Ma liste au Père Noël pour la justice

Publié le 22/12/2022

Noël, c’est le temps des souhaits et des rêves. On peut imaginer par exemple, quand on est avocat, ce qu’on pourrait demander au garde des Sceaux s’il se changeait en Père Noël. Voici la lettre que notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier a décidé d’adresser au ministre de la justice Éric Dupond-Moretti.

cadeau, échange, Noël
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Cher Père Noël, Cher Éric,

J’ai été très sage cette année.

J’ai payé toutes mes charges professionnelles. J’ai alimenté ma caisse de retraite alors que le gouvernement dont tu fais partie s’apprête à intégrer mon régime autonome et indépendant au régime général, ce qui va affaiblir financièrement l’immense majorité des avocats et, de surcroît, porter atteinte à notre indépendance. Notre liberté risque d’être sacrifiée sur l’autel du déficit budgétaire et j’en suis agacée. En 2020, les 164 barreaux de France se sont opposés à ce projet de réforme lors d’une grève exceptionnelle jamais vue auparavant : j’ose croire que sous le sapin des plus de 70.00 avocats de France, tu mettras ton opposition farouche à ce projet.

Il faut sanctuariser le secret professionnel

J’ai aussi, cette année, tenté de protéger mon secret professionnel, socle de la profession d’avocat. J’ai manifesté dans le calme, j’ai écrit, beaucoup écrit. Et malgré tout cela, la Cour de Cassation vient de porter un (nouveau ?) coup de couteau à ce secret en décidant qu’il ne s’appliquerait pas aux conversations et échanges entre le secrétariat d’un avocat et son client. Toi qui as exercé pendant plus de 35 ans avec talent, je compte sur ton soutien pour y remédier. Sous le sapin, un projet de loi pour sanctuariser le secret professionnel de l’avocat ne serait pas de trop ! Ton gouvernement ayant l’habitude de légiférer pour contrer des décisions de magistrats qui ne lui plaisent pas, qu’il le fasse cette fois-ci à bon escient. Le secret professionnel est un gage de justice et l’un des fondements de notre État de droit, tu le sais.

Et puis cette année, j’ai écouté, j’ai conseillé, j’ai plaidé. J’ai été l’avocate que je devais être. Enfin, je crois.

J’ai reçu beaucoup de clients, inquiets, apeurés par l’idée d’avoir à faire à la justice de leur pays. Des pleurs… Il y en a eu beaucoup. Des envies de baisser les bras, d’abandonner, de se laisser faire.

Ce qui m’a amenée à conclure que le métier d’avocat est un sport de combat. On combat tout, tout le temps, y compris le désespoir de nos clients.

Ce désespoir grandit. Et avec lui, la colère et donc, la violence.

Si tu savais le nombre de fois où j’ai entendu « à quoi bon maître ? ».

Des prisons humaines

J’ai défendu de nombreux mis en cause, dont ce jeune homme devant la cour d’assises de Saintes, qui sera dans mon cœur d’avocate à jamais. L’humanité de certains de mes clients m’inspire le respect. Leur volonté de s’en sortir aussi. Tu le sais, avant de faire la pluie et le beau temps place Vendôme, tu plaidais toi aussi dans ces cours d’assises que tu t’apprêtes pourtant à faire disparaître. La relation entre un avocat et son client est parfois mal comprise, mais elle ne t’est pas inconnue à toi.

Ce jeune homme. J’espère que sous son sapin, tu lui mettras des encouragements pour aller de l’avant et se construire un nouvel avenir, loin de la criminalité. Il est sur la bonne route, je crois. Je pense évidemment à lui, mais aussi aux autres, qui passeront Noel derrière les barreaux, dans des cellules surchargées qui font la honte de mon pays. Nos prisons sont tellement une honte que le Conseil d’État n’hésite plus à reconnaître que certaines cellules sont indignes et que les détenus y vivent dans des conditions inhumaines et dégradantes. En 2022 : INHUMAINES ET DÉGRADANTES dans une décision du Conseil d’État… Nos prisons sont tellement une honte que la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, dans une indifférence quasi générale. Traiter nos détenus comme des animaux fait de nous leurs bourreaux. Ni plus, ni moins. Et je crois que nous valons mieux que cela.

Il n’y a plus de chauffage à la prison de Nanterre.

