 mai dernier, son rapport sur les implications du Brexit sur la coopération judiciaire à l’ancien garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas. L’ambition ? Attirer le contentieux londonien de la finance à Paris.

Le Haut comité juridique de la place financière de Paris (lire infra p. 2 l’encadré) est persuadé que Paris peut devenir, à la faveur du Brexit, une concurrente sérieuse de Londres en matière de traitement du contentieux financier et commercial international. Il en a si bien convaincu l’ancien garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, que ce dernier lui a demandé, par lettre du 7 mars 2017, de mener une mission de préfiguration afin de formuler, avant le 1er mai 2017, « toutes préconisations permettant la mise en place rapide, dans des juridictions spécialement désignées, de formations de jugement aptes à connaître de contentieux techniques, à appliquer des règles de droit étranger et à conduire les procédures dans les conditions, notamment linguistiques, les plus efficaces, dans le but de permettre, en cas de litige, aux opérateurs économiques de s’adresser, en France, à des juridictions capables de juger aisément dans le droit qu’elles auraient choisi et dans la langue de leurs relations d’affaires ». Ce rapport lui a été remis quelques jours avant son départ de la Place Vendôme1.

L’opportunité du Brexit

L’idée est née des réflexions menées fin 2016 par un groupe de travail du HCJP sur le Brexit, piloté par Michel Prada. Le constat est simple : la juridiction commerciale londonienne tire son attractivité non seulement de sa compétence, notamment en matière financière, mais également de son accès à l’espace judiciaire commun mis en place par l’Union européenne « qui lui procure la sécurité juridique d’un régime qui clarifie les règles de compétence judiciaire, détermine les règles applicables par les juridictions et facilite la circulation des jugements entre les États membres de l’UE ». Or, en sortant de l’Union, et sauf négociation de nouvelles règles, le Royaume-Uni va perdre cet avantage. Ses décisions de justice devront donc, pour être exécutées dans les divers États membres, se soumettre aux régimes d’exequatur en vigueur dans chacun de ces États. Des lenteurs et des complexités peu en phase avec les exigences du commerce international et moins encore de la finance. C’est précisément là que Paris a une place à prendre dans quatre grands domaines : les contrats financiers (type ISDA), les contrats de transport international de marchandises, la propriété intellectuelle et l’arbitrage international. L’Allemagne et les Pays-Bas ont déjà aperçu l’opportunité et se préparent à relever le défi. C’est ainsi, par exemple, qu’en Allemagne, une expérience a été menée à la cour d’appel de Cologne et dans trois tribunaux de son ressort permettant de plaider en anglais. Par ailleurs, une proposition de loi a été rédigée en 2014 pour créer des chambres spécialisées en droit international des affaires, elle n’est cependant pas encore inscrite à l’ordre du jour. De même, aux Pays-Bas, un programme pilote a été lancé au tribunal de Rotterdam en janvier 2016 visant à permettre l’utilisation de l’anglais pour les débats judiciaires dans les dossiers à forte dominante internationale. Les pièces de procédure peuvent être échangées en anglais, et l’anglais peut être la langue employée aux audiences et pour les correspondances. Cette expérimentation est prévue pour durer 18 mois. Dans ce contexte, la France a une carte à jouer, à condition de procéder à quelques adaptations de son système judiciaire.

Quarante et une propositions

C’est dans cet objectif que le rapport remis à l’ancien garde des Sceaux le 3 mai formule 41 propositions. L’idée force consiste à prévoir, aux différents degrés de juridiction, l’attribution à une chambre commerciale internationale des contentieux du droit des affaires présentant un caractère international. Cette chambre devra permettre – sous certaines conditions – l’usage de l’anglais dans les écritures, les preuves et les débats à l’audience. Le Haut comité préconise également l’adaptation des règles de procédure, notamment pour accélérer le traitement des affaires mais aussi importer éventuellement de la Common Law certaines règles entrées dans les usages des affaires. À cette fin, il prévoit de consulter les avocats et juristes d’entreprise pratiquant habituellement les contentieux du commerce international sur l’application utile des règles de procédure ordinaires aux affaires traitées par les chambres commerciales internationales du tribunal de commerce et de la cour d’appel de Paris. Les chambres internationales seront composées de magistrats parlant anglais et dotés de solides compétences spécialisées. Le Haut comité recommande d’augmenter l’effectif de la cour d’appel de trois présidents de chambre mais aussi de recruter des collaborateurs spécialisés en droit international des affaires, en Common Law et pratiquant couramment l’anglais juridique pour les épauler (cinq emplois de juriste assistant). Il souligne enfin la nécessité de doter les chambres commerciales internationales du tribunal de commerce de Paris et de la cour d’appel de Paris de locaux adaptés équipés de dispositifs de communication électronique, d’enregistrement des débats, d’interprétariat et de visio-conférence.

Et les contrats ?

Évidemment, le changement de ministre de la Justice, François Bayrou ayant succédé à Jean-Jacques Urvoas le 17 mai, ne tombe pas au mieux pour l’avenir de ces propositions. Toutefois, les magistrats auditionnés dans le rapport se sont montrés plutôt favorables à l’idée, que ce soit Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, Jean-Claude Marin procureur général, Chantal Arens, première présidente de la cour d’appel de Paris, Jean-Michel Hayat président du TGI de Paris. Le bâtonnier de Paris Frédéric Sicard est également convaincu de l’utilité du projet. « On aurait pu nous opposer des objections de nature technique, procédurale, ou encore liées à l’usage de la langue française devant les juridictions ; au contraire, les réactions des hauts magistrats et des avocats que nous avons entendus ont été pragmatiques et plutôt positives », se réjouit Gérard Gardella, secrétaire général du Haut comité. « Nous allons reprendre nos démarches auprès des pouvoirs publics car nous avons besoin d’une vraie volonté politique ainsi que de l’adhésion des praticiens du droit et de la justice. Il faut avancer, nous ne devons pas nous laisser doubler par l’Allemagne et les Pays-Bas ». Parallèlement, le HCJP poursuit ses travaux sur le Brexit. Il examine cette fois les conséquences possibles sur les contrats internationaux rédigés en anglais et faisant référence à la loi anglaise (ISDA, contrat de prêt, euro PP, etc.). « Ce rapport-là a été rédigé à la demande du Trésor, il devrait être publié au début du mois de juillet », précise Gérard Gardella.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Rapport du 3 mai 2017 « Préconisations sur la mise en place à Paris de chambres spécialisées pour le traitement du contentieux international des affaires », en ligne sur le site du Haut comité, rubrique Avis et Rapports : http://hcjp.fr.
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