Tribunal de Créteil : l’auteur d’un refus d’obtempérer termine dans le mur
Un homme de vingt ans et un autre de cinquante-huit comparaissaient devant la 12e chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire du Val-de-Marne le 10 juin, dans deux affaires différentes. Un point commun : leur obstination.
Gustavo*, 58 ans, comparaît libre. Corps trapu solidement campé sur des jambes écartées, les mains calées derrière le dos, des cheveux gris, des lunettes rectangulaires : c’est un roc qui regarde le tribunal correctionnel bien en face.
En avril 2022, les policiers de la brigade des stupéfiants surveillent un trafic de cannabis à proximité du bar Victoria à Vitry. Ils observent deux individus payer Gustavo en échange d’un objet. Ils interpellent tout le monde, saisissent du cannabis. La perquisition chez Gustavo permet de découvrir 3 500 € en liquide. Le quinquagénaire possède aussi un box à proximité du bar. Il y exerce une activité de réparateur de scooters. La police trouve là une balance de précision et 400 grammes de cannabis. « La moitié était frelatée », précise Gustavo. Enfin, des témoins déclarent acheter du cannabis à Gustavo depuis quelques mois.
Imperturbable
Dans sa déposition, il reconnaît l’acquisition et la possession de stupéfiants mais pas l’offre et la cession.
« — Le box, c’est le mien. Le stupéfiant, c’est festif, pour ma consommation personnelle. Ou pour des amis.
— Quels amis ? Leurs noms ? demande l’assesseur.
— Des amis de longue date qui étaient à l’école avec moi.
— Pourquoi la balance de précision ?
— Comme on achète entre amis, pour que personne ne soit lésé, on pèse…
— Les policiers vous voient vendre deux fois.
— Impossible ! Ils viennent pour que je les dépanne. Ils savent que je consomme dans le box.
— Vous dites consommer vous-même 5 à 10 grammes par jour. Ça fait combien de joints ?
— (Après un bref calcul) … Une douzaine…
— Vous fumez un joint toutes les heures. Il est aéré votre box ?
— Non…»
Il justifie le magot des 3 500 € par des appartements de rapport au Portugal : 1 200 € par mois. Ses relevés bancaires affichent en effet un retrait de 4 000 € au Portugal en coupures de 100 ou 50 €, comme la somme retrouvée chez lui.
Gustavo n’en est pas à sa première affaire. Il commence en 1997, alors jeune trentenaire, avec une condamnation pour trafic de stupéfiants et détention d’arme. Idem en 2003. En 2005 : 3 ans ferme pour association de malfaiteurs. Ensuite plus rien, excepté une amende en 2014. Il produit aujourd’hui une promesse d’embauche comme chauffeur.
«— Est-ce vraiment compatible avec votre taux de THC dans le sang ? s’inquiète l’assesseur.
— J’ai l’habitude ».
Confiscation des 3 500 €
La procureure se moque du « bon samaritain qui distribue du cannabis gratuitement dans son box » et réclame 10 mois de sursis, confiscation du téléphone et de l’argent, interdiction de paraître à Vitry « pour éviter que le bar le Victoria devienne un endroit malfamé. »
L’avocat imite l’aplomb de son client : « Il n’est pas un professionnel. Le box est un lieu de convivialité. » Il exhume un article du code pénal qui prévoit une peine plus légère en cas de « cession à une personne en vue de sa consommation personnelle. Cet article n’est jamais utilisé ! » Gustavo et son défenseur devront attendre le délibéré pour savoir s’ils ont convaincu les juges.
Retranché sur la banquette arrière
Le deuxième homme, Saïm*, apparaît dans le box : la vingtaine, sec comme une brindille, le visage animé tourné vers sa mère et ses copains dans la salle, le sourcil haut et un coquard à l’œil gauche qui raconte son interpellation… Le 8 juin à minuit vingt à Choisy-le-Roi les policiers voient passer une voiture en trombe, lui font signe. Le conducteur force le passage, accélère, prend un sens interdit, percute un véhicule, poursuit sa course. Une deuxième patrouille le retrouve après qu’il a embouti un mur.
Toujours dans la voiture trois portes, Saïm se faufile alors sur la banquette arrière. Les policiers tentent de l’extraire de là manu militari. Il résiste, donne des coups, en reçoit… Un policier a 5 jours d’ITT et le jeune homme est blessé. Avec ce ton direct et familier des jeunes habitués du prétoire, il fait amende honorable :
«— Sur la conduite ou la fuite, je n’ai pas d’excuses à vous donner. Sur le coup, j’ai eu peur. Pourquoi j’ai eu peur ? Je vais vous dire la vérité ! J’ai eu un mois où je suis allé en prison. Depuis j’ai pu avancer un petit peu dans ma vie… J’ai mal réagi sur le coup».
« Quel gâchis ! »
Pas de chance, il parle à la même présidente qui l’a déjà jugé pour les mêmes faits : « Monsieur, pourquoi conduisiez-vous ? Quand on n’a pas de permis, on ne conduit pas ! Est-ce que vous comprenez ça ? Quand vous allez à l’hôpital vous vous attendez à être soigné par des gens qui ont le diplôme. Sur la route c’est pareil. »
Pas sûr que la comparaison fasse mouche, au vu de son casier répétitif :
*2020, transport, détention, acquisition de stupéfiants.
*2021, trois mois avec sursis pour détention de stupéfiants, conduite sans permis.
*2021 encore, un an avec sursis pour récidive.
*2022, un an ferme pour récidive avec bracelet électronique.
Sinon le garçon est livreur en scooter et sa mère a l’intention de déménager toute la famille à Nice.
« Quel gâchis ! s’exclame la procureure. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Elle requiert dix mois ferme pour la conduite sans permis et deux mois ferme pour le refus d’obtempérer.
« Je vais obligatoirement en prison ? »
L’avocate cherche des contradictions dans les dépositions des policiers, critique la disparition des autres témoins lâchés dans la nature. « Il a été passé à tabac. On n’a pas la preuve qu’il se soit rebellé. Je demande la relaxe pour ces faits-là. Pour le reste, à quel moment ça va s’imprimer dans le cerveau de celui-là ? Sa maman déménage à Nice pour qu’il arrête de voir ces fréquentations. J’espère qu’il entend parce qu’à un moment on va le lâcher. » L’avocate compte les mois fermes qui vont tomber avant même cette condamnation. « Il ne doit pas avoir plus de six mois. »
Le tribunal le relaxe pour la rébellion et le condamne pour la conduite sans permis et le refus d’obtempérer à huit mois ferme avec mandat de dépôt. Saïm s’accroche au micro :
« — J’ai pas compris. Je vais obligatoirement en prison ? J’ai déjà 6 mois !
— Vous verrez avec le juge d’application des peines, au revoir Monsieur ».
Quant à Gustavo il est condamné à 10 mois avec sursis, interdiction de paraître à proximité du bar le Victoria ou de son box, et confiscation de ses 3 500 €.