La justice n’est pas une start-up !
En ce début d’année, que peut-on souhaiter à la Justice ? Certains au gouvernement la disent « réparée ». Les professionnels de la justice pointent de leur côté le délabrement de l’institution. Notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier prédit que le combat pour la sauver se poursuivra en 2022. Il y a urgence.
Chers fidèles lecteurs, j’aurais aimé vous présenter mes voeux le 31 décembre à 20 heures mais le créneau était déjà pris. Vous m’en excuserez, j’en suis certaine, d’autant plus qu’après une fin d’année chargée en manifestations de magistrats, d’avocats et de greffiers, on n’entend guère plus parler de la Justice (qui semble ne plus intéresser grande monde). Si ce n’est pour nous rabâcher qu’elle serait réparée.
En ce 3 janvier, je m’interroge : si la justice est réparée, que lui souhaiter pour 2022 ?
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Lorsque l’on devient avocat, on prête serment d’exercer sa profession avec « conscience, dignité, indépendance, probité et humanité ». Ce serment, qui colle à la robe de l’avocat, doit le guider lorsqu’il défend son client, lorsqu’il plaide pour lui, lorsqu’il le conseille.
En ce début d’année, je vais vous confier un secret : je ne cautionne jamais les actes de mes clients lorsqu’ils les ont commis. Et il le savent parfaitement. Je défends un homme accusé de viol, et non le viol lui même. Je défends un trafiquant d’héroïne, et non la consommation d’héroïne. Je défends celui qui a tué, non le crime d’homicide. C’est la raison pour laquelle je défends celui qui me le demande. A condition qu’il me fasse confiance et que nous puissions discuter de façon respectueuse.
Obtenir justice pour un client, c’est obtenir justice tout court.
La justice ? Un navire en train de couler
C’est faire perdurer nos grands principes du droit.
Une justice bien rendue est une justice qui satisfait toutes les parties en cause après les avoir entendues et avoir débattu avec elle. La justice est ainsi un équilibre. C’est pourquoi elle est représentée par une balance.
Aujourd’hui, la justice a de plus en plus de mal à être bien rendue. C’est un constat que dressent tous ceux qui ont eu affaire à elle.
En matière pénale, elle est rendue soit trop longtemps après les faits, soit trop rapidement dans le cadre des audiences de comparutions immédiates (ces audiences qui interviennent dans les heures qui suivent la commission d’une infraction ou de l’arrestation du suspect).
Comment peut-on attendre le procès de celui qu’on accuse de viol pendant 3 ou 4 ans ?
Comment peut on rester en prison pendant tout ce temps alors que l’on est présumé innocent et que l’on nie les faits qui nous sont reprochés ?
Pensez-vous sincèrement que la balance de la justice soit équilibrée dans ce cas là ? Non.
Au mois de novembre dernier, les magistrats et les greffiers ont commencé à révéler enfin au grand public l’état de l’institution judiciaire et la réalité de leurs conditions de travail. Nous, les avocats, nous le voyons tous les jours. Et nous en subissons les conséquences.
Pendant des années, leurs alertes, et les nôtres, sont restées sans suite.
Droite ou gauche, même constat : le budget alloué à cette justice dont nous avons tant besoin n’est pas suffisant et il est mal réparti.
Le résultat ? Des juges surchargés de travail qui n’ont que quelques heures par an pour entendre un suspect ou une partie civile, quelques minutes pour entendre un père qui veut voir ses enfants, des jugements rédigés rapidement et de moins en moins motivés que l’on attend pendant des mois. Des greffiers indisponibles qui sont au bout du rouleau et quittent le navire de la justice en train de couler.
Le combat ne s’arrêtera pas
La justice ne pourra jamais fonctionner comme une « start-up » pour la simple et bonne raison qu’elle doit juger la misère de nos vies, les atrocités de notre société, nos blessures et nos douleurs. Elle nécessite du temps, mais du temps de qualité. Parce que nous le méritons.
Quand je vois l’état de l’institution, il m’arrive de souhaiter n’avoir jamais affaire, à titre personnel, à la justice de mon pays.
Et c’est justement pour cela que je continuerai à me battre pour que ceux que je défends aient le temps qu’ils méritent et la justice dont ils ont tant besoin pour continuer leur vie.
En 2022, le combat pour la justice ne s’arrêtera pas, loin de là. Il faudra qu’elle cesse d’être rendue en pleine nuit. Il faudra que ses tribunaux aient du chauffage, des stylos, de l’encre et du papier. Il faudra que ses couloirs ne soient plus inondés à la moindre tempête. Il faudra bien entendu que ses audiences ne soient plus retardées par les arrêts maladie de ses greffiers en burn out et de ses magistrats au bord de la dépression. Il faudra également qu’elle ait du temps pour enquêter sur toutes les plaintes : oui, toutes les plaintes. Et j’en passe…
Souhaitons lui donc d’être enfin réellement réparée mais aussi, et peut-être surtout, respectée. Car elle autant besoin d’argent que de reconnaissance et d’espérance.
Référence : AJU266330