Recours contre le décret du 13 avril 2022 : « L’USM a agi en responsabilité » déclare Ludovic Friat

Publié le 02/09/2024

Saisi à la demande de l’Union syndicale des magistrats (USM), le Conseil d’État a annulé, le 24 juillet dernier, plusieurs dispositions du décret du 13 avril 2022, dont celle permettant aux avocats de réaliser des copies de pièces de procédure. Une démarche qui a déclenché la colère de la profession, celle-ci reprochant au syndicat de « saccager » les relations entre avocats et magistrats. Ludovic Friat, président de l’USM, répond à ces critiques et s’interroge : remet-on en cause la légitimité des syndicats à agir en justice ?

Recours contre le décret du 13 avril 2022 : "L'USM a agi en responsabilité" déclare Ludovic Friat
Ludovic Friat, président de l’USM

Le 24 juillet 2024 le Conseil d’État, statuant sur un recours de l’Union Syndicale des Magistrats (USM) introduit le 2 juin 2022 à l’encontre de plusieurs dispositions du décret n°2022-546 du 13 avril 2022 portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi du 22 décembre 2021 pour « la confiance dans l’institution judiciaire », annulait plusieurs dispositions de ce texte pour non-respect de la hiérarchie des normes (arrêt 6éme et 5éme chambres réunies n°464641-464848).

Parmi les dispositions annulées figurait celle permettant aux avocats de réaliser eux-mêmes des copies de pièces de procédure pénale à un instant procédural où la loi ne leur offrait qu’un simple droit de consultation, et non de copie du dossier.

Ce n’était pas la seule disposition annulée mais c’est assurément la seule ayant valu à l’USM un virulent pilonnage médiatique dans les médias sociaux ou des revues juridiques de la part de certains membres du barreau. Tout y est passé, un quasi-procès (médiatique) en sorcellerie ou en illégitimité.

Certains nous ont prêté la volonté de s’être « fait le ministre » sur le dos du barreau.

D’autres auraient souhaité que l’on se contente de revendiquer syndicalement notre mécontentement, même « à cor et à cri », plutôt que d’ester en justice.

Il nous a été reproché par quelques-uns d’avoir saccagé le nécessaire dialogue – forcément apaisé – entre la magistrature et le barreau.

D’aucuns nous ont accusés d’être, et sous leur plume cela semble être une tautologie, des magistrats rétrogrades et répressifs, ennemis acharnés des droits de la défense.

Enfin, quelques-uns, nous ont accusés d’avoir abusé d’un recours, vide d’intérêt général alors que tant d’autres sujets le mériteraient.

Comme président de l’USM, je n’ai pas réagi immédiatement à ces attaques étant tout à la fois sidéré par la violence des censeurs, surtout vu leur qualité, et ayant également bien conscience de l’infériorité de notre poids médiatique.

Le Conseil d’État rappelle avec force que la procédure pénale relève de la seule compétence du législateur

Le temps de l’émotion « ab irratio » étant passé, pouvons-nous un instant en revenir aux faits et aux fondamentaux ?

Évacuons d’entrée le premier point : la loi mérite-t-elle d’être réformée sur l’accès de l’avocat au dossier pénal ?

C’est là une vraie question à laquelle il ne m’appartient pas de répondre en l’état car, ainsi que le rappelle avec force le Conseil d’Etat, c’est là l’office du législateur et de lui seul, ce dernier pouvant recueillir dans le cadre de sa réflexion les avis de professionnels de justice.

Les attendus de la haute juridiction administrative sont très clairs pour qui veut bien les lire : « il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu, s’agissant des procédures concernées, limiter le droit des avocats à une simple consultation du dossier, sans leur permettre d’en obtenir une copie, ni a fortiori d’en réaliser par eux-mêmes une reproduction intégrale ou partielle dans le cadre de cette consultation (…)[les dispositions attaquées] ont fixé des règles nouvelles et ne peuvent être regardées comme ayant simplement déterminé les modalités de règles déjà fixées en ce domaine par le législateur ».

Le Conseil d’État rappelle la même règle concernant le dessaisissement du juge d’instruction infra-pôle en édictant « en rendant obligatoire en cours d’information, sur réquisitions du procureur de la République, un dessaisissement dont l’article 118 du CPP ne prévoit qu’il n’est que facultatif (…) a méconnu les dispositions législatives dont il entendait préciser l’application ».

Il ajoute concernant les CRPC « les dispositions prévues par l’article 6 du décret attaqué ajoutent des règles à celles par lesquelles le législateur a organisé la procédure de CRPC et ne peuvent être regardées comme ayant simplement déterminé les modalités d’application des règles fixées en la matière par le législateur ».

