L’ordonnance de transposition de la directive dite ECN+ qui donne davantage de moyens aux autorités de concurrence
La transposition de la directive dite ECN+, réalisée par l’ordonnance du 26 mai 2021, offre davantage de moyens à l’Autorité de la concurrence. Elle lui permet notamment de rejeter les saisines jugées non prioritaires, renforce les sanctions des pratiques anticoncurrentielles et rend possibles les saisines d’office pour les mesures conservatoires.
Rappelons que la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (DDADUE : JO, 4 déc. 2020), comporte un important volet « concurrence », figurant aux articles 9 et 37 et prévoyant diverses modifications du droit visant à renforcer l’efficacité des procédures mises en œuvre par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et l’Autorité de la concurrence1. Ces modifications portent notamment sur les points suivants : création d’une procédure d’astreinte pour les pratiques restrictives de concurrence, nouvelles dispositions pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles dans les territoires ultramarins, généralisation de la procédure simplifiée, suppression du critère de dimension locale pour les micro-pratiques anticoncurrentielles visées à l’article L. 464-9 du Code de commerce, suppression de l’avis de clémence et extension du champ des pratiques restrictives de concurrence2.
L’article 37, I, autorise par ailleurs le gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure nécessaire « pour rendre compatibles les dispositions du livre IV du Code de commerce avec la directive (UE) n° 2019/1 du 11 décembre 2018, dite ECN+, visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, y compris les mesures de coordination liées à cette transposition.
La transposition de la directive a été réalisée par l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021. L’Autorité de la concurrence répondait déjà à la plupart des exigences de la directive. La transposition nécessitait néanmoins des modifications du droit pour ce qui concerne notamment les points suivants, qui retiennent plus particulièrement l’attention : l’opportunité des poursuites (I), l’efficacité des sanctions (II) et la saisine d’office pour les mesures conservatoires (III). S’y ajoutent diverses autres dispositions qui seront présentées plus rapidement (IV).
I – Opportunité des poursuites
L’opportunité des poursuites est la liberté d’appréciation conférée au parquet pour donner suite aux plaintes, conformément à l’article 40 du Code de procédure pénale qui dispose que « le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 40-1 ». Cet article 40-1 permet notamment au procureur de la République de décider s’il est opportun soit d’engager des poursuites, soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient.
La Commission européenne dispose également de l’opportunité des poursuites en droit de la concurrence. En effet, conformément à une jurisprudence constante qui remonte à l’arrêt Automec3, la définition de priorités constitue un élément inhérent à l’exercice de l’activité de la Commission dans sa mission de service public. Par conséquent, il est légitime pour elle de déterminer le degré de priorité à accorder aux différentes affaires dont elle est saisie et de prendre comme critère de priorité l’intérêt communautaire d’une affaire. Elle peut ainsi rejeter une plainte si elle estime que l’affaire ne présente pas un intérêt communautaire suffisant pour justifier la poursuite de l’instruction4.
Par exemple, le tribunal de première instance a confirmé une décision de la Commission qui a rejeté une plainte de Vivendi contre France Télécom pour défaut d’intérêt, dès lors que « la poursuite de l’enquête sur les infractions alléguées aurait été disproportionnée, eu égard notamment, d’une part, à l’incidence limitée que les pratiques en cause étaient susceptibles d’avoir sur le fonctionnement du marché intérieur, ainsi que, d’autre part, à la possibilité limitée d’établir la preuve d’une infraction à l’article 102 TFUE »5.
L’Autorité de la concurrence recourt par ailleurs à divers procédés pour retirer de son stock d’affaires à traiter un dossier jugé non prioritaire. Ainsi, l’article L. 462-8 du Code de commerce, dans sa version issue de la loi dite Macron, n° 2015-990 du 6 août 2015, lui permet de rejeter une saisine contentieuse, et renvoyer le dossier vers la DGCCRF, dans l’hypothèse où les pratiques invoquées peuvent être traitées par le ministre en application de l’article L. 464-9 relatif aux micro-PAC, c’est-à-dire dans les affaires qui ne concernent pas des faits relevant des articles 101 et 102 du TFUE et lorsque le chiffre d’affaires que chacune des entreprises a réalisé en France lors du dernier exercice clos ne dépasse pas 50 millions d’euros, et que leurs chiffres d’affaires cumulés ne dépassent pas 200 millions d’euros.
