Reprise d’activité des juridictions : Bobigny tente « d’atténuer le choc »

Publié le 16/06/2020

Comment la juridiction de Bobigny, la deuxième plus importante de France, sort-elle de la crise de la Covid 19 ?  Réponses avec son président Renaud Le Breton de Vannoise.

Actu-Juridique : Pendant le confinement, le tribunal judiciaire de Bobigny n’a pas fermé ses portes, comment vous êtes-vous organisé ?

Renaud Le Breton de Vannoise : Pour le pénal, nous avions tous les jours deux audiences collégiales et correctionnelles : une de comparutions immédiates et une autre pour faire face à tous le dossiers qui devaient être traités, notamment ceux comportant des détenus. Les juges des affaires familiales assuraient une permanence quotidienne pour les urgences et la délivrance d’ordonnance de protection dans les situations de violences conjugales. Plus généralement en matière civile, une permanence également quotidienne permettait de délivrer des autorisations d’assignation en cas d’urgence.  Mais notre activité ne s’est pas réduite à cela, les services spécialisés fonctionnaient tous : l’instruction, les enfants, l’application des peines. Pour l’instruction, nous avons fait face à une explosion des demandes de remises en liberté. Nous avons reçu, en l’espace d’une quinzaine de jours l’équivalent de 300 demandes, ce qui est très au-dessus de nos capacités de traitement. Beaucoup de magistrats de la juridiction se sont portés volontaires pour soutenir les juges des libertés et de la détention (JLD) pour faire face à cette masse de dossiers considérable ; nous avions même plus de volontaires que de besoins. Les anciens juges d’instance, devenus des juges des contentieux de la protection (JCP) ont tenu des permanences tous les jours.

 

Reprise d'activité des juridictions :  Bobigny tente « d'atténuer le choc »
Renaud Le Breton de Vannoise, président du Tribunal judiciaire de Bobigny

Actu-Juridique : Vous avez eu beaucoup de remises en liberté ?

RLBV. : Tous les détenus qui pouvaient être remis en liberté dans ce contexte particulier l’ont été spontanément à l’initiative des juges d’instruction. Cela ne concerne pas énormément de personnes, peut-être une quarantaine, mais c’est déjà énorme. De leur côté, les juges de l’application des peines (JAP) ont prononcé un nombre important de libérations anticipées de condamnés qui étaient en fin de peines, en anticipant les sorties. Ce travail a permis de réduire considérablement la surpopulation carcérale.

Actu-Juridique : Des services ont-ils été complètement arrêtés?

RLBV : Oui, le contentieux des étrangers à Roissy. Il n’y avait plus matière, dans la mesure où les frontières de Schengen avaient été fermées. Le trafic aérien était considérablement réduit, il n’y avait quasiment plus d’étrangers en zone d’attente. En revanche les hospitalisations sous contrainte se sont poursuivies. Tout comme les juges des enfants ont continué d’assurer l’ensemble des mesures d’assistance éducative, généralement celles qui arrivaient à échéance, pour les mineurs en danger. Mais ils ont ralenti l’activité pénale. Il n’y avait plus qu’une seule audience par semaine pour les affaires urgentes au tribunal pour enfants, notamment dans les affaires concernant des prévenus placés en détention. En temps normal, on en tient plus d’une dizaine par semaine.

Actu-Juridique : A quelles difficultés spécifiques avez-vous été confrontés du fait de ce ralentissement de fonctionnement de la juridiction ?

