Affaire Traore : non la CIVI n’est pas sortie de son rôle dans ce dossier

Publié le 29/07/2020

L’ancien codétenu d’Adama Traoré qui l’accusait de viol a obtenu, le 12 mars, une indemnité de la part de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) du tribunal de Pontoise.

L’avocat de la famille, Me Yassine Bouzrou a déclaré suite à l’annonce de cette décision que « La CIVI n’a ni le pouvoir ni la compétence de dire qu’une infraction pénale est avérée » ajoutant que « si un témoignage devant un surveillant de prison remplace un dossier d’instruction contradictoire, autant supprimer juges d’instruction et tribunaux, on gagnera du temps ».

Emmanuel Le Mière, ancien bâtonnier de Coutances, estime pour sa part que la CIVI n’a fait que remplir sa mission. Explications. 

Affaire Traore : non la CIVI n’est pas sortie de son rôle dans ce dossier

Dans un article publié sur son site internet vendredi 24 juillet 2020, le Monde – reprenant une information du Point a relaté qu’un détenu de la maison d’arrêt d’Osny avait obtenu une indemnité de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) de Pontoise pour des agressions sexuelles dont il avait été victime pendant sa détention alors qu’il partageait sa cellule avec  Adama Traoré.

Une certaine émotion s’est  alors emparée de la sphère médiatique en raison du fait que la CIVI aurait explicitement précisé que « la matérialité des infractions » devait être « considérée comme établie ». Cette formulation a déclenché une polémique sur les réseaux sociaux et suscité l’indignation de la famille Traoré et de son avocat qui a pu affirmer, d’après l’article du Monde : « La CIVI n’a ni le pouvoir ni la compétence de dire qu’une infraction pénale est avérée ».

L’action publique s’éteint par la mort de l’auteur

Compte tenu de la teneur des échanges intervenus sur les réseaux sociaux dans le cadre de cette affaire, il semble opportun de rappeler le cadre dans lequel statue la CIVI et l’articulation de son intervention avec les actions publique et civile.

L’action publique est un monopole du ministère public ; elle tend à obtenir qu’une juridiction pénale déclare une personne coupable d’une infraction et lui applique une peine. De son côté, l’action civile est une prérogative accordée à toute personne victime d’un dommage pour faire prononcer par une juridiction la condamnation de celui par la faute duquel il est arrivé à lui payer une indemnisation de son préjudice. En général, l’action en indemnisation est portée devant les juridictions civiles dont c’est la compétence naturelle.

Mais il arrive que la faute génératrice du préjudice constitue également une infraction pénale. Dans ce cas, il est loisible à la victime de porter son action civile devant la juridiction répressive, ce qui lui permet de devenir un véritable acteur du procès pénal en lui conférant le statut de partie civile. Ce mécanisme est spécifique à la France et aux systèmes étrangers frottés de notre belle tradition juridique. Ailleurs, la juridiction répressive s’interdit de statuer sur les demandes indemnitaires. C’est ainsi qu’au procès de Dominique Strauss-Kahn, à New-York, la plaignante ne fut pas entendue comme partie civile, mais comme simple témoin, la question de son indemnisation ayant ultérieurement été portée devant une juridiction civile.

On l’aura donc compris, si la victime d’une infraction peut porter sa demande indemnitaire devant la juridiction pénale, c’est à la condition que l’action publique y soit concomitamment exercée. Si celle-ci est éteinte, la victime devra faire son deuil du procès pénal et porter ailleurs sa revendication indemnitaire. Or, l’action publique s’éteint par la mort de l’auteur de l’infraction, et ceci quand bien même elle aurait été introduite avant le décès.

En l’espèce, il restait à celui qui se disait victime d’agressions sexuelles commises par feu Adama Traoré la possibilité d’agir devant la juridiction civile contre sa succession dont il n’est pas assuré qu’elle eût présenté un solde bien positif. On comprendra que le plaignant ait ainsi préféré faire l’économie d’inutiles frais de justice.

Quand la CIVI entre en scène

C’est ici qu’intervient le mécanisme du « recours en indemnité ouvert à certaines victimes de dommages résultant d’une infraction » prévu aux articles 706-3 à 706-15 du Code de procédure pénale. Car en effet la République, toujours bienveillante à l’endroit de ses enfants malheureux, a conçu un système d’indemnisation des victimes des drames que l’époque considère comme les plus terribles.

Un fonds de garantie a donc été créé pour indemniser les victimes :

– d’accidents de la circulation (lorsque le véhicule impliqué n’est pas assuré);

– d’actes terroristes ;

– de certaines infractions dont les viols et les agressions sexuelles.

Les victimes d’infractions, qu’elles aient ou non obtenu un titre contre l’auteur devant une juridiction pénale ou civile, peuvent saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) instituée par le texte cité plus haut.

Une véritable juridiction

Comme ne l’indique pas son nom, il s’agit d’une véritable juridiction composée de deux magistrats de l’ordre judiciaire et d’un assesseur citoyen. Elle statue par des décisions susceptibles d’appel selon des règles procédurales qui lui sont propres mais qui garantissent le droit au procès équitable entre les parties, c’est-à-dire la victime et le Fonds de Garantie.

C’est à ce propos qu’est née la confusion qui a suscité la polémique : la CIVI ne déclare pas l’auteur coupable de l’infraction. Celui-ci n’est pas partie à l’instance et ne sera tenu de rien. Ce qui se joue là est une affaire entre la victime et la collectivité en la personne du Fonds de Garantie.

Néanmoins, le texte de l’article 706-3 du Code de procédure pénale est très clair : la CIVI doit vérifier que les faits à l’origine du dommage « présentent le caractère matériel d’une infraction » et que celle-ci fait partie de la liste de celles ouvrant droit à indemnisation. Aussi, lorsque la CIVI de Pontoise a estimé que les faits qui lui étaient déférés établissaient la « matérialité des infractions », elle n’a fait que répondre très précisément aux injonctions de la loi.

Constater la matérialité des infractions invoquées ne constitue pas dans ce cadre une déclaration de culpabilité à l’égard d’Adama Traore. C’est donc à tort que Me Bouzrou dénonce la motivation de cette décision en arguant du fait  que la CIVI serait sortie de son champ de compétence en procédant à cet exercice.

C’est ainsi. Et c’est heureux, car en l’absence de ce mécanisme, la victime du défunt n’aurait aucun droit à indemnisation, à l’inverse de celle du délinquant qui, de son vivant, aurait été pénalement condamné.

On peut encore ajouter que les audiences de la CIVI ont lieu dans le secret de la chambre du conseil et ne sont pas publiques, ce qui met en principe les causes qui y sont jugées à l’abri de la curiosité médiatique.

Mais on connait bien les défauts d’étanchéité des juridictions dans les affaires intéressant fortement les médias. Dès lors, « l’atteinte » portée à la mémoire d’ Adama Traoré a trouvé l’amplificateur médiatique que sa famille a bien voulu mettre en place. Il n’est pas acquis qu’on puisse en tenir la CIVI de Pontoise pour responsable.

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