PNF devant le TA de Paris : un nouvel épisode d’un trop long feuilleton pour nos collègues !
Par quatre décisions rendues le 9 juin dernier, le tribunal administratif de Paris a donné raison aux deux magistrats du parquet national financier (PNF) qui s’estimaient victimes de leur ancienne cheffe, Eliane Houlette. L’Union syndicale des magistrats (USM) était à leurs côtés. Cécile Mamelin met en lumière les enjeux attachés à ce long combat.
Le tribunal administratif de Paris vient de clore, ce 9 juin 2023, au terme de quatre jugements (deux au titre du recours pour excès de pouvoir et deux sur les demandes indemnitaires subséquentes), une partie d’un long feuilleton douloureux pour deux collègues, anciens membres du parquet national financier, et dont les déboires avec leur cheffe de service, Éliane Houlette, avaient défrayé la chronique judiciaire et donné lieu pour l’un d’entre eux à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, qui l’a, pour finir, totalement blanchi.
Un management inadapté et harcelant
Les magistrats avaient saisi le tribunal administratif pour :
*voir annuler au titre de l’excès de pouvoir leur évaluation au titre des années 2014-2018,
*enjoindre au garde des Sceaux, ministre de la Justice, de supprimer de leur dossier administratif cette évaluation et tous les éléments s’y rapportant
*procéder à une nouvelle évaluation pour la même période.
*obtenir à ce titre des demandes indemnitaires.
Les magistrats soutenaient avoir été victimes d’un management inadapté et harcelant de leur ancienne cheffe de parquet : notamment des brimades, mise à l’écart, privation de l’essentiel de leurs responsabilités d’encadrement, surveillance vexatoire de leur assiduité…
En outre, les collègues n’avaient pas été évalués dans les délais impartis (le rythme habituel étant d’évaluer les magistrats tous les deux ans), et lorsqu’ils ont fini par l’être, après le départ en retraite de la Procureure, supérieure hiérarchique qui était chargée de procéder à cette évaluation, celle-ci s’est révélée être en totale contradiction avec leurs précédentes évaluations et ce de façon caricaturale.
De manière précise et argumentée, l’essentiel reposant notamment sur l’absence de toute faute et de tout manquement disciplinaire et/ou déontologique relevé dans le rapport de l’inspection générale de la Justice de 2021, le TA de Paris a sanctionné l’absence d’évaluation, pendant plusieurs années des deux collègues, lesquels se sont, de fait, retrouvés bloqués dans leur carrière et a bien mis en exergue un excès de pouvoir ayant porté atteinte à leur vie professionnelle.
Une notation tardive aux allures de règlement de compte
Les juges administratifs ont également sanctionné une notation, finalement tardivement intervenue, relevant davantage du règlement de compte que de l’évaluation impartiale des qualités professionnelles. Ainsi, le TA a relevé le « caractère vexatoire au vu des qualités soulignées par l’ensemble des personnes entendues » de l’une des évaluations.
Le TA a reconnu, pour l’un d’entre eux, des faits de harcèlement, précisant à cette occasion que l’employeur avait manqué à son devoir de protection à son égard, la Procureure n’ayant pas pris de dispositions pour faire cesser le harcèlement dénoncé et subi par la collègue. Pour l’autre collègue, alors même que le Conseil supérieur de la magistrature avait prétendu qu’il n’y avait pas de harcèlement, le TA a reconnu que ce harcèlement existait bel et bien et que la dénonciation de l’attitude de la Procureure était donc parfaitement justifiée.
Le TA a accordé des indemnités subséquentes à plusieurs titres : pour l’absence d’évaluation dans les délais impartis, pour l’évaluation fautive en raison du préjudice subi pour la carrière et la perte de chance, pour le préjudice moral subi, pour l’atteinte à leur honneur non seulement en raison de cette évaluation fautive, mais également pour la publication d’articles de presse, les nommant individuellement.
Un seul regret : le TA a jugé que l’atteinte à l’honneur des magistrats n’avait pas été aggravée par l’absence de réaction de la hiérarchie judiciaire au moment de la parution des premiers articles sur la crise du PNF où pourtant leur identité avait été révélée. Manifestement que soient livrés en pâture et sur la place publique les noms de magistrats ne semble souffrir d’aucune réserve ni même d’aucune protection particulière de la part de notre ministère ! Or, ce n’est pas comme s’ils avaient été par la suite totalement blanchis des fautes dont ils étaient pourtant accusés !
L’USM, dont l’intervention aux côtés de ces deux collègues a été admise par le TA, était présente et a pu développer à son tour de longues écritures.
Les parquetiers doivent être tout particulièrement protégés
Les leçons de cette histoire ? Les parquetiers sont des magistrats. Ils ont bien des droits et des devoirs. C’est à leur administration de veiller à leur respect et de mettre en place les dispositifs permettant de remédier à leur violation, le cas échéant.
Rappelons que le ministère public n’étant pas réellement indépendant puisque relevant de l’autorité hiérarchique du ministère de la Justice, ses membres doivent être tout particulièrement protégés lorsqu’ils interviennent sur des dossiers hautement sensibles, tels que ceux traités par le PNF.
En l’espèce, même si le TA rappelle pour l’essentiel que le ministère leur est redevable de cette protection, les magistrats ne peuvent hélas parfois compter que sur le soutien de leur syndicat plutôt que sur celui de leur hiérarchie.
Si les magistrats obtiennent gain de cause sur de nombreux points, c’est au prix de beaucoup d’efforts, d’énergie dépensée, et d’un long parcours psychologiquement très perturbant pour nos collègues, puisqu’il aura fallu près de trois ans de combat pour obtenir la reconnaissance judiciaire de ce harcèlement et de ce « règlement de comptes ».
Les jugements du TA de Paris démontrent qu’il n’est donc pas vain de lutter et de persister dans cette défense, pour eux mais aussi pour le maintien de l’indépendance de la justice.
Référence : AJU377984