Rapport de la CEPEJ 2020 : La justice française toujours aussi mal lotie

Publié le 22/10/2020

La commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) a présenté son rapport 2020 ce mercredi 22 octobre. Publié tous les deux ans, ce document évalue les systèmes judiciaires des états membres du Conseil de l’Europe.  L’étude porte sur les données 2018 de 45 états sur 47 (hors Lichtenstein et Saint-Marin). Sans surprise, la France est une fois encore à la traine au regard notamment du montant de son budget. 

The Hemicycle of the Parliamentary Assembly of the Council of Europe, PACE. The CoE is an organisation whose aim is to uphold human rights, democracy and the rule of law in Europe
Hémicycle du Conseil de l’Europe à Strasbourg (Photo : ©AdobeStock/ Leonid Andronov)

Tous les deux ans depuis la création de la CEPEJ en 2002,  juristes et statisticiens prennent le pouls des systèmes judiciaires des pays du Conseil de l’Europe et publient leurs conclusions sous forme de rapport. Particulièrement attendu en France, celui-ci est toujours l’occasion de rappeler chiffres à l’appui aux pouvoirs publics à quel point la justice du pays des droits de l’homme est pauvre.

Le rapport est une photographie, pas un classement

Pour autant, comparaison n’est pas raison, rappellent régulièrement les auteurs de l’étude qui soulignent qu’il s’agit d’une photographie et non pas d’un classement. Et pour cause, non seulement il existe d’importantes différences entre les pays, même quand ils partagent à peu près le même niveau de richesse, mais les systèmes eux-mêmes ne sont pas comparables dans leur fonctionnement.

Il n’empêche. Le premier réflexe consiste précisément à rapprocher les chiffres français des moyennes générales. Et,  à chaque fois, ces rapprochements sont décevants pour ne pas dire alarmants dans certains domaines, comme le parquet.

Commençons par le budget alloué à l’institution judiciaire. Celui-ci regroupe les crédits dédiés aux tribunaux, au ministère public et à l’aide judiciaire. Les états européens y consacrent plus d’un milliard d’euros  soit 72 € par habitant (8 € de plus qu’en 2016) et 0,33 % du PIB.  En moyenne, précise le rapport, les Etats membres allouent 65 % du budget du système judiciaire aux tribunaux, 24 % aux ministères publics et 11 % à l’aide judiciaire. Dans les pays dont le PIB par habitant est compris entre 20 000 et 40 000 euros, ce qui est le cas de la France, la moyenne s’établit à 84, 13 euros par habitant et à 0,32% du PIB. Or,  la France dépense seulement 69,51 euros soit 0,20% du PIB. On trouve dans le même groupe : l’Espagne 92 euros par habitant,  l’Italie 83 euros ou encore la Grande-Bretagne 76. L’intégralité des données brutes est accessible sur cette page de la base statistiqueLe rapport précise que la France fait partie des rares pays avec la Finlande, l’Espagne et le Luxembourg où  les parties n’ont pas à payer de taxe ou de frais de justice pour initier une procédure. A l’inverse, l’Autriche en prélève tant que ces frais couvrent  108% de son budget.

Moins de juges et surtout de procureurs en France

Concernant le nombre de juges, ils sont entre 10 et 30 juges professionnels pour 100 000 habitants dans la plupart des Etats avec des disparités importantes, même entre pays de taille et de revenus comparables. La moyenne s’établit à 21,4 juges pour 100 000 habitants, la médiane à 17,7.  En France, on dénombre ainsi 10,9 juges contre 11,6 en Italie, 11,5 en Espagne, 13,3 en Belgique, 24,5 en Allemagne, mais 3,1 en Grande-Bretagne. Le rapport note qu’il y a plus de juges dans la tradition germanique, moins chez les nordiques, les pays de common law et de tradition napoléonienne. La taille de la population pourrait aussi avoir une incidence : « tous les pays comptant plus de 30 juges pour 100 000 habitants ont moins de 10 millions d’habitants, tandis qu’aucun pays de plus de 15 millions d’habitants ne compte plus de 26 juges pour 100 000 habitants ».

Du côté des procureurs, ils sont entre 5 et 15 pour 100 000 habitants. La moyenne s’établit à 12,13, pour 100 000 habitants, la médiane à 11,25. On en dénombre seulement 3 en France, 3,2 en Grande-Bretagne, 3,7 en Italie, 5,2 en Espagne, mais 13 en Roumanie et 14, 8 en Pologne. Le rapport souligne que « la France affiche le plus petit nombre de procureurs en Europe ou presque (3,0 pour 100 000 habitants), ces derniers devant, malgré tout, gérer un nombre très élevé d’affaires (6,6 pour 100 habitants) et exercer un nombre record de fonctions (13) ».

Seulement 99,9 avocats pour 100 000 habitants

La France compte également beaucoup moins d’avocats que ses voisins. D’une manière générale, le rapport évoque une augmentation de 27% du nombre d’avocats entre 2010 et 2018. C’est lié à la croissance économique et aux modifications de la réglementation. La moyenne en 2018 est de 164 avocats pour 100 000 habitants et la médiane de 123 avocats pour 100 000 habitants. Mais ils ne sont que 99,9 pour 100 000 habitants en France, contre 388,3 en Italie, 304,6 en Espagne 270,3 en Grande-Bretagne, 198,9 en Allemagne et 142,4 en…Turquie. 

« Il faut travailler avec humanité et dignité, c’est à cette condition que la décision est comprise, qu’on s’y conforme et que la confiance est élevée. Ce n’est pas qu’une question de temps » a souligné le président de la CEPEJ, Jasa Vrabec lors de la présentation. Une manière de montrer que l’étude ne se réduit par une simple collecte de données chiffrées. A la CEPEJ, pour reprendre l’image d’Alain Supiot dans La Gouvernance par les nombres, la carte ne se substitue pas au territoire….

 

Pour aller plus loin :

*Le Rapport 2020 est accessible ici 

* Il est possible aussi d’accéder aux données brutes via la base de données dynamique des systèmes judiciaires européens.

* A lire également, l’interview de Jean-Paul Jean, président de chambre honoraire à la Cour de cassation et secrétaire général de l’AHJUCAF, sur l’étude réalisée par la CEPEJ concernant le fonctionnement des systèmes judiciaires durant le confinement.

X