Bois d’Arcy, une prison reconnue pour sa dimension inhumaine et dégradante pour la vie quotidienne des détenus

Publié le 17/01/2024

BoisArcy

En avril dernier, les barreaux d’Île-de-France, plusieurs associations d’avocats alliées à l’Observatoire international des prisons saisissaient le tribunal administratif de Versailles concernant la situation des détenus à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Tout commence en septembre 2022, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, programme une visite surprise à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, mise en service en 1980. Elle s’en souvient encore avec émotion. « J’étais effondrée », nous dit celle qui connaissait déjà l’établissement de l’époque où elle était éducatrice à la pénitentiaire. « J’étais horrifiée par la transformation du centre, non seulement c’était très sale, mais la vétusté des lieux était renforcée par une surpopulation terrible (15,1 % en août 2023, NDLR). On entrait dans les cellules où il n’y avait pas d’électricité, avec des fils qui pendent partout. Ça sentait l’huile brûlée, car ils fabriquent de petites chaufferettes : ils enroulent du tissu autour d’une boîte de concentré de tomate, y mettent de l’huile et placent autour quatre canettes de coca qui permettent de tenir la casserole pleine d’eau. C’est proprement effrayant ». Très rapidement elle se convainc que l’avis positif de la commission de sécurité se basait sur les chiffres théoriques et non sur un travail sur place : « cette visite avait révélé tout de suite que la sécurité des détenus et des surveillants n’était pas assurée, d’autant plus que le taux d’absentéisme était épouvantable, de l’ordre de 1/100 ou 150 au lieu de 1/50 ailleurs. Dans les coursives sans surveillant, les détenus entendaient mes pas, glissaient sous la porte des drapeaux, des morceaux de papier pour se faire entendre, obtenir un renseignement, un médicament, demander de l’aide en urgence… je me suis tout de suite dit que nous allions au-devant d’une grande catastrophe ». Dominique Simonnot s’étrangle : « que répondra-t-on aux familles si un incendie se déclare ? Je veux que l’on se rende compte que l’on paye 110 euros par jour par détenu et on ne peut pas espérer qu’il en sorte des gens meilleurs, en plaçant 3 jeunes hommes dans une cellule 21 heures/24, ce qui équivaut à un châtiment corporel ».

Le 16 décembre 2022, Dominique Simonnot publie au Journal officiel un rapport accablant et revêtant un caractère d’urgence. Elle y pointe des problèmes d’hygiène, de vétusté, de sécurité et de surpopulation et réclame, chose rarissime, de « suspendre les incarcérations jusqu’à ce qu’une inspection générale de la justice confirme que la sécurité des détenus est assurée […] et que les conditions de travail permettent aux surveillants d’assurer l’ensemble de leurs missions. » En réponse, Éric Dupond-Moretti indique qu’une vaste opération de rénovation électrique est en cours, pour une fin de chantier en 2024. Mais cela ne suffit pas à convaincre les professionnels de justice.

Une opération des barreaux pour appuyer le rapport de la Contrôleuse

Avril 2023. Pour faire suite au rapport de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, l’Observatoire international des prisons, l’Association des avocats pour la défense des détenus, l’Association des avocats pénalistes, le Syndicat des avocats de France, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats ainsi que l’Ordre des avocats du barreau de Paris, rejoints ensuite par les barreaux de Versailles, du Val-d’Oise, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et de Meaux, ont déposé un référé-liberté auprès du tribunal administratif de Versailles « enjoignant aux autorités compétentes de mettre en œuvre une série de mesures pour assurer la sécurité, la santé des détenus de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy et des conditions de détention dignes ».  « Je m’y suis rendu. J’ai vu un endroit très dégradé. Il y a là-bas une dimension inhumaine et dégradante pour la vie quotidienne des détenus. Le mieux serait de tout refaire. Complètement », avait expliqué Marc Mandicas, bâtonnier du barreau de Versailles.

