Pour le parquet national financier, l’heure des comptes a sonné
Depuis la révélation par Le Point du contenu de l’audition d’Eliane Houlette devant la commission d’enquête parlementaire sur les obstacles à l’indépendance judiciaire concernant l’affaire Fillon, le Parquet national financier est plongé dans la tourmente. Dès 2013, la Commission nationale consultative des droits de l’homme avait pourtant prévenu que ce parquet souffrait d’un vice de conception. En vain.
Qui l’aurait imaginé ? La commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance judiciaire est en train de déclencher un séisme institutionnel. Au coeur de la tempête, le parquet national financier (PNF). Le 10 juin dernier, son ancienne cheffe aujourd’hui à la retraite, Eliane Houlette, qui fut aussi la première à occuper la fonction créée en février 2014, dénonce face aux députés la pression de la procureure générale dans l’affaire Fillon. Jamais, explique-t-elle, on ne lui avait demandé des remontées d’information aussi fréquentes et détaillées.
La balle tirée par Eliane Houlette a fracassé l’enquête Fillon et blessé le PNF au passage
Il n’en fallait pas plus pour, à quelques jours du jugement qui sera rendu le 29 juin, rallumer les braises du soupçon. Car cette affaire, déclenchée quelques semaines avant l’échéance présidentielle en 2017 et menée tambour battant par des magistrats tous nommés par le pouvoir en place ou proche de celui-ci contre le candidat de droite donné vainqueur, avait soulevé à l’époque des polémiques sans fin sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, le timing de la procédure ou encore la question de la séparation des pouvoirs. Dépassée par les répercussions de ses déclarations, Eliane Houlette a tenté ensuite de faire marche arrière. Et pour cause, son objectif ne consistait pas à torpiller sa propre enquête mais simplement à dénoncer la tutelle hiérarchique excessive de son ancienne supérieure, Catherine Champrenault, avec laquelle elle aurait par ailleurs, dit-on, un autre contentieux. L’ennui, c’est que la balle qu’elle a tirée a bien atteint la procureure générale de Paris, mais, poursuivant sa course folle, elle a surtout fracassé l’enquête Fillon en blessant gravement le PNF au passage, avant de venir mourir dans le pied de la tireuse.
La défense de François Fillon n’a pas tardé à saisir l’opportunité offerte par ce spectaculaire retournement. Son avocat Antonin Levy ainsi que ceux de Penelope Fillon, Pierre Cornut-Gentille, et de Marc Joulaud, Jean Veil, ont annoncé mardi 23 juin qu’ils demandaient une réouverture des débats. Il faut dire que tout au long du procès qui s’est tenu en mars dernier, les avocats n’ont eu de cesse de dénoncer une procédure menée avec une rapidité inédite, entièrement à charge et ponctuée de fuites opportunes dans les médias. Les déclarations de l’ancienne patronne du PNF confirment au minimum l’existence d’un fonctionnement judiciaire atypique dans ce dossier plus que sensible.
Un #metoo politico-judiciaire ?
Du côté de l’opinion, on assiste à une sorte de #metoo politico-judiciaire. Eliane Houlette a libéré la parole des politiques, mais aussi de professionnels de la justice et d’observateurs qui soudain déversent un flot d’informations et d’analyses sur le manque réel ou supposé d’indépendance de la justice, dans leur affaire ou en général. Toujours le 23 juin, Mediapart a enfoncé le clou en révélant comment le président de la République en personne était intervenu l’été dernier dans l’enquête du PNF visant le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler à l’époque où celui-ci était à Bercy. Il faisait alors l’objet d’investigations pour conflit d’intérêts et prise illégale d’intérêts en raison de ses liens avec la famille Aponte, principal actionnaire du groupe maritime MSC. Une simple attestation favorable d’Emmanuel Macron versée au dossier aurait, selon le site de presse, littéralement inversé le sens du rapport de police et permis un classement sans suite le 21 aout 2019. A l’époque, Eliane Houlette avait quitté ses fonctions et son successeur, Jean-François Bonhert, n’était pas encore nommé. Deux poids, deux mesures ?
Créé dans la foulée de l’affaire Cahuzac par François Hollande pour renforcer la lutte contre la criminalité en col blanc, puis porté sur les fonts baptismaux par Christiane Taubira, le PNF s’enorgueillit de résultats spectaculaires. Depuis son installation, il aurait rapporté 7 milliards d’euros d’amendes et autres sanctions à l’Etat ; rien moins que l’équivalent du budget annuel de la justice. Incontestablement, le PNF fonctionne vite et bien.
« Toute forme d’influence »
Il n’y a qu’un malheur, aurait sans doute objecté René Floriot s’il avait eu à plaider face à lui : le vice de conception qui l’affecte. Dans son avis du 9 juillet 2013 la CNCDH lançait cette mise en garde contre le texte qui n’était pas encore voté : « ces différents projets concentrent dans les mains d’une seule personne, particulièrement exposée aux pressions de toute part, l’intégralité des pouvoirs actuellement confiés à différents procureurs » et plus loin « le procureur de la république financier ne dispose (…) d’aucune garantie particulière d’indépendance alors qu’il sera particulièrement soumis à toute forme d’influence et pourrait être fréquemment soupçonné de partialité faute d’un mode de nomination incontestable ».
Mais il y a plus prémonitoire encore « en outre il serait soumis au procureur général de Paris lui-même soumis hiérarchiquement au ministre de la justice alors qu’il est chargé de lutter contre les atteintes à la probité qui peuvent concerner des élus proches du garde des sceaux ou de son gouvernement »…. ou des adversaires politiques, ou bien encore des proches du président de la République.
Quand un vice rend l’objet impropre à son usage, on dit qu’il est rédhibitoire…
L’occasion de relire nos chroniques du procès Fillon.
Olivia Dufour est l’auteur de « Justice et médias, la tentation du populisme », LGDJ 2019 qui analyse notamment le rapport entre justice et médias dans l’affaire Fillon et de « Justice : une faillite française ? » LGDJ 2019.
Référence : AJU67673