« La solidarité qui demeure entre avocats et magistrats est remarquable »

Publié le 27/02/2020
Pour dénoncer une justice à bout de souffle, magistrats, avocats et fonctionnaires de justice ont annoncé hier 26 février la première de la journée de la justice. Elle aura lieu le 12 mai prochain.  Katia Dubreuil, présidente du syndicat de la magistrature, nous explique de quoi il s’agit.

Actu-Juridique : Quelles sont les raisons qui ont présidé à la création de la Journée de la justice ?

Katia Dubreuil : Cela fait deux ans que les professionnels de la justice sont très unis, ils ont combattu la loi de programmation ensemble, partagé le même sentiment de ne pas être écoutés, dressé le constat commun d’une justice de plus en plus incapable de jouer son rôle en raison de son manque structurel de moyens. Nous avons voulu voir ce que donnait la loi de programmation ; les première semaines confirment nos craintes : l’entrée en vigueur de la loi est de nature à appauvrir encore davantage le fonctionnement de la justice. Comme d’habitude, les mesures ont pour seul objectif de mettre en place un fonctionnement dégradé de l’institution afin de pallier l’insuffisance du budget. Par exemple en instituant l’exécution provisoire pour décourager l’appel, ou encore en spécialisant les juridictions pour éloigner la justice des justiciables. Cela engendre une perte de sens et une souffrance pour les professionnels, et une baisse de qualité pour les justiciables.  D’une certaine manière, la grève des avocats a un aspect positif ; elle attire l’attention sur la situation de la justice. C’est une occasion que nous ne devons pas manquer. 

"La solidarité qui demeure entre avocats et magistrats est remarquable"
Manifestation des avocats place de l’opéra le 3 février 2020 (Photo : P. Cluzeau)

Actu-Juridique : Que se passera-t-il le 12 mai  ?

KD. : L’idée consiste à mobiliser les juridictions dans les semaines à venir pour faire remonter les doléances. On cite souvent les chiffres de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) pour démontrer que la France n’accorde pas à la justice les moyens à la hauteur de sa tâche, mais c’est très théorique. Nous voulons avoir une photographie précise de ce que ça implique concrètement : quels sont les contentieux que l’on ne parvient plus à traiter, ceux que l’on traite mal par exemple en tenant des audiences sans greffiers ou bien à juge unique alors que la formation devrait être collégiale,  par manque de personnel. Nos délégués seront invités à travailler avec les autres professionnels de justice à l’échelon local. Et nous présenterons les résultats le 12 mai.

Actu-Juridique : La Chancellerie a apporté son soutien aux magistrats face à la grève des avocats. Elle envoie des messages aux juridictions pour défendre sa réforme des retraites. On voit aussi certains de vos collègues s’irriter fortement de la grève, comment analysez-vous cette situation ?

KD. : Nous refusons de nous laisser diviser. Les problèmes de la justice sont structurels et n’ont rien à voir avec la grève des avocats qui ne fait que les mettre en lumière. Par exemple leurs actions de défense massive montrent qu’habituellement en comparution immédiate, au moins dans les grandes et moyennes juridictions, on ne consacre pas le temps et les moyens qu’il faudrait à chaque dossier. Or, cela devient un mode privilégié de poursuites en matière pénale, ce qui en fait une machine dévorante mobilisant sans cesse davantage de magistrats au détriment du traitement des autres contentieux. Quant au fait qu’il y ait des mouvements d’humeur et des avis différents, c’est normal de ne pas tous avoir la même opinion. Par ailleurs, la situation est très difficile, elle pousse sans cesse à faire des arbitrages dans des dossiers parfois lourds d’enjeux, la période est très dure, indiscutablement. Mais ce que nous vivons aujourd’hui est le retour de manivelle de ces dix dernières années durant lesquelles on a épuisé les magistrats et les fonctionnaires de greffe en ne remplaçant pas les postes vacants. Ils vont tous très mal. Dans ce contexte, la solidarité qui demeure entre avocats et magistrats est assez remarquable.

Propos recueillis par Olivia Dufour