Léo, 6 ans : « Je veux que papa et maman ne nous tapent plus »
En chambre correctionnelle à Meaux (Seine-et-Marne), l’avocate de trois enfants de 6, 7 et 9 ans a exprimé leurs principaux souhaits : « ne plus être frappés » et « avoir de la bonne nourriture ». La procureure a requis une lourde sanction contre les parents maltraitants, « eux-mêmes brisés par la violence ».
Véronique et Vincent, serrés l’un contre l’autre tels des pigeons frigorifiés, écoutent Me Maud Silberberg, qui représente leurs trois enfants. Au cours des débats, le jeune couple de 32 ans a paru osciller entre deux sentiments : la honte de comparaître à la barre d’un tribunal et l’incompréhension face aux délits reprochés, violence par ascendant sur des mineurs, soustraction à leurs obligations légales de parents compromettant notamment la santé et l’éducation au foyer familial.
Mais là, à 20 heures, tandis que plaide l’avocate des parties civiles, Vincent et Véronique réalisent l’ampleur de la tristesse de leurs petits garçons et de leur fille aînée qui pose des mots douloureux sur la situation : « J’ai très peur qu’il leur arrive quelque chose », dit d’abord Marie*, par la voix de son conseil. Puis elle résume ce qui lui manque à la maison – « à manger et des douches » – et ce qu’elle espère : « Qu’ils ne me frappent plus. »
Véronique pleure. Vincent est livide.
Hématomes, ecchymoses, cicatrices, eczéma…
Leur procès a débuté trois heures auparavant. Le couple s’est avancé, lui tout en noir, elle en short et chemise rayée. Ils se ressemblent étonnamment. « Deux gosses brisés en compagnonnage », selon la procureure Valentine Géraud. « On examine rarement des dossiers de souffrance d’enfants qui ont faim », précisera-t-elle, pointant d’entrée le drame exposé, ce lundi 13 juin, à la 1re chambre correctionnelle de Meaux.
Marie, Léo* et Tom* n’endurent pas « juste » des coups, des punitions : ils sont sous-alimentés et sales. A l’école, apprend-on, « Léo, 6 ans, n’a pas de copains à cause de son odeur ». La précision est un crève-cœur.
Les faits retenus par la prévention s’étirent du 1er janvier 2017 au 29 mars 2022, soit une éternité dans la courte vie de ces trois petits. La présidente Isabelle Verissimo rapporte qu’ils « ont déjà été placés », qu’ils le sont de nouveau. La police est intervenue après que l’institutrice de Léo a signalé des blessures. Dans le rapport des unités médico-judiciaires, il est question d’hématomes, d’ecchymoses, de cicatrices, d’eczéma. Marie a de surcroît mentionné des agressions sexuelles, que l’enquête n’a pas pu confirmer.
« Je leur mets des tapes, pas des coups de poing ou de pied »
La juge lit les procès-verbaux d’audition. Tom, 7 ans : « Hier [le 28 mars, veille de garde à vue], papa et maman ont commandé à manger que pour eux, ils n’avaient plus d’argent pour nous (…) Maman met des coups de poing. J’en ai marre d’aller au coin. » Léo : « Elle tape plus fort que papa. » Marie : « Je reçois des coups de pied, des gifles. Je vole dans le Frigidaire pour manger. » L’aînée déplore ne pouvoir laver ses dents plus que « deux à trois fois par semaine », « avoir des poux ». L’institutrice témoigne d’un « état d’épuisement quand elle arrive à l’école ».
La famille de Véronique confirme « le manque d’hygiène à la maison », les « fins de mois difficiles ». Sa sœur : « Elle les insulte avec des vulgarités et crie beaucoup, les tape. » Visage anémié encadré de longs cheveux bruns, la mère encaisse la charge. Face aux policiers, elle avait tout nié. Au procès, elle admet « un laisser-aller à la maison » et « des tapes de temps en temps, je ne peux pas m’en empêcher, mais pas de coups de poing ou de pied ».
La présidente : « – Est-il vrai que vous tirez les cheveux de votre fille ?
