L’avocat, la vérité et la justice

Publié le 21/11/2022

« Ce qui compte pour un avocat, c’est le respect du droit » plus que la vérité, a confié récemment Me Hervé Témime lors d’une interview sur la chaine LCP. Notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier nous explique ce que cela signifie dans sa pratique quotidienne. 

L'avocat, la vérité et la justice
Allégorie de la Justice – Première chambre de la cour d’appel de Paris (Photo :© P. Cabaret)

« Pour un avocat, ça n’est pas la vérité qui prime.

C’est choquant, mais si la vérité prime pour vous, il faut être policier ou juge.

Ça ne veut pas dire que la vérité ne vous intéresse pas.

Ce qui compte pour un avocat, c’est le respect du droit. Et le droit c’est quoi ? C’est qu’une personne contre laquelle les preuves réunies ne sont pas suffisantes ne soit pas condamnée ».

Les mots, toujours très justes et pesés d’Hervé Temime m’ont fait penser à ce que j’entends souvent lorsque l’on m’interroge sur mon métier : « ça ne te dérangerait pas de faire acquitter un violeur ? ».

On ne fait jamais acquitter un coupable, mais un innocent

« Pas le moins du monde », ai-je souvent envie de répondre de façon provocante. Mais je ne suis pas persuadée que j’élèverai le niveau du débat !

En réalité, je ne « fais jamais acquitter un coupable » mais un innocent. Car, aux yeux de la loi, que je respecte, celui qui est acquitté (par une cour d’assises) ou relaxé (par un tribunal correctionnel) est effectivement innocent.

J’espère que, dit comme cela, vous me trouverez moins choquante.

Alors j’ose aller plus loin : je ne suis pas à la recherche de la vérité.

La vérité m’importe, évidemment, mais ce n’est absolument pas ce que je recherche lorsque je défends un client.

Et c’est une évidence que je vais vous expliquer.

Pourquoi l’avocate que je suis n’est-elle pas en quête de vérité ?

Ce qui compte, ce sont les preuves

Tout simplement car le système de droit français est fondé sur la preuve. Et donc, sur l’idée que celui qui est suspecté reste innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné : c’est la fameuse présomption d’innocence sur laquelle j’ai beaucoup écrit.

Entre le moment où une personne est suspectée et le moment où elle est jugée, il faut trouver des preuves de sa culpabilité. Remettre en cause la présomption d’innocence revient à remettre en cause l’idée même d’enquête, et donc à condamner sans preuve.

Trouver des preuves contre un suspect, c’est le rôle des policiers.

Dire que les preuves sont suffisantes pour condamner, c’est le rôle des juges.

Et l’avocat dans tout cela ?

L’avocat, lui, discute de ces preuves. Sont-elles sérieuses ? Obtenues conformément à la procédure pénale ? Sont-elles contredites par d’autres éléments du dossier ? La parole du client est-elle confirmée par des éléments extérieurs ?

Pour condamner, il faut évidemment des preuves suffisantes.

Car condamner, c’est un acte grave et sérieux.

Priver une personne de liberté pour des années l’est encore plus.

Je garde toujours à l’esprit que le policier peut se tromper. Le juge aussi.

Accepter de se tromper, douter de soi-même, se poser des questions n’est pas signe de faiblesse, bien au contraire : c’est le signe qu’il faut aller plus loin, étudier toutes les hypothèses pour fermer des portes et tendre vers la vérité. Vers ce que l’on croit être la vérité lorsque l’on est enquêteur ou magistrat.

Alors l’avocat débat de ces preuves et les critique.

L’avocat n’est pas contre la justice.

L’avocat n’est pas contre les enquêtes.

L’avocat n’est pas contre les condamnations.

L’avocat cherche à obtenir des condamnations justes et sérieuses, fondées sur des éléments incontestables. Et lorsque cette justice est bien rendue, elle est comprise et acceptée de tous : celui qui est condamné, évidemment, mais aussi les parties civiles.

À défaut de preuves suffisantes, il ne doit y avoir aucune condamnation.

C’est la justice qui fait la paix sociale

Ce système nous protège de la vindicte populaire et des condamnations publiques à l’emporte-pièce comme nous en avons connu il y a des siècles. Et qui ne doivent évidemment pas redevenir la norme dans notre société de l’outrance médiatico-judiciaire que je dénonce souvent.

D’expérience, je sais également que la vérité des uns n’est pas forcément celle des autres… Dans notre vie de tous les jours, confrontées à une même situation, deux personnes vont en avoir une vision différente et subjective. Qui croire ? Qui a raison ? Qui dit vrai ?

Peut-on encore se tromper par les temps qui courent ?

Avez-vous donc toujours raison ?

Il faut ainsi des éléments extérieurs et objectifs pour tenter de se rapprocher de la fameuse vérité qui fera justice.

C’est un équilibre à trouver.

Une balance, celle de la justice, qui pèse et soupèse les différentes versions, les différentes preuves, les différents éléments objectifs.

Je ne recherche jamais la vérité lorsque je porte ma robe d’avocate.

Je souhaite la justice.

Parce que c’est la justice qui fait la paix sociale et qui répare. Et pas autre chose.

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