Rentrée 2025 : est-il encore temps de former des vœux pour l’avenir de notre Justice ?
Alors que la tenue des rentrées solennelles est l’occasion de dresser le bilan de l’année écoulée et de se projeter dans les mois à venir, Alexandra Vaillant, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats (USM), exprime les principales attentes de l’institution à l’égard du nouveau garde des Sceaux, Gérald Darmanin.

« Nous allons dans le mur ». Les mots de Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, relatifs à l’audiencement des dossiers criminels et prononcés dans les médias la veille de l’audience solennelle de rentrée ont résonné fort chez les magistrats judiciaires. Il ne s’agit pourtant pas de la première alerte pour la Justice (ni de la dernière, peut-on craindre). Mais venant de ce haut magistrat, elle n’est pas passée inaperçue.
Des alertes similaires se sont multipliées ces dernières années : tribune des 3 000, rapport Sauvé issu des Etats généraux de la justice, tribune des magistrats des juridictions interrégionales spécialisées sur le crime organisé, tribune des magistrats spécialisés dans la lutte contre la délinquance financière … Elles peinent pourtant à voir les annonces politiques qui les suivent se concrétiser ou à aboutir à un résultat tangible en juridiction, tant la situation est obérée par des décennies d’abandon.
Alors que la situation politique et budgétaire de la France demeure des plus incertaines, qu’attendre en 2025 pour notre Justice ? L’Union syndicale des magistrats a écrit au nouveau garde des Sceaux dès sa nomination pour attirer son attention sur de nombreux points d’inquiétude et a pu lui exposer ses attentes lors d’un entretien le 09 janvier.
En 2025, la Justice a toujours besoin de moyens
L’attente majeure reste la sanctuarisation du budget et des recrutements, selon la trajectoire de la loi d’orientation et de programmation votée en novembre 2023. Alors que le budget initialement prévu pour 2025 avait été amputé, le précédent ministre Didier Migaud avait obtenu in extremis une rallonge de 250 millions d’euros. Il s’agit pour notre syndicat d’un minimum à préserver. Il y va du respect de la parole donnée par l’Etat, de l’avenir de l’institution judiciaire et de sa capacité à faire face aux attentes légitimes des citoyens, notamment en termes de délais. Car pour faire baisser durablement ces délais, tant en matière civile que pénale, il n’y a pas de solution miracle : il faut des personnels judiciaires en nombre suffisant pour assurer les missions toujours plus nombreuses qui leur sont dévolues par la loi.
Certes, le budget de la Justice a augmenté depuis plusieurs années : mais en quelles proportions par rapport aux besoins, aux évolutions démographiques et sociétales et aux changements législatifs à répétition ? Dans un moment de réminiscence guère réjouissant, je me souviens avoir présenté pendant mes études, en début de siècle, un exposé sur les moyens de la Justice française. Les sources utilisées mentionnaient à l’époque un budget avoisinant celui attribué au ministère des Anciens combattants… En 2024, nous disposions d’un budget Justice représentant 1,74% du budget de l’État (contre 4,37% pour le ministère de l’Intérieur et 8,56% pour les Armées).
Face aux demandes budgétaires habituelles, on pourrait nous objecter que l’institution doit également pouvoir améliorer son fonctionnement à moyens constants. Dans l’absolu, toute organisation est capable de s’auto-améliorer. Mais cela nécessite de partir d’une base saine et solide. Changer pour changer, alors que les juridictions perdent déjà trop de temps à gérer la pénurie, n’engendrerait que des frustrations supplémentaires chez des personnels judiciaires épuisés par un sous-effectif chronique. Et cela, sans améliorer la question des délais et plus globalement de l’efficacité de notre système judiciaire.
Le travail sur l’évaluation de la charge de travail des magistrats se concrétisera-t-il enfin ?
Face à ce sous-effectif chronique, le sujet de la charge, ou plutôt de la surcharge de travail, est également incontournable, comme nous l’avons rappelé au garde des Sceaux.
