Audience de rentrée de la CA de Versailles : notes d’optimisme malgré les crises

Le mardi 14 janvier 2025 avait lieu la traditionnelle audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Versailles. À cette occasion, le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, était présent pour écouter les discours de Jean-François Beynel, premier président et Marc Cimamonti, procureur général. Ils ont tous les deux annoncé les grands chantiers pour l’année à venir.
Pour le président Jean-François Beynel, la présence du ministre de la Justice à l’audience de rentrée, trois semaines après sa prise de fonction, était un « signe de considération », mais aussi une preuve de sa « volonté d’être proche du terrain et de ses acteurs locaux ». Après l’installation des nouveaux magistrats et agents de greffe de la cour d’appel, il a donné la parole au procureur général.
Faire face aux situations exceptionnelles
Le procureur l’a dit, il a, « comme d’habitude », souhaité s’exprimer avec un « parler vrai ». Il a d’abord évoqué le fait que l’institution judiciaire avait montré « qu’elle savait se mobiliser pour faire face à des situations exceptionnelles », d’abord face à la « crise des finances publiques », avec une « annulation de crédits à hauteur de 10 millions d’euros ». Cette « situation budgétaire inédite, incertaine, inconnue reste un sujet d’actualité et d’inquiétude majeure en lien direct avec l’activité judiciaire opérationnelle ». Les juridictions pourront-elles encore « recourir à des vacataires, élèves-avocats PPI (projet pédagogique individuel, NDLR), assistants de justice, magistrats honoraires » ? Les perspectives de recrutement, définies par la loi de programmation de novembre 2023, pourront-elles être maintenues ?
L’audiencement des procédures criminelles
Ensuite, l’institution doit affronter le « sujet numéro 1 de préoccupation », soit « l’audiencement des procédures criminelles ». « Il tend depuis la crise sanitaire à devenir hors de contrôle malgré tous nos efforts depuis début 2022 », s’inquiète Marc Cimamonti. La difficulté concerne les délais des jugements des accusés détenus « avec le risque de remise en liberté d’individus dangereux potentiellement réitérant de faits gravissimes ; le jugement d’accusés libres devient de plus en plus hypothétique ». Des sessions de cours d’assises et de cours criminelles seront donc ajoutées et des effectifs supplémentaires sont nécessaires, mais, dit-il, « nous avons besoin de revoir nos modalités d’organisation et de fonctionnement et nos méthodes de travail ». Mêmes préoccupations en matière d’audiencement correctionnel : « Dégradation de nos stocks, de notre capacité à juger et des délais d’audiencement. » Pour cela, il en appelle à toujours plus de collaborations avec la direction du greffe et les barreaux.
Pour mener à bien tout cela, le procureur rappelle qu’« il nous faut des outils techniques et numériques dignes du deuxième quart du XXIe siècle » ; les actuels étant selon lui encore « largement inadaptés ». « Ce qui est attendu de notre ministère, c’est la mise à disposition d’outils concrets d’IA aussi vite que possible. »
Une surpopulation carcérale sans précédent
La surpopulation pénitentiaire continue d’être un « sujet majeur » avec un « niveau sans précédent » : « Plus de 80 000 détenus, bientôt plus de 81 000, pour la première fois » et un taux d’occupation de 200 % franchi en décembre dernier pour le centre pénitentiaire de Bois d’Arcy. Le sujet est qualifié de « difficile, complexe, délicat ». En réponse, le procureur a évoqué les « assises du milieu ouvert » de 2025 qui ont pour but de « maximiser, diversifier les modes alternatifs à l’incarcération hébergée ». « Pour autant, dit-il, j’ai la conviction que cela ne sera pas suffisant et que c’est au niveau politique des pouvoirs exécutif et législatif que des solutions doivent être mises en place pour instaurer des mécanismes principalement administratifs. »
Crise judiciaire et absence de politique pénale coordonnée
Pour ce qui concerne la réforme de la police nationale, « le premier bilan n’est pas favorable ». Les rapports reçus de la police nationale du Loiret parlent de « crise de la filière judiciaire ». Moins inquiétant, le bilan est tout de même « préoccupant » pour les Yvelines et le Val-d’Oise. Les stocks d’enquête sont encore très élevés, les affaires économiques et financières sont « délaissées » et « le manque d’attractivité et même la désaffectation pour la filière judiciaire et l’investigation demeurent une constante ».
Dans la lutte contre le narcotrafic, le procureur fait le constat « d’une absence de politique pénale coordonnée », vue l’ampleur de ce « phénomène criminel de société ». Un des enjeux réside dans les données numériques, notamment contenues dans les smartphones saisis. Le procureur appelle à s’interroger sur la façon d’avoir une « capacité effective à investiguer sur le plan numérique sur cette criminalité de plus en plus ubérisée ».
