« Et ça porte quoi sous sa robe une petite avocate ? »
Notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier en a assez. Assez qu’on lui demande ce qu’elle porte sous sa robe, ou encore qu’on la traite de « bandeuse de racailles ». Assez qu’on lui manque de respect parce qu’elle est une femme avocat.
La profession d’avocat est une profession féminine. Selon une étude du ministère de la Justice, au 1er janvier 2019, « les avocats sont les seuls à compter une majorité de femmes dans leurs effectifs, contrairement aux autres professions judiciaires et juridiques réglementées : en 2019, les femmes représentent 56,4 % de l’ensemble des avocats contre 50,5 % dix ans auparavant. Le barreau de Paris fait partie des 12 barreaux qui concentrent le plus de femmes ». Nous sommes présentes partout, dans tous les domaines et dans tous les barreaux, même s’il existe encore des spécialités plus féminines que d’autres et d’immenses différences de revenus entre les hommes et les femmes.
Au barreau de Paris, depuis une réforme interne de 2014, il y a autant d’avocates que d’avocats membres du conseil de l’ordre. Nous avons imposé une parité qui n’arrivait pas naturellement. C’est une excellente chose qui a, évidemment, donné un nouveau souffle à notre Barreau.
« Vous êtes la collaboratrice de quel avocat ? »
De plus en plus de femmes talentueuses sont choisies pour intervenir dans des dossiers délicats, voir médiatiques et montent au front pour assurer la défense de leurs clients. Nous négocions, nous débattons, nous allons en prison, nous plaidons dans les cours d’assises. D’immenses avocates deviennent ainsi le modèle d’étudiantes et de jeunes avocates qui, j’en suis certaine, prendront un jour prochain le relais. Je ne peux que m’en réjouir moi qui n’avait, il y a 20 ans, que des modèles masculins.
Et pourtant…
« Et ça porte quoi sous sa robe une petite avocate ? » – entendu il y a 15 jours lors d’un dîner.
« Tu l’as eu comment ce client dis-moi c’est bizarre qu’il t’ait choisie ? » – entendu il y a 2 mois au tribunal.
« Ah, vous venez de Paris rien que pour lui ? » – entendu en début de semaine en audience.
« Vous êtes la collaboratrice de quel avocat, Maître » – entendu l’année dernière à la cour d’assises.
Je ne m’en plains jamais. J’encaisse et je trace ma route depuis bientôt 14 ans.
Je pensais bêtement qu’arrivée à 40 ans, ce genre de commentaire cesserait avec l’apparition des premières rides sur mon visage, mais je me suis malheureusement trompée et pour tout vous dire, je commence à en avoir assez, et je pèse mes mots, de ces allusions méprisantes envers les avocates.
La coupe est pleine !
Récemment, j’ai vu l’interview d’une consœur ayant défendu des prévenus dans les dossiers d’émeutes. Elle faisait état de la sévérité des peines prononcées dans ses dossiers. J’aurai pu m’attendre à des commentaires sur le contenu de son intervention, mais voici ce que j’ai lu :
« Un jour, faudra qu’on parle de la relation entre les avocates et les jeunes délinquants ».
« Des relations aux parloirs, cameront brouillée à ce niveau-là »
« C’est compliqué de se coiffer devant une caméra ? »
« Des bandeuses de racailles »
« La relation est tarifée »
« Les badboys, ça a toujours excité les femmes, enfin pas mal… »
« Fantasme de façade : à la fin, elles se chopent un bon vieux blanc bien bourgeois quand il est l’heure de fonder une famille »
« Elles espèrent toutes rencontrer Jacques Mesrine et vivre l’aventure Bonnie and Clyde. Sortie de leur routine de bourgeoise blanche qui les presse pour vivre le grand frisson de l’interdit. Renforcer ce sentiment de supériorité d’être un white savior à l’avant-garde sociétal ».
Une avocate défend des prévenus et forcément, on s’interroge sur l’éventualité de relations intimes entre eux. Il faut être honnête : ces commentaires ne concernent jamais les avocats. Toujours les avocates.
Des remarques désobligeantes et pitoyables
Depuis des années, nous, les avocates, encaissons ces remarques désobligeantes et pitoyables qui viennent nier tout le travail que nous faisons pour en arriver là où nous sommes. Nous n’avons rien volé à personne et nous travaillons très dur car nous le savons : il faut toujours être meilleures que les hommes car à nous, on ne pardonne rien. Nous avançons dans un monde qui a été réservé aux hommes pendant des décennies et visiblement, certains nous le font payer. Et nous le font payer cher.
Nous devons prouver, encore prouver, toujours prouver.
Travailler, encore travailler, toujours travailler.
J’en ai pris des réflexions sur la taille de mes jupes. Sur la couleur de mes ongles. Sur la hauteur de mes talons. Sur le fait que j’avais eu l’audace de porter un jean’s sous ma robe d’avocate.
Vous avez une voix fluette ? Vous êtes faible et vous n’avez pas les épaules.
Vous êtes trop féminine ? Vous couchez avec vos clients pour réussir.
Vous n’êtes pas féminine ? Vous vous relâchez et ne devez pas avoir assez de clients pour vous payer le coiffeur.
Il m’a même été demandé, il y a peu, combien je payais à Actu-Juridique* pour écrire mes articles. Comme si c’était inconcevable que je le fasse juste pour le plaisir et parce que j’ai, peut-être, un tout petit peu de talent.
Je n’ai, pour ma part, jamais mis en avant ma condition de femme.
Sous ma robe, il y a simplement moi. Et je suis une femme.
Cela fait 14 ans que je subis des réflexions de ce genre, que beaucoup se permettent des petites phrases sur un décolleté, un sourire, une remarque gentille à l’un de mes clients qui laisserait supposer qu’il s’est passé quelque chose entre lui et moi au parloir.
Je pourrais me justifier, et vous dire que je n’ai jamais ne serait-ce qu’accepté un café en dehors de mon bureau avec un client. Je pourrais me justifier en vous disant que je vouvoie tous mes clients, même ceux qui me tutoient, pour éviter tout malentendu qu’il n’y a pourtant jamais eu. Mais non, cela suffit de se justifier.
Alors que les choses soient claires : une avocate s’habille comme elle veut, entretien des relations intimes avec qui elle veut, plaide comme elle l’entend.
Tenez-vous le pour dit, nous n’avons de compte à rendre à personne. Et nous ne nous laisserons plus faire. Il va falloir l’accepter.
Et en attendant, foutez-nous donc la paix !
*NDLR : Sur un site d’information, comme dans un journal, on distingue traditionnellement – et déontologiquement – la partie rédactionnelle qui délivre de l’information sous forme d’articles, tribunes, interviews etc. d’une part, et la partie publicité. Seule la seconde est payante. Les contributeurs d’Actu-Juridique, qu’ils soient avocats, enseignants ou autres, ne paient pas pour y écrire. Ils sont choisis par la rédaction au regard de leur goût pour l’actualité juridique et judiciaire et de leur capacité à éclairer l’information par leur expertise.
Référence : AJU378671