Selon la requête, les personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Bois d’Arcy étaient détenues dans des conditions indignes et étaient exposées à de multiples dangers objectifs et immédiats pour leur vie et leur intégrité physique et morale ainsi qu’à des atteintes à leur dignité et à leur vie privée. Était demandé au juge des référés d’enjoindre, sous astreinte, au garde des Sceaux, ministre de la Justice, au ministre de la Santé et de la Prévention et à toute autre autorité administrative compétente, de prendre, dans les plus brefs délais, vingt-trois mesures se rapportant à la sécurité et à la prévention des risques d’incendie, aux systèmes de chauffes artisanales, aux conditions matérielles de détention, à l’état des parties communes, au maintien des liens familiaux des détenus, à leur santé et à l’accès aux soins, aux mesures de contrainte lors des extractions médicales ou encore aux conditions de fouille des détenus.

Le juge des référés, par l’ordonnance n° 2302657 du 17 avril dernier (http://versailles.tribunal-administratif.fr/content/download/212654/2028101/version/1/file/2302657.pdf) a donné raison aux plaignants. Il a estimé qu’une atteinte grave et manifeste aux libertés fondamentales des personnes détenues était établie. Notamment, le taux d’occupation du centre pénitentiaire atteint encore 152,5 % au 1er mars 2023, ce qui conduit mécaniquement l’administration à déroger au principe de l’encellulement individuel des détenus, qui disposent de moins de 3m² d’espace individuel et induit une dégradation des conditions dans lesquelles se déroulent les moments de promenade. Le juge a enjoint le garde des Sceaux, ministre de la Justice et le préfet des Yvelines, de prendre douze mesures, au plus tard dans un délai de dix jours à compter de la notification de son ordonnance. Ces mesures, très pratiques et précises, visent principalement à contrôler la sécurité des risques incendies et d’hygiène alimentaire et sanitaire, mais également à respecter la dignité de la personne humaine lors des opérations de fouilles dites intégrales.

« Je trouve que les tribunaux administratifs sont dans la progression »

Une démarche inédite qui a été comprise comme un véritable passage de relais par Dominique Simonnot : « C’est une sorte de partage des tâches, à eux de se saisir de nos recommandations comme ils se saisissent du petit guide du CNB que nous avons aidé à monter, je trouve que les tribunaux administratifs sont dans la progression, se rendent comptent que cela ne peut pas durer. Le juge a dit que l’état répugnant des douches ne se voyait pas sur les photos du ministère de la Justice alors que sur les nôtres si ! Il s’est posé la question de la valeur des documents produits par le ministère. À Perpignan, j’avais vécu la même chose : nos constats montraient que tout était infâme, un extérieur avec des chats errants, des goélands… le ministère avait envoyé des photos des cours toutes propres. Mais le tribunal avait pris pour acquis nos constats. Cela montre aussi que pour faire avancer les choses rien ne vaut une bonne collaboration entre personnes qui travaillent dans les mêmes lieux sans forcément travailler ensemble. Réunissez dans une prison des associations, des syndicats pénitentiaires, des associations de magistrats et d’avocats, des médecins et tous constateront la même chose et en viendront aux mêmes constats. Je dois aussi admettre que le contexte est particulièrement difficile pour les directeurs et directrices de prison actuellement : il faudrait mettre sur leur fiche de poste « cherchons superman pour prison en déliquescence » car la pénitentiaire ne peut pas afficher « complet » sur sa devanture, elle est obligée d’accepter des gens. Il faut arriver à 230 % de saturation pour obtenir un « stop écrou » (comme ce fut le cas en mai à la prison de Gradignan) : c’est inadmissible ! Certes la situation dans les vieilles prisons comme Bois d’Arcy est terrible, mais la situation n’est pas forcément plus humaine dans les paquebots où il faut badger comme au tribunal. Ces grands blocs de béton faits pour que les gens se croisent le moins possible construits loin du centre-ville, avec un bus prison qu’il ne faut pas manquer sous peine de rater le parloir… c’est inhumain ».

Cela fait plusieurs mois que le ministère a été sommé par la justice d’agir. Dominique Simonnet pense que les choses devraient s’arranger à Bois d’Arcy : « on va se déplacer pour voir si les douze points ont été réglés, je ne peux pas imaginer que le ministère de la Justice n’obéisse pas à un tribunal ». Contactée, l’OIP nous affirme que la majeure partie des injonctions ont été réalisées à Bois d’Arcy.

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