L’Autorité de la concurrence peut aussi, sur le fondement des quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 462-8, rejeter la saisine lorsqu’elle est informée qu’une autre autorité nationale de concurrence d’un État membre traite ou a traité des mêmes faits.
Elle recourait en outre à des procédés plus souples pour classer un dossier non prioritaire. On pense notamment à l’affaire des vitamines : moins d’une semaine après la condamnation par la Commission européenne de ce cartel6, le ministre français de l’Économie a retiré sa saisine du Conseil de la concurrence dans l’affaire F623 concernant le secteur des vitamines pour l’alimentation animale et la présidente du Conseil de la concurrence a aussitôt classé le dossier, celui-ci ne présentant plus qu’un intérêt limité7. La table ronde organisée par La lettre des juristes d’affaires sur la directive ECN+ a fourni un autre exemple de mise en œuvre de procédé souple : « En mars 2019 une instruction a été menée et les services [de l’Autorité] ont pris contact avec les entreprises pour leur dire que si elles prenaient certaines mesures de conformité, l’affaire serait classée sans suite »8.
En revanche, le droit national de la concurrence n’était pas doté de règles formelles conférant l’opportunité des poursuites à l’Autorité de la concurrence.
Pour l’essentiel, l’Autorité ne pouvait rejeter une saisine que lorsqu’elle estimait que les faits invoqués n’étaient pas appuyés par des éléments suffisamment probants. Elle n’avait donc pas le pouvoir d’écarter une saisine ne correspondant pas à ses priorités.
Cette lacune est comblée par l’article 4-5 de la directive : « Les autorités nationales de concurrence administratives ont le pouvoir de fixer leurs priorités afin de s’acquitter des tâches nécessaires à l’application des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (…). Dans la mesure où les autorités nationales de concurrence administratives sont tenues d’examiner les plaintes formelles, ces autorités ont le pouvoir de rejeter de telles plaintes au motif qu’elles ne les considèrent pas comme une priorité ».
Cette mesure est transposée au deuxième alinéa de l’article L. 462-8 du Code de commerce, par l’article 2, XII, de l’ordonnance, qui permet à l’Autorité de rejeter les saisines reçues en application du II et du IV de l’article L. 462-5 du Code de commerce, lorsqu’elle ne les considère pas comme une priorité.
II – Efficacité des sanctions
Le droit national de la concurrence est doté d’un système de sanctions administratives efficaces. Ainsi, l’Autorité de la concurrence a le pouvoir d’infliger des sanctions pécuniaires pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises en cause.
Cependant, pour les contrevenants qui ne sont pas des entreprises, le plafond de la sanction ne pouvait dépasser trois millions d’euros. Ce plafond empêchait donc de prendre en compte la puissance économique des membres d’un organisme professionnel, qui peuvent réaliser ensemble un chiffre d’affaires très important. L’affaire du traitement des chèques bancaires, citée par l’étude de l’Autorité de la concurrence sur les organismes professionnels qui a été publiée le 27 janvier 2021 (pt 288), montre à cet égard les limites du plafond de trois millions, qui pouvait s’avérer inadapté pour sanctionner les organismes professionnels de manière proportionnée et individualisée au vu de l’ampleur des infractions qu’ils sont susceptibles de commettre : une amende de trois millions d’euros avait été infligée à la Confédération nationale du Crédit Mutuel, association régie par la loi du 1er juillet 1901, alors que cette amende aurait pu être portée à 45,37 millions d’euros s’il avait été tenu compte des ventes réalisées par les banques membres du réseau mutualiste du Crédit Mutuel.
L’article 15-2 de la directive a supprimé ce plafond et instauré des sanctions plus dissuasives pour les organisations professionnelles : « Lorsqu’une infraction d’une association d’entreprises a trait aux activités de ses membres, le montant maximal de l’amende n’est pas inférieur à 10 % de la somme du chiffre d’affaires mondial total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association ».
