Dans le prétoire : Le « gamin fou », les menottes et le taser

Publié le 10/09/2020

La 14e chambre du tribunal de Bobigny jugeait mercredi 2 septembre des parents pour violences  en réunion sur leur fils de quinze ans, « fragile psychologiquement ». Ils ont écopé de six mois de prison avec sursis.

Dans le prétoire : Le « gamin fou », les menottes et le taser
Palais de justice de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

C’est une « affaire un peu particulière », qui « demande plus de temps que les autres ». Deux heures – délibéré compris -, mercredi après-midi devant la 14e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny, celle des agressions et violences sur personnes – « l’antichambre des assises » souffle une avocate.

Les faits remontent à janvier 2018 : Sofian*, un garçon de quinze ans, a fugué alors qu’il tenait un stand sur le marché avec son père. Ce dernier signale la disparition à la police, en précisant que son fils a « des problèmes psychologiques ».

Des « traces de serrage » aux poignets

Quelques heures plus tard, Sofian se présente à l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) dans lequel il a été placé pendant deux ans. L’éducatrice note qu’il présente des « signes de délaissement » : une « mauvaise hygiène personnelle », des « vêtements abîmés ». Il a aussi des « traces de serrage » aux poignets.

Questionné par les éducateurs, l’adolescent explique que depuis qu’il a quitté l’ITEP, deux mois auparavant, ses parents l’attachent au lit, avec des menottes aux poignets et aux pieds, le frappent avec les mains et des objets et, « quand ça ne marche pas », utilisent le taser. Pour les repas, il mange les restes, enfermé sur le balcon ; ses frères et sœurs n’ont pas le droit de lui parler parce qu’il est « fou ».

Le commissariat appelle les parents quatre jours plus tard, ils ont retrouvé Sofian qui leur a fait les mêmes déclarations qu’à l’ITEP. Des photos sont prises, qui montrent des traces aux poignets et aux pieds, mais l’adolescent refuse de voir l’infirmière. « Ce qui est gênant dans ce dossier, c’est que Sofian n’a pas été vu par les experts médico-judiciaires », note la juge.

Les menottes ? Elles ont été achetées pour des jeux sexuels

Les parents sont entendus, ils nient les faits. Le père dit qu’il « sert très fort Sofian dans ses bras » quand son fils est en crise. Il a bien des menottes, mais elles ont été achetées pour des « jeux sexuels » et le taser, lui, sert « en cas de problèmes au marché ». La grande sœur, elle, assure aux enquêteurs qu’elle est « épanouie » dans sa famille et que Sofian n’est « pas attaché la nuit ». « Ses déclarations sont des copier-coller de celles de ses parents », remarque la magistrate. Lorsque les policiers annoncent à l’adolescent qu’il va retourner chez ses parents, ils notent qu’il est « triste » et dit « qu’il va se faire éclater ». « En lisant la procédure, précise la juge, on se rend compte que les policiers ne comprennent pas les décisions des magistrats de remettre Sofian à sa famille ».

Sofian repart avec son père, mais s’enfuit sur le chemin du retour. Il est vite retrouvé par les policiers et de nouveau remis à sa famille sur décision du procureur.

« — Est-ce que vous étiez d’accord pour reprendre votre fils ?, demande la juge au père.

— Bien sûr. Le jour où je l’ai récupéré, la policière, devant moi elle a appelé pour qu’il soit placé, le procureur a refusé. Elle m’a rabaissé devant lui en lui disant « Rentre avec ton père, je vais tout faire pour que tu sois placé». J’avais aucun pouvoir sur mon fils. Sofian, on ne sait pas ce qu’il a psychologiquement. On aimerait bien savoir sa pathologie, tous les psychologues disent qu’il a besoin d’aide, il n’aime pas les ordres, il fait des crises, il insulte, agresse…

— Les faits qui vous sont reprochés sont des violences sur Sofian, pas l’inverse. Vous aviez des menottes ?

— Oui, on les a utilisées une fois ma femme et moi, jamais sur lui.

— Le balcon ?

— Dès qu’il voit qu’il est pas bien, il va dehors, il prend son plateau.

— On a pourtant un rapport qui explique que le balcon est une sanction imposée à Sofian…

— Non, il y va tout seul ».

« C’est par jalousie »

Revirement du parquet après une nouvelle fugue de Sofian, quelques jours plus tard : ordonnance de protection, placement en foyer. Le procureur a l’initiative de cette décision est celui qui représente le ministère public aujourd’hui à l’audience.

« — Sofian est un enfant particulier, un garçon fragile qui se présente à l’ITEP avec des traces de serrage et des explications logiques, il est difficile de vous croire », lance-t-il aux parents.

— C’est par jalousie, répond le père, il veut faire partie de la famille (sic). Je ne lui en veux pas du tout, je sais qu’il n’est pas 100% apte, il imagine des choses.

— Il a besoin qu’on le regarde, ajoute la mère, raconter ça, c’était une façon de dire qu’il existe. »

Manuela Lalot n’y croit pas. L’avocate administratrice ad hoc a vu Sofian plusieurs fois. Elle rappelle qu’il y a déjà deux affaires pénales classées sans suite pour infraction insuffisamment caractérisées. En 2005, moins de deux ans après la naissance de l’enfant, le premier signalement est celui de l’hôpital où il est présenté avec de multiples fractures et une brûlure importante nécessitant une greffe et quatre semaines d’hospitalisation. A 5 ans, à la suite d’un signalement de l’école maternelle, Sofian est placé dans une famille d’accueil pendant un an.

Une solitude familiale, financière, sociale.

« La vraie raison de son départ du domicile parental, ce sont les maltraitances. Est-ce que pour autant il avait envie de mettre ses parents devant les tribunaux ? Ça n’est pas ce qu’il dit. ». Manuela Lalot lit les conclusions d’un rapport commandé en 2010 par un juge des enfants : « Il existe un risque majeur d’instrumentalisation de l’appareil judiciaire, les parents externalisent les problèmes en accusant la justice, l’école, la police, l’agresseur étant toujours l’autre ».

L’avocate est « très inquiète » pour Sofian, qu’elle n’a pas vu depuis le confinement. Il était alors placé à l’hôtel, « dans une solitude absolue 24 heures sur 24, une solitude familiale, financière, sociale… ». Elle a essayé en vain de le joindre pour le prévenir de la tenue de l’audience.

Le procureur : « Vous avez des éléments concrets de maltraitances : les traces de serrage aux poignets et aux jambes. Et un détail qui en dit beaucoup : Sofian dit qu’il a des fourmis dans les jambes. Et on imagine bien qu’un gamin attaché toute la journée, hé bien oui il a des fourmis dans les jambes. Les parents semblent avoir réponse à tout. Ils sont quand même en train de dire qu’un gamin de quinze ans a instrumentalisé toute la chaîne pénale pour être placé et que ses parents soient condamnés ! ».

Il requiert deux mois intégralement assortis de sursis, une peine très légère au regard des faits reprochés mais « adaptée et proportionnée », assure le procureur qui veut ainsi « rendre justice à Sofian ».

Pour l’avocate Perinne Pinchaux en défense de la mère, « il y a une absence de preuves dans ce dossier, rien n’est cohérent. Il n’y a pas d’éléments qui permettent d’entrer en voie de condamnation. »

Le tribunal en a décidé autrement en condamnant les parents à six mois de prison, intégralement assortis de sursis. « Le tribunal a décidé d’aller au-delà des réquisitions du procureur, explique la juge aux parents. Il a estimé qu’il y avait des éléments objectifs accréditant l’existence de ces violences, or ces violences sont graves.»

 

 

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