Marc Cimamonti a enfin conclu son propos en donnant l’alerte sur une situation inédite : « Quatre parquets dont les trois plus importants (Nanterre, Versailles, Pontoise, NDLR) vont se retrouver en vacances des postes de procureurs de la République ». Certes des « intérims » sont prévus, mais ce n’est pas « acceptable » selon lui. « Le processus de nomination à de tels postes est à cet égard complètement inadapté », ajoutant qu’« il n’est pas sain que pour ces postes de première importance du ministère public, tout semble se passer dans l’entre-soi des cabinets gouvernementaux ». S’adressant au ministre présent, il a rappelé qu’il était encore temps de revoir le processus de recrutement pour le « rationaliser, l’objectiver et en améliorer la pertinence ».
« L’institution judiciaire a besoin de politique »
Dans son discours, le premier président Jean-François Beynel a de son côté abordé trois axes : « la stabilité et la sérénité dont la justice a besoin pour accomplir sa mission », « l’humanité dont elle doit faire preuve » et « l’ouverture bienveillante qui doit la conduire à l’efficacité ».
« En un mot, l’institution judiciaire a besoin de politique, a-t-il résumé. Elle doit savoir ce que la Nation et ses représentants attendent d’elle et quelles sont leurs priorités. […] Les avancées ne dépendent pas que de l’octroi de moyens supplémentaires. Elles dépendent aussi, en grande partie, des méthodes de travail, des organisations et des priorités fixées. »
Il propose par exemple d’externaliser et rationaliser l’octroi des aides juridictionnelles ou encore de « réguler l’appel en introduisant un filtrage à ce stade de la procédure et en optant pour un appel rénové ». En matière pénale, il lui semble « nécessaire », d’engager « une vraie réflexion sur les méthodes et les procédures » et questionner le fonctionnement des cours d’assises et criminelles départementales. Il ne croit pas, dit-il « à une solution fondée sur la seule hausse, certes nécessaire, des moyens », mais d’envisager aussi une « modification radicale des process ».
Dans cette optique, le premier président suggère quelques pistes pour « modifier la conception du rôle du juge d’appel en matière correctionnelle » : instaurer un filtrage des appels et une obligation de motivation des appels correctionnels, l’idée étant de concentrer les débats sur ces points, évitant aux juges « de reprendre le dossier intégralement » et limiter l’audience d’appel à ces seules questions. Il propose également de « généraliser la comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité en appel avec l’obligation pour l’appelant dès son appel de préciser s’il est disposé à cette procédure. »
Une justice humaine
Pour son deuxième axe, le président s’est arrêté sur les personnes concernées par les décisions de justice chaque année, soit « un habitant sur sept » du ressort de la cour d’appel. « Je ne connais pas beaucoup d’autre organisation publique qui serait aussi impactante dans la vie quotidienne des Français. »
À toutes ces femmes et hommes, dit-il, « bailleurs, surendettés, victimes, auteurs d’infractions, licenciés, parents séparés, enfants de la République qui nous sont confiés », la justice doit « apporter, humainement, une réponse rapide et efficace ». Elle doit se souvenir qu’elle « œuvre pour l’humanité ».
« En cette année, anniversaire des 120 ans de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, qui proclame que « la République assure la liberté de conscience » et anniversaire des actes terroristes qui ont frappé la France en 2015, je pense aux propos de Jean Jaurès dans son ouvrage sur l’affaire Dreyfus, Les preuves, publié en 1898, qu’il écrit en réponse à ceux de ses amis qui ne comprennent pas la portée de cette affaire pour l’humanité. » Il cite : « Je pourrais répondre que si Dreyfus a été illégalement condamné et si, en effet, […], il est innocent, il n’est plus ni officier ni un bourgeois : il est dépouillé, par l’excès même du malheur, de tout caractère de classe ; il n’est plus que l’humanité elle-même, au plus haut degré de misère et désespoir qui se puisse imaginer. »
« Permettre intégration et promotion sociale »
Le président a souhaité rappeler la mission « républicaine » de la justice de « permettre intégration et promotion sociale » : « Rappelons-nous que 40 % des magistrats français ne sont pas issus du concours étudiant de l’École nationale de la magistrature, mais nous ont rejoints, en apportant leurs connaissances et leurs expériences, par d’autres voies d’intégration. »
À Versailles, depuis trois ans, le recrutement tend vers une « diversification », « en accueillant en formation, en stage, sur des postes d’assistants de justice, des jeunes issus des milieux les plus défavorisés, souvent issus de la diversité sociale et culturelle ». Il en appelle à un « respect de la justice comme fondement de la cohésion française et de la patrie » comme « programme en 2025 », qu’il invite à « méditer, avec optimisme ».
C’est d’ailleurs sur cette note qu’il termine sa prise de parole, souhaitant ne pas se laisser « démoraliser par les difficultés du moment », ni se laisser gagner « par une morosité dévastatrice » : « Réjouissons-nous des réussites de nos actions et de nos décisions pour tous les justiciables. Pensons à ces milliers d’hommes et de femmes dont nous facilitons la vie, que notre institution protège. Ayons confiance dans les générations nouvelles qui rejoignent notre justice, qui seront le visage de la France de demain. Pour être efficace, soyons optimistes et enthousiastes. Il n’y a pas d’autres choix. »
Référence : AJU016x6