L’article 2, XVIII, 4°, de l’ordonnance transpose cette exigence au niveau national en s’alignant sur le régime applicable aux entreprises. L’article L. 464-2, I, 4°, du Code de commerce, issu de cette disposition prévoit en effet que « le montant maximum de la sanction est, pour une association d’entreprises, de 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Lorsque l’infraction d’une association d’entreprises a trait aux activités de ses membres, le montant maximal de la sanction pécuniaire est égal à 10 % de la somme du chiffre d’affaires mondial total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association ».
Transposant par ailleurs les alinéas 3 et 4 de l’article 14 de la directive, l’article L. 464-2, VI, du Code de commerce, issu de l’article 2, XVIII, 9°, de l’ordonnance a mis en place de nouvelles actions spécifiques à l’encontre des membres d’un organisme professionnel, consacrant ainsi le principe d’une responsabilité financière des membres des associations d’entreprises : i) « Lorsqu’une sanction pécuniaire est infligée à une association d’entreprises en tenant compte du chiffre d’affaires de ses membres et que l’association n’est pas solvable, l’Autorité de la concurrence peut lui enjoindre de lancer à ses membres un appel à contributions pour couvrir le montant de la sanction pécuniaire » ; ii) « dans le cas où ces contributions ne sont pas versées intégralement à l’association d’entreprises dans un délai fixé par l’Autorité de la concurrence, celle-ci peut exiger directement le paiement de la sanction pécuniaire par toute entreprise dont les représentants étaient membres des organes décisionnels de cette association » ; iii) « lorsque cela est nécessaire pour assurer le paiement intégral de la sanction pécuniaire, après avoir exigé le paiement par ces entreprises, l’Autorité de la concurrence peut également exiger le paiement du montant impayé de la sanction pécuniaire par tout membre de l’association qui était actif sur le marché sur lequel l’infraction a été commise » ; iv) « ce paiement n’est toutefois pas exigé des entreprises qui démontrent qu’elles n’ont pas appliqué la décision litigieuse de l’association et qui en ignoraient l’existence ou qui s’en sont activement désolidarisées avant l’ouverture de la procédure ».
III – Saisine d’office pour les mesures conservatoires
La pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence fournit quelques exemples de saisine d’office en mesures conservatoires. On pense notamment à l’affaire des centrales d’achat Auchan, Casino, Metro et Schiever, dans laquelle l’Autorité a mis en œuvre les nouveaux pouvoirs qu’elle tire de l’article L. 462-10 du Code de commerce et s’est, pour la première fois, saisie d’office en mesures conservatoires, sur le fondement du III de l’article L. 462-10.
À l’origine de l’affaire, les parties ont communiqué à l’Autorité une série d’accords de coopération. Dans un deuxième temps, celle-ci s’est saisie d’office, sur le fondement du II de l’article L. 462-10, en vue d’examiner si les différents accords de coopération risquaient de porter une atteinte sensible à la concurrence. Quelques semaines plus tard, elle s’est par ailleurs saisie d’office en mesures conservatoires, sur le fondement du III de l’article L. 462-10. Pour répondre aux risques d’atteinte à la concurrence identifiés au cours de la procédure, l’Autorité a accepté les engagements proposés par les parties. Celles-ci ont en conséquence modifié le périmètre de leur coopération9.
Limitée d’abord au secteur des centrales de référencement ou d’achat, cette faculté pour l’Autorité de se saisir d’office afin d’imposer des mesures conservatoires a été généralisée par l’ordonnance.
Cette généralisation a été rendue possible par l’article 11 de la directive qui prévoit que « les États membres veillent à ce qu’au moins dans les cas d’urgence justifiés par le fait qu’un préjudice grave et irréparable risque d’être causé à la concurrence, les autorités nationales de concurrence soient habilitées à agir de leur propre initiative, pour ordonner, par voie de décision sur la base d’un constat prima facie d’infraction aux dispositions de l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’imposition de mesures provisoires aux entreprises et associations d’entreprises ».
Cette disposition a été transposée à l’article L. 464-1 du Code de commerce qui, dans sa rédaction issue du 1° de l’article 2, XVII, de l’ordonnance dispose que « l’Autorité de la concurrence peut, à la demande du ministre chargé de l’Économie, des personnes mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 462-1 ou des entreprises ou de sa propre initiative (…), prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires ».
