Affaire Hanouna/Boyard : le Conseil d’État confirme la décision de sanction pécuniaire de l’ARCOM
Le Conseil d’État confirme la sanction infligée par l’ARCOM à C8 dans l’affaire qui opposait Cyril Hanouna à au député Louis Boyard. Cette affaire illustre à quel point les logiques administratives et judiciaires quant à la sanction des abus de la liberté d’expression sont opposées.
Le 9 février 2023, l’Autorité de la régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) a infligé à la société C8, éditrice de la chaîne de télévision éponyme et membre du groupe CANAL +, une sanction pécuniaire d’un montant de 3,5 millions d’euros. Cette amende administrative faisait suite aux propos insultants et menaçants prononcés par l’animateur Cyril Hanouna dans l’émission Touche pas à mon poste à l’encontre du député, Louis Boyard, alors que l’élu dénonçait les activités africaines du principal actionnaire du groupe CANAL +, Vincent Bolloré.
Cette décision a été confirmée par le Conseil d’État en date du 10 juillet 2024.
Si les propos du présentateur peuvent naturellement choquer, on peut s’interroger sur la légitimité du recours aux sanctions administratives (II) à l’encontre des abus de la liberté d’expression qui relèvent en principe de l’appréciation du pouvoir judiciaire compte tenu de l’enjeu de liberté fondamentale qu’il concerne (I).
Le juge judiciaire, garant de la liberté d’expression et répresseur de ses abus
Solidement arrimée tant du point de vue constitutionnel (art. 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789) que conventionnel (art. 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales), la liberté d’expression est une « liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale », selon le Conseil constitutionnel.
Comme le proclament les lois du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, l’imprimerie, l’édition et la communication audiovisuelle sont libres. Le législateur et la jurisprudence judiciaire ont développé un droit favorable à l’exercice de la liberté d’expression. On cite classiquement à ce sujet la brève prescription de trois mois pour les infractions de presse, les nombreux « chausse-trappes » procéduraux ou encore l’irresponsabilité pénale des personnes morales. Celles-ci sont autant de garanties ou de faveurs concédées à ceux qui exercent leur liberté d’expression.
Ces particularités du droit de la presse sont susceptibles de décourager les victimes d’abus de la liberté d’expression de saisir le juge judiciaire pour obtenir la condamnation des auteurs d’infractions de presse et la réparation éventuelle de leur préjudice. C’est d’autant plus vrai que les délais d’audiencement sont particulièrement longs alors même que le rapporteur de la loi du 29 juillet 1881 considérait que « serait tyrannique la loi qui, après un long intervalle, punirait une publication à raison de tous ses effets possibles les plus éloignés », ce qui justifie le court délai de prescription et le fait qu’à l’origine, les infractions de presse devaient être jugées rapidement.
Le député Louis Boyard a annoncé qu’il porterait plainte contre Cyril Hanouna sur le fondement de l’injure publique. Au terme de cette procédure qui ne devrait trouver un dénouement que dans plusieurs années, l’animateur star de C8 et le directeur de publication de la chaîne sont passibles d’une amende d’un montant de 45 000 €.
Comment expliquer, au regard de ce qui précède, que moins de trois mois après les faits la chaîne C8 ait été condamnée à une sanction pécuniaire de 3,5 millions d’euros par l’ARCOM, autorité administrative ?
La légitimité de l’ARCOM en question
Si le juge judiciaire demeure le garant de la liberté d’expression et le répresseur de ses abus, la matière ne lui est pas constitutionnellement réservée contrairement à la liberté individuelle ou au droit de propriété. C’est ce qui explique que l’ARCOM puisse intervenir dans une certaine mesure sur la liberté d’expression. En effet, à la différence de la liberté d’expression en général qui peut être considérée comme un bien collectif (l’exercice par une personne ne prive pas une autre personne de l’exercer) la liberté de communication audiovisuelle apparaît davantage comme bien rival. En effet, la diffusion d’une chaîne de télévision suppose l’utilisation de fréquences, existantes en nombre limité, contrairement à la publication d’un journal périodique ou des posts sur les réseaux sociaux, qui ne nécessitent pas l’utilisation d’une ressource limitée.