– Oui, pour la rattraper lorsqu’elle court dans la rue.
– Et vous, monsieur, que dites-vous des déclarations de vos enfants ?
– Je les mets au coin, oui, mais je n’aime pas les violences. Il y a quelques années, je leur mettais des fessées. La juge aux affaires familiales m’a dit que c’est interdit, j’ai arrêté. Ils ne m’ont jamais dit qu’ils étaient battus par leur mère. »
« Et la saleté dans l’appartement, les excréments d’animaux ? »
Vincent admet « un gros problème de budget » en réponse à la procureure Géraud qui pointe l’utilisation des ressources du ménage : un seul salaire et les allocations familiales dépensés en dépit du bon sens. Elle énumère : des ordinateurs et consoles de jeux, cinq iPhone, deux voitures, une moto, une télévision à écran géant. « – Et un frigo vide ?… renchérit la juge. Vous commandez à manger pour vous et donnez de la purée aux enfants ? »
« – Il y avait une saucisse, avec la purée.
– Et la saleté dans l’appartement, les excréments d’animaux ?
– Oui, il y a eu un certain relâchement.
– On était en garde à vue, ajoute Véronique, les chats ont envoyé les crottes hors de la litière. » Le chien abandonné s’est aussi soulagé.
Isabelle Verissimo dispense un cours d’hygiène : « Un enfant, on l’encadre et on le prémunit contre les maladies, les caries, les bactéries. » Le parquet s’étonne : « – Pourquoi faire trois enfants si on est incapable de les élever ?
– On a la capacité, objecte Vincent. Depuis, on a fait le ménage, on a retiré les encombrants.
– Pensez-vous pouvoir récupérer vos fils et votre fille ?
– Là, non… C’est mieux qu’ils soient placés.
– Je salue votre honnêteté. »
« Je suis désolée que personne ne vous ait protégés »
Commence alors la plaidoirie bouleversante de Me Maud Silberberg, avocate au barreau de Meaux. Ni reproches ni jugement sur les défaillances, seule compte la parole des enfants, qu’elle restitue. Tom : « J’aimerais arrêter de manger des soupes, qu’ils fassent du propre et qu’ils posent le papier peint Marvel dans ma chambre. » Léo : « Je veux qu’ils écrivent sur le Frigidaire “arrêter de taper” et avoir de la bonne nourriture. » Marie désire « ne plus avoir faim ».
« Vos enfants sont très gentils, ils vous aiment. Mais ils n’envisagent pas de rentrer chez vous tant que vous les battrez », conclut-elle.
La procureure Valentine Géraud évoque « les mineurs, sacrés, et pourtant premières victimes de la société. La violence gangrène les âmes qui à leur tour violentent ». L’audience ayant révélé que les prévenus ont été battus durant leur enfance, elle se dit « désolée que personne ne vous ait protégés comme on protège aujourd’hui vos enfants ». Véronique est en larmes.
La représentante du ministère public insiste sur les dépositions des petits, « qui restent protecteurs de vous, qui vous veulent du bien même lorsque c’est difficile pour eux ». S’appuyant sur la réitération des faits, les propos concordants, le défaut de soins, elle requiert contre Véronique deux ans et demi de prison, dont six mois sous bracelet électronique, une surveillance durant cinq ans ; deux ans de sursis à l’encontre de Vincent, une probation jusqu’en 2025.
En défense, Me Franck Mouly souligne « l’immaturité » de ses clients, qui « sont honteux. Ils ne viennent pas ici les mains dans les poches, ils savent devoir cheminer ». Il sollicite la relaxe pour Vincent, de l’indulgence pour Véronique, « qui est dépassée ».
Il sera entendu. A 21 h 30, la mère est condamnée à sept mois de prison, le père à trois mois, peines assorties du sursis. Le tribunal rend aux enfants leurs trois iPhone, placés sous scellés. Véronique et Vincent quittent la salle, toujours serrés l’un contre l’autre. Ils sourient pour la première fois, tandis que la procureure réfléchit à un appel du jugement.
* Prénoms modifiés
Référence : AJU301243