Selon l’Autorité, cette nouvelle faculté de saisine d’office en matière de mesures conservatoires pourra se révéler particulièrement précieuse dans le secteur du numérique, eu égard aux effets difficilement réversibles de certaines pratiques sur des marchés très évolutifs10.
IV – Autres dispositions de l’ordonnance
A – Pouvoir d’ordonner des « injonctions structurelles » dans le cadre de procédures contentieuses
Dans sa rédaction issue du 1° de l’article 2, XVIII, de l’ordonnance, le premier alinéa du I de l’article L. 464-2 du Code de commerce permet à l’Autorité de la concurrence d’imposer aux entreprises ou associations d’entreprises des mesures correctives de nature structurelle ou comportementale proportionnées à l’infraction commise et nécessaires pour faire cesser effectivement l’infraction.
L’article L. 752-26 du Code de commerce, qui limitait la possibilité pour l’Autorité d’imposer des mesures coercitives de nature structurelle, est dès lors abrogé.
Le premier alinéa du I de l’article L. 464-2 ajoute que l’Autorité « peut aussi accepter des engagements, d’une durée déterminée ou indéterminée, proposés par les entreprises ou associations d’entreprises et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l’article L. 410-3 ».
B – Obstruction à l’enquête et à l’instruction
Les VIII et IX de l’article 2 de l’ordonnance tirent les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021 qui a jugé que le deuxième alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du Code de commerce, qui prévoit la sanction administrative des faits d’obstruction aux mesures d’enquête et d’instruction mises en œuvre par l’Autorité de la concurrence, est contraire à la Constitution en ce qu’il méconnaît le principe de nécessité et de proportionnalité des peines (le Conseil constitutionnel a considéré que la répression administrative prévue par le deuxième alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 et la répression pénale organisée par l’article L. 450-8 du Code de commerce relèvent de corps de règles identiques). Ces dispositions de l’ordonnance restreignent en effet le champ d’application de l’infraction d’opposition à fonctions en créant un nouvel article L. 450-8, divisé en deux parties : le I dispose que « sous réserve des dispositions du II, est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 € le fait pour quiconque de s’opposer, de quelque façon que ce soit, à l’exercice des fonctions dont les agents mentionnés au II de l’article L. 450-1 sont chargés en application du présent livre ». Le délit d’opposition à fonctions ne concerne donc que les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGC-CRF). Le II prévoit que « lorsque l’opposition porte sur des actes des agents mentionnés au II de l’article L. 450-1 accomplis au titre de leur mise à disposition du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence en application de l’article L. 450-6, et qu’elle est le fait d’une personne morale, les dispositions du I ne sont pas applicables et elle n’est passible que de la sanction pécuniaire prévue au deuxième alinéa du V de l’article L. 464-2 ».
Le rapport au président de la République observe à cet égard que « la modification opérée à l’article L. 450-8 et la création de deux nouveaux articles L. 450-9 et L. 450-10 permettent de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel tout en maintenant l’article L. 464-2 du Code de commerce dans sa version actuelle, qui permet de transposer l’article 13 de la directive ».
Précisons que l’article L. 450-9 prévoit qu’« est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 € le fait pour une personne physique de s’opposer à l’exercice des fonctions dont les agents mentionnés au I de l’article L. 450-1 sont chargés en application du présent livre ». Quant à l’article L. 450-10, il dispose que « les dispositions de l’article 121-2 du Code pénal ne sont pas applicables aux infractions mentionnées à l’article L. 450-9, ni à celles mentionnées au I de l’article L. 450-8, lorsque l’opposition porte sur des actes des agents mentionnés au II de l’article L. 450-1 accomplis au titre de leur mise à disposition du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence en application de l’article 450-6 ».
C – Procédure de clémence
1 – Interaction entre les demandes d’immunité d’amendes et les sanctions infligées aux personnes physiques
On se souvient que les travaux préparatoires de la loi DDADUE ont mis en évidence certaines difficultés soulevées par la procédure d’avis du système de clémence. Il est en effet apparu que la procédure d’avis du système de clémence conduisait à retarder les opérations de visite et saisie qui, pourtant, doivent être réalisées le plus rapidement possible pour écarter le risque de déperdition des preuves. Pour y remédier, la loi DDADUE a supprimé cette procédure d’avis.
