TA de Versailles : Marcelle Pipien première femme cheffe de juridiction administrative donne son nom à une salle d’audience
Le tribunal administratif de Versailles a décidé de baptiser sa principale salle d’audience au nom de Marcelle Pipien. Première femme cheffe de juridiction administrative, elle a également occupé la tête du tribunal administratif de la Cité Royale de 1979 jusqu’à sa retraite en 1986. Cette dénomination officialisée le 11 mars 2024 lors de l’audience solennelle conjointe avec la cour administrative d’appel versaillaise s’est tenue en présence de la famille de Marcelle Pipien.
Isabelle Pipien (à gauche) et Laure Pipien (à droite), respectivement la fille et la petite-fille de Marcelle Pipien
Au nom de la première femme cheffe de juridiction administrative de l’histoire contemporaine en France ! Marcelle Pipien est devenue le nouveau nom de la principale salle d’audience du tribunal administratif de Versailles. Le baptême s’est déroulé lors de l’audience solennelle de la juridiction le lundi 11 mars en présence de la fille et de la petite-fille de la défunte magistrate.
« C’est extrêmement chargé en émotions. On a une pensé permanente pour maman, son chemin, son exemple », insiste Isabelle Pipien à la fin de l’inauguration. La fille de Marcelle Pipien poursuit son propos en mettant en évidence une situation paradoxale. « Dans cette cérémonie, il y a quelque chose de l’ordre du décalage car nous la connaissions dans l’intimité, dans la simplicité, un peu timide et il y a dans cet événement une dimension solennelle inattendue. Elle a servi la République sans jamais penser à la récompense et je me demande comment elle aurait réagi aujourd’hui », s’interroge Isabelle Pipien les yeux pétillants d’émotions.
Marcelle Pipien : première femme cheffe d’une juridiction administrative
Face à elle, sa nièce Laure est tout aussi fière de porter l’héritage de sa grand-mère à travers cette inauguration et au quotidien comme professeure dans un lycée. « J’ai suivi son exemple car je suis fonctionnaire et je sers donc également la République qu’elle a servie avec dévouement, courage et constance », reconnaît la petite-fille de la magistrate honorée par le tribunal administratif de Versailles.
Le parcours de cette première femme cheffe d’une juridiction administrative a été rappelé durant l’inauguration à travers le discours de Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État chargé, ce jour-là, de baptiser la salle d’audience. Marcelle Pipien est née en 1920 et a grandi dans le département de la Nièvre. Issue d’une famille ouvrière, sa scolarité l’a amené jusqu’à l’École normale supérieure même si sa préparation à l’entrée a été interrompue par le début de la Seconde Guerre mondiale. Une période durant laquelle, la jeune femme de 20 a vécu seule sur Paris en occupant un poste de surveillante dans un collège tout en donnant des cours de français. « Il s’agit en ces temps sombres et troublés de pourvoir à ses besoins et d’envoyer à ses parents réfugiés en Ardèche ses tickets de rationnement », raconte le magistrat de la haute juridiction administrative.
Unique femme conseillère de tribunal administratif en 1954
À la Libération, Marcelle Pipien est intégrée au ministère de l’Éducation nationale comme rédactrice auxiliaire jusqu’en 1948 où elle est devenue secrétaire d’administration au Conseil d’État. Encouragée par une amie, la fonctionnaire de 30 ans s’est présentée au concours de la toute jeune École nationale d’administration (ENA). En 1951, elle a intégré la promotion « Paul Cambon » et a fait partie des premières femmes élèves de cet établissement formant aux postes de la haute fonction publique.
Diplômée de l’ENA, Marcelle Pipien est devenue, le 1er octobre 1953, conseillère de préfecture, les prémisses de la fonction de magistrat administratif. Une évolution qui est intervenue rapidement puisque la création des tribunaux administratifs est entrée en vigueur le 1er janvier 1954. Elle est devenue, à ce moment-là, la première et unique femme à intégrer le corps des conseillers de tribunaux administratifs. Après avoir exercé à Rouen, Marcelle Pipien a été mutée en 1955 au tribunal administratif de Versailles « afin de se rapprocher de son foyer familial », précise Didier-Roland Tabuteau dans son récit.
Les gâteaux apéritifs du tribunal administratif de Versailles
Engagée dans son activité professionnelle, la haut-fonctionnaire est devenue aussi mère. À la naissance d’Isabelle, une nourrice nommée Maria est arrivée au domicile des Pipien pour vivre avec eux au quotidien. « La confidente, celle qui a accompagné et écouté ma mère », se souvient sa fille qui se rappelle d’un autre moment de sa jeunesse. Dans les années 60, alors qu’elle était en primaire, Isabelle accompagnait sa maman au tribunal administratif de Versailles tous les jeudis.
« Je n’avais pas école le jeudi et maman m’amenait avec elle au travail. Pour m’occuper, elle me faisait tamponner les enveloppes marron format demi A4 avec la marque du tribunal administratif de Versailles. J’y mettais tout mon cœur et mon sérieux. J’avais le sentiment que la République veillait sur la justesse de mon geste », se remémore la fille de Marcelle Pipien. La confession se poursuit à travers un secret gourmand. « Pour faire cela, j’étais dans la salle du délibéré. Dans le placard de la bibliothèque de cette pièce, il y avait des gâteaux apéritifs. Entre deux tampons, parfois, je volais des biscuits », confie avec le sourire Isabelle Pipien, qui admet ne l’avoir jamais raconté à personne.
Marcelle Pipien et la première pierre du tribunal administratif de Versailles
Après huit ans dans la Cité Royale, la conseillère a obtenu une promotion en étant nommée présidente du tribunal administratif de Rouen. Elle est devenue ainsi la première femme cheffe de juridiction administrative de l’histoire. En 1977, la magistrate administrative a fait son retour au tribunal administratif de Versailles d’abord comme vice-présidente puis comme présidente en 1979. À la tête de la juridiction des Yvelines jusqu’à sa retraite en 1986, Marcelle Pipien a mené plusieurs projets comme les prémisses de l’informatisation des services administratifs ou la préparation du déménagement du tribunal dans l’actuel bâtiment de l’avenue de Saint-Cloud. Comme cheffe de la juridiction, elle a notamment posé la première pierre de l’édifice en 1984.
Ce lien avec la juridiction versaillaise est rendu aujourd’hui indéfectible grâce à la décision de dénommer la salle d’audience principale du tribunal administratif de Versailles Marcelle Pipien. Une plaque dévoilée par sa fille Isabelle et sa petite-fille Laure au moment de l’inauguration est accrochée aux portes de cette pièce pour le rappeler
Salle d’audience Marcelle Pipien du tribunal administratif de Versailles
Référence : AJU013a7