Cet été, l’un de mes clients détenu à Poitiers Vivonne a passé plusieurs semaines à batailler pour que des cafards ne lui rentrent pas dans les oreilles la nuit. Je passe sur les douches 2 ou 3 fois par semaine seulement et l’absence d’application du principe de l’encellulement individuel…

Formation, étude, enseignement ne sont pas assez développés dans nos prisons de sorte que j’ai des clients qui passent plusieurs mois emprisonnés sans suivre un cours de français, apprendre les mathématiques ou ouvrir un livre… Parlons en des livres d’ailleurs ! Comment se fait-il que ce soit considéré comme un objet dangereux à tel point qu’un avocat ne puisse pas en laisser un à son client ?

J’espère donc que sous le sapin de tous ces détenus, tu mettras de la dignité et du respect.

Pas de cours criminelles départementales 

Cette année, j’ai aussi reçu et défendu des femmes violées. Tu sais, celles qui se grattent les avant-bras jusqu’au sang lors du premier rendez-vous dès qu’elles parlent du crime dont elles ont été victimes. Celles qui t’envoient des SMS le samedi soir à minuit pour te dire qu’elles vont mettre fin à leur vie. Celles qui t’appellent un dimanche pour te dire qu’elles sont dans la rue à la recherche d’un homme à tuer pour se venger.

Ces femmes, je les aime et j’admire leur courage. Parce qu’il en faut de la force pour affronter la justice, lente, longue, parfois silencieuse à leurs douleurs.

Le viol est un crime et il doit rester jugé par une cour d’assises et par les Français. Ta loi visant à évoquer ces dossiers devant cette création lunaire des cours criminelles départementales est une aberration dans la lutte contre les crimes sexuels. C’est une insulte à toutes les femmes qui se sont battues pour que le viol soit reconnu comme un crime.

J’espère que, sous leur sapin, tu mettras un terme à cette généralisation qui va, tu le sais, entraîner la suppression, à terme, de la cour d’assises et de son jury populaire.

Et puis j’ai aussi défendu des parents, beaucoup de papas, qui ne voient pas leurs enfants pendant des mois et des mois, le temps qu’un juge aux affaires familiales rende une décision. Attendre, encore attendre pour pouvoir passer quelques heures avec ses enfants. À Nanterre, il faut compter près de 12 mois pour avoir une audience. Dans certaines juridictions, à Toulouse par exemple, il n’y a plus de dates disponibles pour divorcer. À la cour d’appel de Paris, des audiences sont fixées en 2024, voire en 2025… Quant aux policiers, ils rechignent à recevoir les plaintes pour « non-présentation d’enfant », et de toute façon, aucune enquête n’est jamais faite à la suite d’une telle plainte. Si tu savais le nombre d’appels de papas que je reçois le vendredi soir pour me dire que le policier refuse de prendre leur plainte alors qu’un jugement a été rendu.

J’espère que sous le sapin de ces parents, tu mettras des bons « formation pénale » pour les policiers, ainsi que des embauches de magistrats, de greffiers. Des gens qualifiés en somme.

Des moyens, encore des moyens !

Pour terminer cette lettre à mon Père Noel, cher Éric, je souhaite plus généralement que tu portes la voix de tous. Tout le monde s’accorde dans le monde judiciaire pour dire que nous manquons de moyens. Le budget que tu qualifies d’exceptionnel n’est toujours pas suffisant : il faut faire plus, beaucoup plus. Il y a des juges et des greffiers qui souffrent dans les couloirs des palais de justice. De la souffrance, il y en a aussi dans ma profession d’avocat. Cette souffrance qui grandit et s’exprime, il faut l’entendre.

Je suis devenue avocate pour défendre, pour porter la voix de ceux qui ne sont pas entendus, des faibles que les forts ignorent. Je ne supporte pas l’injustice, je ne supporte pas que mes clients n’aient pas la parole et ne soient pas considérés comme ils doivent l’être : des justiciables, égaux en droits.

Il n’y a pas de sous-homme.

Il n’y a que des hommes qui ont besoin de justice.

Et je continuerai à me battre pour eux.

Alors j’attendrai patiemment le 24 décembre au soir que tu viennes déposer tout cela sous le sapin des Français. Je te laisserai un petit verre de vin rouge et quelques tranches de saucisson devant ma fenêtre ouverte car je sais que le travail sera long et qu’il te faudra des forces. Je te laisserai aussi une clémentine car c’est plein de vitamines et qu’il va te falloir de l’énergie pour continuer à supporter ceux qui « braillent », comme tu dis, pour défendre une justice de qualité envers et contre tout.

Je compte sur toi.

Merci Cher Père Noël, Cher Éric.

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