Les rédacteurs de l’ordonnance se sont également attachés à améliorer la procédure de clémence. Ils y ont été invités par l’article 23-2 de la directive, qui prévoit que « les États membres veillent à ce que les actuels et anciens directeurs, gérants et autres membres du personnel des entreprises sollicitant une immunité d’amendes auprès des autorités de concurrence soient protégés contre les sanctions infligées dans le cadre de procédures pénales relatives à leur participation à l’entente secrète faisant l’objet de la demande d’immunité d’amendes, concernant des violations de dispositions législatives nationales qui poursuivent principalement les mêmes objectifs que l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».
Cette exigence a été transposée à l’article L. 420-6-1 du Code de commerce, créé par le III de l’article 2 de l’ordonnance et qui dispose que « les directeurs, gérants et autres membres du personnel de l’entreprise ou association d’entreprises qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques mentionnées à l’article L. 420-1 sont exempts des peines prévues par l’article L. 420-6 si cette entreprise ou association d’entreprises a bénéficié d’une exonération totale des sanctions pécuniaires en application de la procédure prévue au IV de l’article L. 464-2 au titre de ces pratiques, et s’il est établi qu’ils ont activement coopéré avec l’Autorité de la concurrence et le ministère public ».
En revanche, le dernier alinéa de l’article L. 420-6-1 prévoit que « l’exemption de peine n’est pas accordée aux directeurs, gérants et autres membres du personnel qui, au moment de la demande d’exonération des sanctions pécuniaires formée par l’entreprise ou l’association d’entreprises pour laquelle ils travaillent en application de la procédure prévue au IV de l’article L. 464-2, avaient connaissance d’une procédure administrative ou judiciaire relative à leur participation aux pratiques mentionnées à l’article L. 420-1 faisant l’objet de cette demande d’exonération ».
2 – Harmonisation des programmes de clémence
Les articles 17 à 22 de la directive prévoient des dispositions d’harmonisation des programmes de clémence des États membres. S’agissant de la France, ces dispositions figurent déjà dans le communiqué de procédure de l’Autorité de la concurrence du 3 avril 2015 relatif au programme de clémence. Conformément au paragraphe IV de l’article L. 464-2 du Code de commerce, issu de la loi DDADUE n° 2020-1508 du 3 décembre 2020, le décret n° 2011-568 du 10 mai 2021 a précisé les modalités d’organisation et d’application de la procédure de clémence.
3 – Accès au dossier
L’ordonnance organise l’accès des parties au dossier lors d’une procédure menée devant l’Autorité de la concurrence en posant des limites à l’utilisation des informations qui peuvent s’y trouver, notamment celles relatives aux procédures de clémence : « L’accès aux déclarations effectuées en vue d’obtenir le bénéfice de la procédure d’exonération de sanction pécuniaire prévue au IV de l’article L. 464-2 ou par des dispositions équivalentes du droit national d’un autre État membre n’est accordé qu’aux parties à la procédure concernée. Les informations tirées de ces déclarations et qui ne peuvent être obtenues que par l’accès au dossier de la procédure peuvent être utilisées par une partie ayant eu accès à ce dossier uniquement pour l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure relative à un recours formé contre une décision de l’Autorité de la concurrence mentionné à l’article L. 464-8 du Code de commerce » (C. com., art. L. 464-10, I).
D – Déterminants de la sanction
L’article 14, paragraphe 1, de la directive, relatif aux déterminants de la sanction, prévoit que « les États membres veillent à ce que les autorités nationales de concurrence prennent en considération, la gravité de l’infraction ainsi que la durée de celle-ci lorsqu’elles déterminent le montant de l’amende à infliger pour infraction à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».
En droit national, les critères de fixation des sanctions sont prévus à l’article L. 464-2, I, alinéa 3, du Code de commerce. Dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance, ce texte prévoyait que « les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre ».
Dans sa nouvelle rédaction, issue de l’ordonnance, l’article L. 464-2, I, alinéa 3, a repris le critère de la gravité de l’infraction, déjà prévu dans la précédente version.
