Hauts-de-Seine (92)

Plan justice : le miracle aura-t-il lieu ? L’exemple du tribunal judiciaire de Nanterre

Publié le 07/02/2023

Le garde des Sceaux a présenté son plan d’action issu des États généraux de la justice. L’objectif est clair : réconcilier les Français avec leur système judiciaire à bout de souffle et moribond. Il convient cependant de ne pas céder à l’illusion de l’amiable pour croire que l’on va désengorger les juridictions et raccourcir les délais de la justice civile.

Comme avocat de victimes et spécialiste du droit du dommage corporel, nous ne pouvons que saluer de prime abord la majoration annoncée du budget de la justice ainsi que l’annonce de recrutement massif à hauteur de 1 500 magistrats supplémentaires et de 1 500 greffiers. En revanche, l’une des promesses du garde des Sceaux nous laisse perplexe : c’est l’engagement, quelque peu utopique, de réduire de moitié, d’ici 4 ans, la durée des instances civiles. Si la justice pénale focalise de manière permanente l’intérêt des médias et de l’opinion publique, la justice civile ne suscite généralement que peu d’intérêt alors même que c’est celle que nos concitoyens rencontrent au quotidien.

Nos clients, accidentés de la route, victimes d’erreurs médicales ou d’agression attendent bien souvent de très longues années avant d’obtenir la moindre décision judiciaire et donc la moindre indemnisation. La situation est arrivée aujourd’hui à un point quasi cataclysmique. L’une des meilleures illustrations de la faillite de la justice civile est sans nul doute le tribunal judiciaire de Nanterre. En droit du dommage corporel, cette juridiction connaît une activité intense en raison de la présence sur son ressort des sièges de grandes compagnies d’assurances. Si la qualité des décisions rendues n’est pas critiquable, force est de constater que les délais de traitement des demandes en justice sont purement et simplement inadmissibles et parfaitement contraires au droit à un procès équitable et dans un délai raisonnable garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme.

Dans l’un de nos dossiers actuels, une assignation a été délivrée en 2019 visant à une demande d’indemnisation de notre client victime d’un accident de la route en 2017. La procédure d’instruction, qualifiée au civil de procédure de mise en état, aura duré près de 2 ans. Ce n’est qu’en novembre 2021 que le juge de la mise en état a décidé de clôturer l’instruction et de fixer une date de plaidoirie. Durant ce laps de temps, le dossier est figé. Il n’est plus possible de modifier quoi que ce soit dans la demande d’indemnisation présentée ni de l’actualiser. Il serait donc impératif que le délai entre l’ordonnance de clôture et la date de plaidoirie soit le plus court possible afin de ne pas laisser le justiciable dans une situation périlleuse. Or, dans notre dossier, comme dans la plupart de nos dossiers devant Nanterre, c’est à 14 mois que la date de plaidoirie fut fixée. Nous voici donc avec une date de plaidoirie fixée au mois de janvier 2023. En décembre dernier, fait inhabituel, un nouveau bulletin de procédure nous informe qu’en raison de l’absolue nécessité de mobiliser les magistrats civils aux audiences pénales du tribunal judiciaire de Nanterre qui est au bord de l’implosion, les audiences civiles programmées feront l’objet d’un report au mois de novembre 2023. Comment expliquer ceci à la victime d’un accident de la circulation pour qui l’obtention d’une indemnisation n’est pas simplement utile, mais absolument vitale ? Pour lui, c’est une double peine !

Le cas du tribunal judiciaire de Nanterre n’est malheureusement pas isolé. La même situation se rencontre à Bobigny ou Évry. Ce n’est pas non plus le fait exclusif des juridictions de région parisienne. Le cas du tribunal judiciaire de Niort pourrait être cité en exemple s’agissant des lenteurs des procédures civiles qui souvent dépassent les 3 ans entre le moment de l’assignation et celui où un jugement est rendu.

Ce qui nous inquiète dans l’annonce du ministre de la Justice, ce n’est pas tant l’objectif pointé, c’est surtout l’absence d’explication des moyens concrets qui seront mis en œuvre. Depuis maintenant 20 ans, chaque politique de lutte contre l’engorgement judiciaire se résume au même raisonnement : pour vider le contentieux judiciaire et raccourcir les délais, rien de mieux que de limiter l’accès au juge en multipliant les contraintes procédurales, et orienter systématiquement vers un préalable amiable. Cette stratégie a montré son inefficacité et ceci pour plusieurs raisons. En limitant l’accès au juge, on multiplie la défiance du justiciable à l’égard du système judiciaire. Ne pas pouvoir accéder au juge, c’est ne plus pouvoir croire dans cette justice.

L’autre travers serait de croire qu’il faut absolument orienter le contentieux civil vers une phase amiable obligatoire. Nos gouvernants ne doivent pas oublier que l’efficacité du processus ne peut être garantie qu’à la condition que le système contentieux soit totalement efficient. Le but du système judiciaire est avant tout de rétablir un équilibre entre la partie forte et la partie lésée. Or la partie forte ne jouera le jeu de l’amiable qu’à condition de savoir qu’à défaut, la partie lésée pourra l’y contraindre de manière rapide et efficace par le système contentieux. Aujourd’hui, la défaillance du système contentieux ne fait que desservir le recours à une justice amiable.

Si l’ensemble des professionnels du droit attendent avec impatience la concrétisation des promesses du garde des Sceaux, c’est surtout au justiciable et à chacun des Français que le gouvernement se doit de rendre ces annonces efficientes. À défaut d’une justice efficace, c’est l’équilibre de la société tout entière qui serait en danger.

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