Les conclusions du groupe dédié à l’évaluation de la charge de travail des magistrats judiciaires, adoptées de manière consensuelle par tous les intervenants (chancellerie, organisations syndicales, conférences des chefs de juridiction, associations professionnelles), viennent confirmer les alertes anciennes de l’USM : pour travailler hors mode dégradé (avec un temps judiciaire de qualité tant pour le personnel judiciaire que pour le justiciable) il faut 2 à 3 fois plus de magistrats (ce qui nous rapprocherait enfin de la moyenne européenne).
Néanmoins, la chancellerie a indiqué lors de la réunion conclusive de ce groupe en juillet 2024 qu’il convenait d’affiner ces projections pour prendre en compte notamment la future équipe autour du magistrat (dont la modélisation est toujours en cours) ainsi que l’apport des magistrats à titre temporaire et des magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles.
Cette annonce estivale a eu l’effet d’une douche glaciale pour nos collègues. Les travaux vont donc se poursuivre via la mise en place le 15 janvier d’un observatoire (dont les syndicats étaient initialement exclus ; sur ce point, l’USM a obtenu du précédent ministre la réintégration des syndicats à l’observatoire). L’USM participera activement à cet observatoire car la finalisation de l’outil est indispensable pour pérenniser les renforts d’effectifs à moyen terme, porter une politique de recrutement ambitieuse à long terme et améliorer le fonctionnement quotidien de nos juridictions.
La réforme du statut du parquet : plus qu’un vœu pieux, une nécessité démocratique
L’USM a rappelé au garde des Sceaux que l’indépendance de la Justice nécessitait de finaliser la réforme a minima du ministère public initiée en 2016 (alignement sur le statut des magistrats du siège pour les nominations et les poursuites disciplinaires). Sur ce sujet, les dérives récentes observées dans certaines démocraties européennes, s’agissant du traitement de la Justice, devraient interpeller tous les représentants de la Nation.
Pour convaincre, je ne peux que conseiller le visionnage du documentaire polonais sur « la Marche des 1 000 robes » (en accès libre ici). Cette manifestation s’est déroulée le 11 janvier 2020 à Varsovie sous la devise : « Droit à l’indépendance. Droit à l’Europe ». Des magistrats de toute l’Europe ont manifesté aux côtés des magistrats et citoyens polonais pour la défense de l’indépendance de la Justice, pilier de la démocratie et de l’Etat de droit. Si les élections polonaises d’octobre 2023 ont débouché sur une série de mesures pour restaurer l’Etat de droit, l’exemple polonais démontre la nécessité de se battre constamment pour préserver nos acquis démocratiques et les renforcer.
Et maintenant ? Concrétiser les annonces ministérielles
Depuis Noël, les annonces ministérielles ont été nombreuses. L’USM s’exprimera sur les réformes de fond lorsqu’elles passeront de l’effet d’annonce à leur traduction juridique et financière.
Dans l’attente, Gérald Darmanin nous a assurés de sa détermination à obtenir les arbitrages budgétaires permettant d’assurer les recrutements promis de magistrats, greffiers et attachés de justice d’ici 2027, outre le financement d’autres sujets attendus comme la lutte contre le crime organisé, quel que soit le schéma retenu, ou l’expérimentation de nouveaux types d’établissements pénitentiaires, mieux adaptés aux profils des personnes accueillies.
La priorité budgétaire affichée par le ministre rejoint ainsi notre préoccupation principale. Car si un budget ne peut tout résoudre à court terme, rien ne se fera sans moyens. Comme l’écrivait Nelson Mandela, « Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès ». Pour ce mois traditionnel des vœux, gageons ainsi que les prochains travaux de nos élus permettent à la Justice de fonctionner correctement sur l’ensemble du territoire national, métropolitain et ultramarin, dans l’intérêt de tous les citoyens.
Référence : AJU495126
