Outreau : l’interminable fiasco

Publié le 27/01/2023

Lors de la diffusion sur France 2 d’une série documentaire sur l’affaire Outreau, plusieurs personnes dont des figures importantes du paysage médiatique comme Karl Zéro et Françoise Laborde, ont remis en cause le bien fondé de certains acquittements. Des réactions que notre chroniqueuse judiciaire Me Julia Courvoisier trouve très inquiétantes. 

Outreau : l'interminable fiasco
Photo : @AdobeStock/Dom

Je n’y suis jamais allée et pourtant ce nom fait partie de ma vie. En 2001, j’étais à la faculté et je me destinais à faire du droit des nouvelles technologies quand ce fiasco judiciaire a ébranlé mon quotidien d’étudiante.

À l’époque où la présomption d’innocence était déjà en voie de disparition, dix huit personnes ont été placées en détention provisoire pour avoir commis des viols (notamment) sur quatre enfants. Des notables de la ville qui auraient violé les enfants du couple Delay-Badaoui, en grande difficulté sociale.

Évidemment que la presse a aimé cette affreuse affaire et que nous avons tous, moi compris, été pendus aux nouvelles pendant des semaines.

Une accusatrice mythomane professionnelle qui violait ses enfants avec son conjoint et ses deux voisins dans une petite cité ouvrière du nord de la France.

Nécessairement coupables car notables

Quatre enfants victimes de viol dont la parole a été jugée « crédible » par des experts de la vérité.

Des assistances sociales bien trop bavardes.

Des mis en examen nécessairement coupables car « notables » qui crient leur innocence depuis leurs cellules de prison.

Des dizaines de demandes de remise en liberté. Toutes rejetées.

Un accusé qui meurt en prison avant même d’être jugé.

Et je ne parle même pas des policiers et du déroulement de leurs auditions.

Le 2 juillet 2004, sept des dix-sept accusés sont acquittés. Les parents des enfants et le couple de voisins sont condamnés. Ainsi que six autres accusés qui font appel.

Le 1er décembre 2005, ils sont acquittés par la cour d’assises d’appel de Paris.

Un avocat général qui requiert l’acquittement non pas au bénéfice du doute mais parce que ces six derniers accusés là sont certainement innocents.

Des avocats de la défense qui ne plaident pas.

Un Président de la République Française qui s’excuse au nom de la Justice le 13 décembre 2005.

Une commission d’enquête parlementaire qui a eu le mérite de nous donner la nausée sur ce dossier et sur les défaillances, à tous les niveaux, de la justice.

L’indécence va toujours plus loin

Puis plus rien, jusqu’au 17 janvier dernier.

Je pensais que, 20 ans plus tard, nous en tirerions tous deux leçons fondamentales :

*d’abord, le fait que la présomption d’innocence dans notre système de droit n’est pas une lubie d’avocats farfelus,

*ensuite, la nécessité de mener des enquêtes pour confirmer, nuancer, infirmer ou préciser les accusations que peuvent porter des enfants, de très jeunes enfants.

Mais aussi, l’importance de ne pas avoir de certitudes sur un dossier que l’on ne connait pas : et je le concède, ce n’est pas évident. Je fais encore moi-même des erreurs lorsque je tweete. Avoir un avis sans en faire une information certaine, c’est délicat avec les réseaux sociaux.

Eh bien non. Comme quoi, le monde actuel continue de m’étonner dès qu’il s’agit de justice. Et à chaque fois, l’indécence va encore plus loin.

Karl Zéro a tweeté :

Avec une vidéo vue 37.000 fois.

#Complot.

Andréa Bescond, interrogée sur TV5Monde, a parlé d’une « douzaine de victimes, d’une cinquantaine de plaintes d’enfants classées sans suite », et de se demander : « qui a violé ces enfants ? ». Car selon elle « le vrai fiasco c’est que pour l’instant, il n’y a pas de justice pour ces enfants là ». 89.300 vue pour cette vidéo.

#Complot.

Françoise Laborde y est aussi allée de son petit commentaire twitter :

. 67.900 vues pour cette prise de parole.

#Complot.

Et j’en passe. Je n’arrive même pas à tout lire tellement je suis écœurée.

Que faut-il donc pour briser le cercle infernal de la défiance vis à vis de la justice ?

Alors comme toujours, je m’interroge.

Comment avons-nous pu en arriver là ?

Comment, 20 ans plus tard, peut-on encore croire que ces acquittés seraient en fait coupables ?

Comment peut-on vivre dans une société où la décision judiciaire n’est plus crue ni respectée ?

Des avocats viennent dire que l’acquittement est fondé : certains ne les croient pas.

Des magistrats viennent dire qu’ils se sont trompés, ce qui est rarissime : certains ne les croient pas.

Les enfants des innocents acquittés viennent dire qu’ils n’ont jamais été violés par leurs parents ni par les quatre coupables condamnés (Myriam Badaoui, Thierry Delay et le couple de voisins) : certains ne les croient pas.

Les enfants qui ont vraiment été violés viennent confirmer, 20 ans plus tard, l’innocence des innocents : certains ne les croient pas non plus.

Mais enfin, que faut-il donc pour briser le cercle infernal de la défiance vis à vis de la justice ?

Comment peut-on encore convaincre que, parfois, la justice peut être bien rendue ?

Honnêtement, et je termine malheureusement souvent mes articles de cette façon, je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve à ce sujet, mais j’en suis inquiète. Et de plus en plus.

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