En revanche, la durée de l’infraction, qui ne figurait pas dans la version antérieure (elle constituait cependant un facteur pertinent pour apprécier la gravité des faits et l’importance du dommage causé à l’économie, exemple : Conseil de la concurrence, n° 01-D-07, 11 avr. 2001) est explicitement ajoutée à la liste des critères.
Notons encore que les rédacteurs de l’ordonnance ont supprimé le critère de l’importance du dommage à l’économie, non mentionné dans la directive.
En faisant figurer expressément le dommage à l’économie dans la liste des critères de fixation des sanctions, l’article L. 464-2 du Code de commerce se démarquait des autres droits nationaux : « Le plus souvent, en effet (…) les sanctions sont calculées notamment par référence aux gains réalisés du fait des pratiques anticoncurrentielles ou par rapport aux pertes indûment subies par les opérateurs économiques concurrents plutôt que par rapport au dommage causé à l’économie dans son ensemble au sens de la théorie économique, même si celui-ci est nécessairement pris en compte au stade de la qualification en raison des rapports qui existent entre dommage et effet des pratiques »11.
Notes de bas de pages
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1.
P. Arhel, « Volet “concurrence” de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (DDADUE) », LPA 12 févr. 2021, n° 158m5, p. 6.
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2.
S’y ajoutent les modifications suivantes : i) le 2° du III de l’article 37 a modifié le troisième alinéa de l’article L. 450-4 du Code de commerce, relatif aux enquêtes comportant des visites et saisies, afin d’autoriser la présence d’un seul officier de police judiciaire par site visité ; ii) la nouvelle version de l’article 450-4 rend optionnelle la délivrance d’une commission rogatoire ; iii) le 3° du III de l’article 37 a allongé la liste des décisions que le président de l’Autorité de la concurrence peut adopter seul ; iv) le 4° du III de l’article 37 a abrogé le dernier alinéa de l’article L. 462-2-1 du Code de commerce qui faisait peser sur le gouvernement une obligation d’information de l’Autorité sur tout projet de révision des prix ou des tarifs réglementés, au moins deux mois avant la révision du prix ou du tarif en cause.
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3.
TPICE, 18 sept. 1992, n° T-24/90, Automec c/ Commission : Rec. Trib. UE 1992, p. II-2223, pt 85.
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4.
Communication de la Commission relative au traitement par la Commission des plaintes, spéc. pts 27 et s. ; JOCE C 101/69, 27 avr. 2004.
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5.
TPICE, 16 oct. 2013, n° T-432/10 ; le tribunal a rendu, le 17 décembre 2014, un arrêt analogue dans une affaire initiée par une plainte de la société slovène Si.mobil contre la société Mobitel (n° T-201/11).
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6.
Déc. n° COMP/37 512 de la Commission, 21 nov. 2001 : JOCE L 6, 10 janv. 2003 ; Communiqué de presse n° IP/01/1625 ; F. Peiro, « The Vitamin Cartels », Competition Policy Newsletter, févr. 2002, n° 1, p. 30 et s. ; P. Arhel, « Le cartel des vitamines. Des sanctions exemplaires », LPA 11 avr. 2003, p. 4 et s.
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7.
Conseil de la concurrence n° 01-D-79, 13 déc. 2001, Vitamines pour l’alimentation animale : Rapp. Conseil de la concurrence 2001, p. 714.
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8.
« Directive ECN+ : plus de pouvoirs pour une meilleure coopération », LJA magazine n° 59, mars-avr. 2019.
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9.
Aut. conc. n° 20-D-13, 22 oct. 2020, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire par les groupes Auchan, Casino, Metro et Schiever ; l’Autorité a rendu une décision similaire (n° 20-D-22, 17 déc. 2020) concernant des pratiques mises en œuvre par les groupes Carrefour et Tesco.
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10.
Communiqué, 23 déc. 2020.
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11.
É. Avenel et P. Bresse, « Dommage à l’économie et efficacité des sanctions prononcées à l’encontre des pratiques anticoncurrentielles », LPA 20 août 2001, p. 4 et s.
Référence : AJU000u4