Le tribunal de Bobigny accueille le nouveau procureur de la République Éric Mathais
Le mercredi 13 octobre, le tribunal de Bobigny a installé officiellement le nouveau procureur de la République, Éric Mathais, qui remplace Fabienne Klein-Donati, restée sept ans à ce poste. Magistrat du parquet aguerri, il s’est dit heureux de rejoindre la deuxième plus grande juridiction de France et prêt à affronter les défis qui l’attendent.
« L’audience solennelle de présentation d’un chef de juridiction constitue un moment fondateur pour un tribunal, entre continuité d’une action et renouveau d’une gouvernance ». C’est par ces mots que Peimane Ghaleh-Marzban, président du tribunal judiciaire de Bobigny, a introduit l’audience d’installation du nouveau procureur de la République, Éric Mathais. Le mercredi 13 octobre, en effet, une page se tournait, puisque la procureure, Fabienne Klein-Donati, est officiellement partie rejoindre la cour d’appel de Lyon après sept années de service à Bobigny. Mais une nouvelle page a commencé à s’écrire, avec l’arrivée d’un magistrat aguerri, qui lors de ses quatre dernières années passées à Dijon, a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité.
Fabienne Klein-Donati, « le visage de Bobingy », laisse place à Éric Mathais
Pour le procureur-adjoint, Loïc Pageot, Fabienne Klein-Donati était « devenue le visage de Bobigny ». « Débordante d’énergie et de projets », elle s’était prise d’affection pour ce ressort. Connue pour son franc-parler, elle avait notamment « dénoncé la situation intenable de la juridiction » en 2018 et n’avait pas hésité à prendre des audiences, des plus simples aux plus complexes, pour rester imprégnée du quotidien du tribunal. Elle avait salué le plan d’action en Seine-Saint-Denis adopté en 2019, « première pierre d’un big bang », censé permettre une meilleure prise en compte de la délinquance.
Le 31 août, sur le départ, elle « a laissé une maison propre, en ordre de marche ». Mais elle est « néanmoins partie avec un goût d’inachevé », confiait Loïc Pageot. Comme elle le disait, « on pourrait rester de façon éternelle à Bobigny, on n’en a jamais fini ici » !
C’est dans cette juridiction fascinante et pleine de défis que prend ses marques Éric Mathais depuis l’été. Magistrat du parquet depuis 1990, sept fois procureur, une fois procureur général, passé par Bourges, Brest, Dijon, il a une « bonne expérience du parquet », s’est réjoui Loïc Pageot. Il est également président de la Conférence nationale des procureurs de la République. Il a ainsi « une totale légitimité à diriger le second parquet de France », a estimé le procureur adjoint. « Bobigny n’est pas une juridiction de tout repos, mais elle est vivante et attachante », a-t-il également précisé.
À sa suite, Éric Mathais a pris la parole pour se présenter et définir ses priorités, « un exercice périlleux pour un impétrant ». Il a tenu à rappeler qu’après trente ans de carrière en tant que parquetier, sa passion pour ce métier était toujours aussi intense. « Loyal et transparent », semble être les deux qualificatifs qui reviennent dans la bouche de ses collaborateurs en parlant de lui.
Éric Mathais a réaffirmé que la diarchie de ce tribunal lui tenait à cœur, et que le climat « de confiance et de collaboration » déjà ressenti lui donnait les meilleurs espoirs d’une entente parfaite avec le président du tribunal.
« C’est la cinquième fois de ma carrière que je gère une équipe de parquetiers », a-t-il indiqué, mais comptant sur l’« ambiance légendaire » du parquet de Bobigny, comme il l’a désigné non sans humour, le voilà prêt à endosser cette responsabilité à nouveau, une responsabilité qu’il n’entend pas exercer « sans concertation », mais au contraire en mettant l’accent sur la force du collectif.
« Être parquetier signifie mettre en œuvre les orientations définies par le garde des Sceaux, certes », mais pour autant, Éric Mathais revendique, « dans les décisions individuelles, dans l’acte de juger, une indépendance, sans laquelle il n’y aurait pas de sens à nous appeler magistrats », martelant ainsi l’exigence d’impartialité.