Les fréquences de télévision ou de radio sont attribuées par l’ARCOM via des appels à candidatures. L’autorité administrative doit, ce faisant, veiller au pluralisme du paysage audiovisuel. Pour ce faire, elle conclut avec les éditeurs qui définissent les caractéristiques du programme. Les éditeurs ne se voient ainsi pas tous assignés les mêmes obligations quant à la nature du programme (proportion d’actualités, de cinéma, de divertissements, etc.), à la part de chiffre d’affaires consacrée au cinéma, à la durée des publicités pouvant être diffusés par l’éditeur, etc. Outre les conditions particulières auxquelles sont soumis chaque détenteur d’une convention avec l’ARCOM, ces derniers sont également astreints à ce qu’on pourrait qualifier d’obligations d’ordre public. Ainsi, la convention entre l’ARCOM et C8 ne manque pas de rappeler les obligations de l’éditeur en matière de pluralisme, d’honnêteté et d’indépendance de l’information, de maîtrise de l’antenne ou de droit de la personne. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à ce dernier égard, la convention renvoie à la définition que fait la loi et la jurisprudence des atteintes à la vie privée ou à l’honneur et la réputation de la personne.
C’est, en premier lieu, sur le fondement du non-respect de l’obligation de respect des droits de la personne stipulée à sa convention que C8 est sanctionnée par l’ARCOM. Celle-ci fait l’économie des motifs en déclarant que les propos revêtent un caractère injurieux, sans qu’on puisse sérieusement la contredire au vu de l’accumulation grossière des propos de l’animateur. En second lieu, l’éditeur de programme C8 est sanctionné sur le fondement du manquement à l’obligation de maîtrise de l’antenne stipulée à sa convention avec l’ARCOM. Cette obligation doit conduire l’éditeur à interrompre la diffusion de propos répréhensibles ou au moins à dénoncer, modérer ou reformuler ces propos. L’émission phare de C8 avait déjà été sanctionnée en 2015 sur ce fondement pour la diffusion de propos choquants sur des personnes handicapées. Pour la séquence concernant les insultes de l’animateur envers le député Louis Boyard, l’autorité administrative souligne « qu’aucune personne présente en plateau ne cherche à tempérer [Cyril Hanouna] ni à modérer ses propos, les chroniqueurs s’étant alors exprimés l’ayant, au contraire, tous fait au soutien du présentateur. »
En définitive, l’ARCOM sanctionne l’éditeur de programmes C8 sur le fondement du non-respect de la convention passée avec lui. Si le montant de l’amende de 3,5 millions d’euros et son mode de calcul – une part du chiffre d’affaires de C8 – ne choque pas du point de vue du droit de la régulation, elle peut surprendre mise en perspective avec l’amende de 45 000 € qui pourrait être infligée, cette fois-ci au directeur de la publication et à l’animateur, sur le fondement de l’infraction d’injure publique envers une personne chargée d’un mandat public.
Les dispositifs répondent à des logiques fondamentalement différentes.
D’un côté, la sanction de l’ARCOM eu égard à la nature du support du propos et à l’importance de celui-ci dans le paysage médiatique. Elle a pour but de réguler l’expression avec une volonté de contrôler ses effets socioculturels.
De l’autre, la répression pénale encourue sanctionne un abus de la liberté d’expression sans considération du support, avec peu d’égard aux effets sur les destinataires, favorisant la liberté d’expression.
Ainsi, cette double « sanctionnabilité » peut-elle être justifiée au regard de ce qui précède.
Il convient enfin de noter que lors de son audition le 9 juillet 2024 devant l’ARCOM, la chaîne C8 s’est engagée à diffuser son émission phare Touche pas à mon poste en léger différé (de 15 à 45 minutes), ce qui pourrait être de nature à poursuivre l’obligation de maîtrise de l’antenne à laquelle elle est astreinte par la convention qui la lie au régulateur.
Référence : AJU014q9