Procès Dupond-Moretti : le très habile réquisitoire de Rémy Heitz

Publié le 15/11/2023

Au terme d’un réquisitoire de plus de trois heures, le parquet a réclamé contre Éric Dupond-Moretti un an de prison avec sursis. Le procureur général Rémy Heitz s’est employé avec beaucoup d’adresse à désamorcer les possibles réticences des juges parlementaires à condamner l’un des leurs pour prise illégale d’intérêts.

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : ©AdobeStock/uniqueVision

« Parce que c’était vous, parce que c’étaient eux » lance Rémy Heitz au ministre. C’est parce que Éric Dupond-Moretti s’en était pris  personnellement après ces magistrats dans son ancien métier d’avocat qu’il ne pouvait pas, une fois devenu ministre, engager des enquêtes administratives pré-disciplinaires à leur encontre. Et de rappeler le mot de Louis XII pardonnant à ses ennemis lors de son accession au trône : « le roi de France ne venge pas les injures faites au duc d’Orléans ».

Pour le parquet, le fait que l’infraction soit constituée relève de la plus parfaire évidence. L’élément matériel de la prise illégale d’intérêts ce sont les enquêtes administratives ouvertes le 31 juillet à l’encontre du juge Edouard Levrault et le 18 septembre contre Patrice Amar, Eliane Houlette et Ulrika Weiss-Delaunay.

« La recherche d’un avantage matériel n’est pas nécessaire, une satisfaction personnelle suffit »

Il est sans incidence, souligne l’avocat général Philippe Lagauche qu’il n’y ait eu ni profit ni préjudice : « La recherche d’un avantage matériel n’est pas nécessaire, une satisfaction personnelle suffit ». Ainsi la jurisprudence a-t-elle déjà condamné le fait pour un élu local de recruter un proche ou pour un directeur d’université de faire nommer sa sœur professeur.  Quant à l’intention, c’est encore plus simple : elle est constituée par l’accomplissement de l’acte en connaissance de cause. « Si je n’avais rien fait, on m’aurait aussi accusé de prise illégale d’intérêts » s’est défendu le ministre. « Il n’y a pas de prise illégale d’intérêts par abstention, ce n’est pas une infraction d’omission mais d’action » balaie l’avocat général. De même, c’est en vain que le ministre souligne qu’Ulrika Weiss-Delaunay a obtenu la reconnaissance du fait qu’elle était harcelée et a été indemnisée à ce titre grâce à l’enquête administrative.  « Ces magistrats ont été jetés en pâture » dénonce Philippe Lagauche qui pointe le cynisme de l’argument. La magistrature n’a pas pardonné en effet le communiqué de presse annonçant l’ouverture de l’enquête et publiant les noms des magistrats du PNF concernés. Pour l’accusation tout ceci n’avait qu’un seul but : déstabiliser le PNF deux mois avant l’ouverture du procès Bismuth.

Le parquet balaie également les accusations de conflits d’intérêts de la défense : François Molins critiquant la nomination du garde des Sceaux dans une tribune avant de déclencher les poursuites contre lui et de les médiatiser, Rémy Heitz avouant son estime et son amitié pour Eliane Houlette, le passé professionnel de Peimane Ghaleh-Marzban, les magistrats décorés, le mur des cons du Syndicat de la magistrature… À l’argument de la défense selon lequel les syndicats n’auraient eu de cesse de vouloir pousser le ministre à la démission, le parquet répond que  « les syndicats ont tenté d’avoir des relations avec lui sans succès, la plainte intervient six mois après sa nomination ».

« Votre décision est importante pour les politiques probes »

Pendant plus de deux heures, Rémy Heitz puis Philippe Lagauche se sont employés à démontrer que le délit était constitué et à réfuter les arguments de la défense. Mais il reste un travail essentiel à faire dans ce dossier particulier : convaincre une cour composée certes de trois magistrats, mais surtout de douze parlementaires, de donner raison au pouvoir judiciaire contre un des leurs.  Ce qui suppose déjà de surmonter la peur inspirée par ce délit à ceux qui peuvent eux-mêmes se retrouver dans la situation d’Eric Dupond-Moretti. « Votre décision est importante pour les politiques probes qui font preuve du plus grand scrupule dans leur mandat. Je sais combien, au quotidien vous connaissez cette problématique de cloisonnement entre vie publique et privée au quotidien. Votre décision est importante pour tous les fonctionnaires qui doivent pouvoir travailler en confiance sans craindre d’être exposés à l’arbitraire d’un ministre animé par des intérêts personnels » explique sur un ton particulièrement solennel Remy Heitz. Avant Éric Dupond-Moretti rappelle-t-il, un autre garde des Sceaux a comparu devant cette même cour : Jean-Jacques Urvoas, condamné le 30 septembre 2019 à un mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende pour violation du secret professionnel. Il avait transmis des informations à Thierry Solère sur une enquête le concernant, obtenues via les remontées d’informations des parquets au ministère. « Dans la composition de cette cour il y avait des parlementaires déjà présents en 2019. Le ministre est tenu au secret professionnel. S’il avait été relaxé, c’est toute la confiance des procureurs généraux dans leur ministre qui aurait été atteinte. Cette décision a fait date et celle-ci aussi doit rappeler un principe important ». Et s’il fallait encore rassurer les parlementaires qui craindraient de rendre une décision dans cette affaire créant un précédent susceptible de les rattraper un jour, Rémy Heitz prend soin de préciser :  « Je sais que ce délit fait peur aux élus, et que beaucoup appréhendent d’avoir à en répondre mais sur l’échelle d’intensité des conflits d’intérêts celui du garde des sceaux sur le PNF se situe à un niveau très élevé ».

« Le ministre n’a pas été protégé du risque de prise illégale d’intérêts »

Le réquisitoire touche à sa fin, tout le monde pense que Rémy Heitz va annoncer la peine requise.  À la surprise générale, le voici qui plaide les éléments à décharge. Il commence par citer l’investissement du garde des sceaux sur la question des moyens. Puis il admet qu’Éric Dupond-Moretti « connaissait mal le fonctionnement de l’Etat » à son arrivée Place Vendôme. C’est l’un des axes de la défense. « Cela peut expliquer en partie le défaut de vigilance, il faut prendre garde de ne pas se livrer à une analyse téléologique de ces faits. Soyons justes. En juillet 2020, le déport n’était pas une pratique habituelle au ministère de la justice. A-t-il été bien conseillé ? Non, dans cette affaire à mes yeux le ministre n’a pas été bien conseillé, il n’a pas été protégé du risque de prise illégale d’intérêt, ni protégé contre son principal ennemi, lui-même, mais était-il conseillable ? ». Cette fois tout a été dit.

Reprenant le fil de son réquisitoire, le procureur général rappelle une dernière fois la gravité des faits, le trouble à l’ordre public, l’atteinte réputationnelle portée au PNF deux mois avant le début du dossier Bismuth. Pour tout cela, il requiert un an de prison avec sursis sur les cinq encourus et s’en remet à la sagesse de la cour sur la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité.  

 Jeudi matin, la parole sera à la défense.

 

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