Il a également mis l’accent sur la grande diversité des réponses pénales. Fut un temps où « seules deux options étaient possibles : les poursuites ou le classement sans suite ». Aujourd’hui, le rappel à la loi, la comparution immédiate avec reconnaissance de la culpabilité, l’avertissement pénal probatoire, etc. doivent être embrassés par le parquetier, qui a un vaste choix. Il compte aussi entretenir de bonnes relations avec les enquêteurs, dans « le respect de votre indépendance ». Il espère un « travail dans un climat de franchise ».
Concernant ses priorités, elles concernent « la lutte contre tous les trafics », l’habitat indigne, les violences et la prostitution, notamment celle des mineur.e.s. « L’institution judiciaire sera aussi là pour montrer que la loi protège les citoyens contre le découragement et le radicalisme religieux », a-t-il ajouté. Il a exprimé son souhait de voir la prise en charge des victimes les plus vulnérables et les plus traumatisées renforcée.
Enfin, Éric Mathais a dit vouloir inscrire toujours plus résolument le parquet dans la vie locale et, ainsi, expliquer mieux le sens de la justice aux justiciables. Il a terminé sur une note positive en rappelant que la justice française était l’une des plus efficientes en Europe, avec un budget de seulement 70 euros par habitant, contre 130 euros en Allemagne, 92 euros en Espagne ou encore 83 euros en Italie, et comptant deux fois moins de juges que la moyenne européenne.
« La caricature fait de nous des accusateurs », a-t-il regretté. Lui voit les procureurs de la République comme des « gardiens de la loi mais aussi les garants des libertés individuelles. Nous émettons des sanctions dans le respect de la personne et de ses droits », a-t-il rappelé. Un credo qu’il entend appliquer à Bobigny, continuant ce « métier passionnant car plein d’humanité, dans ce qu’elle a de sordide ou de meilleur ».
Une juridiction pleine de contrastes
Pour accueillir le nouveau procureur, le président Peimane Ghaleh-Marzban n’a pas hésité à rappeler les principales caractéristiques du ressort de Bobigny. « Vous rejoignez un département, la Seine-Saint-Denis, terre d’exigence, née dans l’asymétrie économique et sociale par rapport à Paris et à ses départements voisins ». Une « terre de richesse », mais parcourue de « lignes de fragilités socio-économiques persistantes de ses habitants ».
Face à l’« essor économique » de la Seine-Saint-Denis, les 9 000 allocataires du RSA, ce qui se traduit sur l’activité du tribunal, dont la moitié des 73 000 décisions rendues en 2019 se basaient sur des dossiers bénéficiant d’aide juridictionnelle.
Loïc Pageot a de son côté évoqué la petitesse du territoire – 236 km² – mais une population inversement proportionnelle avec 1,67 million d’habitants, deux fois plus touchés par la pauvreté que la moyenne nationale. Il a également évoqué la sous-qualification, le chômage qui concerne beaucoup de jeunes, et le plus fort taux de criminalité de France, notamment lié au trafic de stupéfiants. Il a souligné les fléaux sociaux de la prostitution des mineur.e.s, la surmortalité due au Covid qui a touché de plein fouet les professions les plus vulnérables comme les aides-soignants, les infirmières, les caissières du département…
Mais, a-t-il tenu à souligner, la Seine-Saint-Denis est aussi un département vert, avec 25 forêts et qui compte le plus fort taux de création d’entreprises en Île-de-France, une terre d’envol avec la présence des aéroports du Bourget et de Charles de Gaulle, un territoire qui compte un stade olympique, et d’ici quelques années, les infrastructures liées aux J O de 2024.
Bobigny se positionne comme le premier tribunal concernant les contentieux liés aux mineurs avec la réforme du Code de la justice pénale des mineurs, les cas de mineurs non accompagnés (MNA), le retour des enfants de la zone irako-syrienne et la prostitution. Mais « la réponse pénale est à la hauteur », estime-t-il, « avec pour les mineurs et malgré la crise sanitaire, 92,6 % des dossiers traités pour les mineurs, et 86 % pour les majeurs ».