Le principe est rappelé avec force : la procédure pénale relève constitutionnellement de la seule compétence du législateur et pas du pouvoir réglementaire, sauf délégation expresse et encadrée de celui-là. C’est une garantie essentielle de l’Etat de droit.

Le Conseil d’État rappelle tout aussi clairement que le pouvoir réglementaire ne peut, au prétexte parfois fallacieux d’en préciser le contenu ou les modalités, changer le sens de la loi.

Seule l’annulation de la disposition sur les copies d’avocat a suscité une indignation et une émotion légitimement « corporatistes » comme si, en l’état et pour certains, la fin juridique justifiait les moyens légistiques.

Une disposition devient-elle légale parce qu’elle est pratique ? 

Mais est-ce parce ce qu’une disposition est pratique, voire nécessaire, qu’elle n’est pas pour autant illégale ? Son utilité ou sa nécessité justifierait-elle son illégalité ?

Bien sûr que non.

Le soutenir contient en soi le germe de l’affaiblissement de l’Etat de droit tout entier.

Et poussons le raisonnement plus avant, si demain un pouvoir exécutif, quel qu’il soit, décidait par voie réglementaire de limiter les droits de nos concitoyens ou de la défense, pourtant de nature législative, par simple décret parce ce que c’est pratique, plus rapide ou évite un débat parlementaire incertain, trouverait-on cela justifié et justifiable ?

L’USM ne le trouverait pas.

Alors pourquoi faire le reproche à l’USM de faire, ainsi, respecter la hiérarchie de normes ce qui parait être le devoir de tout juriste ?

Les statuts de l’USM prévoient notamment la défense de l’indépendance de la justice

Est-ce une façon de lui signifier, en tant que syndicat, son illégitimité à intervenir dans ce débat juridique d’intérêt ?

En tant qu’ancien élève au CRFPA et magistrat, il m’apparait toujours surprenant que des concitoyens, à fortiori juristes ou avocats, puissent dénier le droit, tant juridique que moral, à qui que ce soit d’exercer une voie de droit.

Le juge judiciaire reproche-t-il aux avocats de soulever des nullités procédurales lesquelles seraient parfois pourtant, en suivant un tel raisonnement, « justifiables » par l’intérêt de l’enquête ou de la recherche de la vérité ?

Les statuts de l’USM prévoient notamment la défense de l’indépendance de la Justice. Défendre les fondamentaux de l’État de droit, sur lesquels cette indépendance est bâtie, en fait partie. La liberté d’agir en justice, comme la liberté de la défense, ne s’apprécient pas à l’aune de la justesse des causes défendues, celles-ci étant par nature subjectives.

Un syndicat revendique et, s’il n’est pas entendu par l’autorité administrative ce qui est souvent le cas, se doit d’agir en justice sauf à se complaire dans les « tartarinades syndicales » ou à choisir la « voie de la rue ».

L’USM a agi en responsabilité et, contrairement à ce qui a pu être écrit ici ou là, avait sollicité du conseil d’État un effet différé de 6 mois des conséquences de sa décision pour permettre aux parties, dont les avocats, de s’y préparer.

Le Conseil d’État en a décidé autrement et je n’ai pas entendu de critiques virulentes à l’encontre de la haute juridiction.

Le gouvernement a eu deux ans pour corriger son erreur 

Les seules questions qui vaillent sont, finalement, les suivantes :

Pourquoi l’autorité ministérielle a-t-elle pris le risque de faire passer, par une voie aussi hasardeuse, des réformes présentées comme justes et nécessaires, donc à priori consensuelles au parlement, au risque d’encourir une censure ? Quel intérêt y avait-il à agir de la sorte ?

Pourquoi des avocats, gardiens aux côtés des autres professions judiciaires de l’État de droit, s’en prennent-ils à ceux qui font respecter la règle plutôt qu’à ceux qui, en la contournant, l’affaiblissent ?

Pourquoi en deux ans, le recours de l’USM ayant été introduit en 2022, ce vice originel n’a-t-il pas été corrigé par une disposition législative, la France étant pourtant un pays d’inflation de la norme ?

Ce qui est certain c’est que l’USM n’est pas responsable de l’absence, actuelle, de majorité parlementaire à la chambre pour remédier, au besoin, aux conséquences de cette annulation. Pour sa part l’USM connait bien cette situation et s’est suffisamment vu opposer l’argument d’une absence de consensus parlementaire concernant la nécessaire réforme constitutionnelle du statut du ministère public.

Ce qui est également certain c’est que magistrats, comme avocats et l’ensemble des professions judiciaires, sont soumis au quotidien à des difficultés d’exercice découlant du sous-dimensionnement anciens des moyens humains, techniques, informatiques et financiers de la justice et ne doivent pas, en silos corporatistes, se dresser les uns contre les autres.

 

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