RLVB : En tant que chefs de juridiction, avec la procureure et la directrice de greffe et ses adjoints ainsi que nos secrétaires générales, nous avons organisé une cellule de crise quotidienne. Tous les jours, nous avions un nombre important  de problèmes à régler. Notre plan de continuité d’activité avait été conçu sur le modèle d’événements graves mais de courte durée comme un attentat, un grave accident, une émanation toxique, etc. Or, cette crise sanitaire s’est inscrite dans le temps. Pour que le schéma que nous avions imaginé fonctionne, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait activer d’autres services que ceux initialement prévus. Par exemple : dans une procédure pénale, les policiers arrivent avec les scellés, ils se sont accumulés au fil des procédures et il a fallu rouvrir le service de scellés. Il en a été de même pour d’autres services. Nous avons conçus deux plans de continuité d’activité successifs, puis un plan de reprise à partir du 9 mai jusqu’au 2 juin suivi d’un deuxième plan de reprise plus important. Nous avons repris l’activité progressivement, étape par étape ; nous ne sommes pas encore parvenus  à retrouver une activité pleinement normale, mais nous tendons vers cet objectif.

Actu-Juridique : Le confinement a-t-il suscité des contentieux spécifiques et si oui lesquels ?

RLVB : Nous avons constaté un déplacement des infractions. Les délits classiques, type cambriolage, ont diminué. Inversement, sont apparues de nouvelles familles d’infraction, notamment celle liées aux violations de confinement. Elles n’ont été traitées que lorsqu’elles étaient graves et réitérées. Aujourd’hui, nous nous rapprochons d’un rythme plus classique avec cinq audiences collégiales par jour ; les assises ont repris aussi.

Actu-Juridique : Qu’en est-il du stock de dossiers ?

RLVB : Pour le pénal, de nombreuses affaires ont été renvoyées donc notre stock a beaucoup augmenté, de l’ordre de 20 à 30%. Il y a eu un emboîtement de trois crises : d’abord la grève des transports pendant laquelle il manquait une centaine de personnes au sein du greffe tous les jours, ensuite la grève des avocats avec un renvoi systématique des audiences puis la Covid19. C’est d’autant plus regrettable que nous nous inscrivions dans une dynamique de réelle amélioration : les effectifs tant de greffes que de magistrats s’étaient renforcés. C’est un combat que nous menons depuis cinq ans avec toute la juridiction. A titre d’exemple de ce redressement spectaculaire,  le délai moyen d’audiencement des affaires familiales était d’un an il y a cinq ans, il était  au-dessous de quatre mois juste avant la crise. Mais la situation s’est dégradée de nouveau depuis, sans atteindre néanmoins le niveau antérieur.

Actu-Juridique : Quelles mesures mettez-vous en place pour faire face à cet afflux de dossiers ?

RLVB : Nous avons différents leviers de rattrapage. Parfois, il faut trouver d’autres réponses que les audiences. Par exemple l’ordonnance pénale : le parquet prend des réquisitions, le juge prononce une sanction, le prévenu peut l’accepter ou faire opposition. Dans ce dernier cas, l’affaire sera jugée comme elle aurait dû l’être, en audience. Cela ne concerne bien entendu que les infractions les moins graves ou sans problématique d’indemnisation des parties civiles. On peut en faire de façon massive. Pour l’activité civile, je suis moins inquiet. Les magistrats ont rédigé leurs jugements pendant le confinement et se sont mis à jour. Les audiences ont repris à partir du 19 mai. On a mis en place les procédures sans audience, uniquement pour les procédures écrites, ce qui a très bien fonctionné. Ces amortisseurs devraient permettre d’atténuer le choc et en fin d’année, les statistiques de l’activité civiles devraient être beaucoup moins impactées que nous pouvions le craindre. En tout état de cause, la volonté de tous les membres du tribunal, au prix de solutions inventives et peut être de nature à ouvrir des pistes nouvelles faisant école,  est de rétablir un fonctionnement juridictionnel normal et  fournir le meilleur service aux justiciables. Cette capacité d’adaptation est un marqueur du tribunal de Bobigny. Nous n’y arriverons que si nous sommes capables de mettre en œuvre de telles solutions avec les avocats. L’heure est par exemple au lancement de la procédure participative. Avec le Barreau, nous y avons beaucoup réfléchi, avons créé une bibliothèque d’actes et un vade-mecum. Nous sommes prêts  à entrer véritablement dans le XXIème siècle de la procédure civile.

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