Les défis forts du ressort
Le président du tribunal a lui aussi mis en avant les priorités de sa juridiction. Il a évoqué « la révolution immobilière » actuellement en cours avec le projet d’extension du tribunal, qui devrait gagner 13 000 m² pour un budget de 120 millions d’euros. Le pôle récemment créé de l’état des personnes et de la famille est ouvert depuis le 1er octobre. Une véritable « fierté » de « pouvoir accueillir dans les meilleures conditions des personnes qui viennent chercher justice dans des matières si sensibles et intimes que l’état des personnes et la famille », a assuré le président. Mais il faudra « trouver une solution durable au fonctionnement du dépôt actuel », pour éviter de prendre le risque de « problèmes procéduraux majeurs ».
Il s’est satisfait de la consolidation de l’effectif du tribunal, qui est passé de 114 magistrats du siège en 2015, à 141 magistrats du siège actuellement, qui exercent leurs fonctions au côté de 57 magistrats du parquet et 520 fonctionnaires, sans compter 45 contractuels, au titre de la justice de proximité. Cet accroissement des effectifs a permis de « créer une deuxième chambre de comparution immédiate, offrant ainsi une capacité de réponse à la délinquance violente ».
Mais dans ce contexte d’après-covid, le tribunal doit faire face à un enjeu de taille : le stock des affaires ! Le tribunal doit ainsi traiter des stocks significatifs en attente de jugement devant les chambres pénales spécialisées (430 dossiers d’information judiciaire). « Cette situation est en partie liée à la grève des avocats de 2020 et à la crise sanitaire. Il s’agit de dossiers de trafics de stupéfiants, de criminalité organisée ou de violences intra-familiales, parmi souvent, les dossiers les plus complexes », a précisé le président.
Malgré les efforts et le renforcement de la capacité de jugement, la seule solution, selon Peimane Ghaleh-Marzban, « est la création sur deux années d’une chambre collégiale avec trois magistrats du siège, un magistrat du parquet et quatre greffiers qui permettra de résorber ce stock. Telle est la demande de contrats d’objectif que nous avons formulé et présenté à la Cour et au ministère de la Justice ».
Le président a également fait état des objectifs qu’il a fixés en termes de politique juridictionnelle interne. En premier lieu, la nécessité de mettre en place un contrôle qualité des processus administratifs et judiciaires. « Nous devons mieux nous assurer de la fluidité des circuits administratifs, budgétaires et juridictionnels et de la capacité des services à interagir entre eux », a-t- il expliqué, en prenant l’exemple « de la fluidité des liens entre l’audiencement et le greffe correctionnel ».
Le deuxième objectif porte sur « la transversalité des échanges entre les différents services juridictionnels pour la mise en œuvre de véritables politiques juridictionnelles », notamment en matière de droit des peines.
La politique juridictionnelle concerne également la lutte contre les violences faites aux femmes. Le président rappelle ainsi que le 2 juillet dernier, un protocole a été signé pour la mise en œuvre de l’ordonnance de protection en Seine-Saint-Denis entre le tribunal, le barreau, le conseil départemental, la chambre départementale des huissiers de justice et quatre associations intervenantes sur le département. Le 20 octobre, un protocole sur le bracelet anti-rapprochement sera signé.
La politique juridictionnelle porte enfin sur le contentieux des mineurs « qui nécessite une symbiose parfaite entre le siège et le parquet », qui « portent ensemble et de manière concertée la voix de la juridiction dans les politiques publiques spécifiques aux mineurs, qu’il s’agisse du protocole relatif à la lutte contre la prostitution des mineurs, de l’évaluation et de la prise en charge des mineurs non accompagnés, du suivi des enfants de retour de zone de guerre et, particulièrement cette année 2021, de la préparation à la mise en œuvre du Code de justice pénale des mineurs », a précisé le président.
Par ailleurs, l’objectif d’une justice acceptée et apaisée tant en matière civile que pénale passe par la signature, le 5 octobre dernier, « de la charte de la médiation familiale avec le bâtonnier Amine Ghenim et les représentants des associations de médiation, partenaires de la juridiction, visant à l’objectivation des bonnes pratiques mises en place et à leur développement ».
Enfin, le président a attiré l’attention sur la nécessité d’une justice de proximité, une mission endossée par le pôle de proximité de la Seine-Saint-Denis, « communauté de travail sur huit sites distincts, sans oublier ici le maillage que constitue nos maisons de Justice et du Droit et notre investissement dans les maisons France service ».
Des défis forts, mais une juridiction innovante et en pleine mutation, voici désormais l’environnement de travail d’Eric Mathais.
Référence : AJU002j7