Characouda condamné au bûcher : la peine de mort enseignée aux enfants ?
« Il n’y a de nouveau que ce qui est oublié », disait Rose Bertin, la modiste de la reine Marie-Antoinette. Elle pensait certes à ses fanfreluches, mais le principe pourrait s’appliquer aussi, plus généralement, aux leçons de l’Histoire. Aurait-on « oublié » le spectacle atroce de la peine de mort, autrefois si prisé par l’opinion publique – enfants compris ? La question peut paraître absurde, et pourtant…

Dans un article intitulé L’abolition de la peine de mort est un des rares droits humains en constante progression (Actu-juridique.fr du 15 avril 2025), Anne-Laure Pineau évoque une conférence tenue récemment par une Américaine, Sunny Jacobs, dans un collège français. Cette dame avait été condamnée à mort en 1976 aux USA, avant d’être innocentée ; depuis, elle milite pour l’abrogation de la peine capitale dans tous les pays. Car le combat est loin d’être gagné : aujourd’hui encore, des milliers de personnes sont exécutées, le chiffre précis n’étant pas connu parce que le premier pays pourvoyeur des de condamnés, la Chine, garde le secret sur ses statistiques.
Si la cause des abrogationistes gagne du terrain chaque année, personne ne peut dire ce que l’avenir nous réservera, les sondages démontrant que, 44 ans après l’abolition de la peine de mort, le pourcentage des Français qui y sont favorables reste, grosso-modo, stable : environ la moitié. Plus que jamais, il est donc nécessaire de sensibiliser les jeunes et les enfants à cet enjeu : c’est ce que s’attache à faire Sunny Jacobs, à qui il faut rendre hommage. C’est pourquoi l’initiative récente prise par une école primaire normande, située aux antipodes de sa démarche, laisse très perplexe.
Que l’ogre meurt !
Le 4 avril 2025, le quotidien normand La Presse de la Manche publiait un article intitulé Characouda jugé et condamné au bûcher. On y apprenait qu’à l’initiative de l’association des parents d’élèves et, aussi, des instituteurs de l’école primaire de Virandeville (Manche), les gamins avaient fêté le carnaval. De quelle manière ? En organisant le procès de Characouda, « un ogre qui a été victime de harcèlement dans sa jeunesse et qui a voulu se venger. Il a commis beaucoup de bêtises et commis des atrocités, détruisant tout un village. Pour toutes ces raisons, les trois enfants juges l’ont condamné au bûcher » (dixit l’article).
Éducation civique et divertissement se sont donc retrouvés, dans la joie et la bonne humeur, sous le patronage d’adultes charmés par l’enthousiasme des adorables « petites têtes blondes », afin d’assister à une condamnation à mort, certes fictive, mais chargée de sens comme l’est n’importe quel spectacle.
Je note que Characouba aurait pu espérer une certaine indulgence, puisque l’article nous apprend qu’il avait été victime de harcèlement dans sa jeunesse, mais les circonstances atténuantes (comme le jugement en appel et la grâce) lui ont été refusées par un trio d’enfants transformés en juges impitoyables. La peine de mort a été donc exécutée, selon la manière la plus féroce prévue par les diverses législations du moyen-âge : le feu.
« Toutes les violences ont un lendemain »
L’article ne précise pas si, afin abréger ses souffrances atroces, Characouda a eu droit, comme c’était souvent le cas, à un retentum, c’est-à-dire à être étranglé subrepticement, une fois sur le bucher, par le bourreau : mais, puisque le retentum était toujours secret, on peut imaginer qu’un enfant-bourreau l’a fait… secrètement ?
On sait qu’autrefois, lorsque la peine capitale était exécutée publiquement, les enfants accouraient nombreux, avec ou sans leurs parents, assister au spectacle de la mise à mort d’un homme. Une fois adultes, ils trouvaient « normal » que la Justice brûle, dépèce, décapite, pende les condamnés : « Toutes les violences ont un lendemain », écrivait à juste titre Victor Hugo, et c’est ainsi que la France a été un des derniers pays européens à abolir la peine de mort, en 1981.
Je suppose qu’en organisant cette mise en scène macabre, les instituteurs et les parents d’élèves de Virandeville ont voulu, tout simplement, divertir. Mais ce qu’on fait à l’école et qui est validé par les adultes (tous les adultes), même l’initiative la plus banale, prend souvent, aux yeux des enfants, une importance, un sens, qu’on ne soupçonne pas. Derrière l’amusement, on a passé un message, investi en quelque sorte sur l’avenir, à savoir : chers enfants, la peine de mort est une bonne chose, et peut même constituer un spectacle fort distrayant ; n’écoutez donc pas les âmes sensibles réclamant de la pitié, la Justice se doit d’être terrible, et même atroce ; et, quand vous serez devenus des électeurs, œuvrez en faveur du rétablissement de la peine capitale, afin que la France puisse intégrer les rangs des dictatures qui, aujourd’hui encore, la pratiquent.
« Cette fête populaire autour du sang »
La dernière exécution publique en France date du 17 juin 1939. Ce jour-là, Eugène Weidmann fut guillotiné à Versailles. En 1981, un magistrat interviewé dans l’émission Sept sur Sept et qui avait assisté à cette mise à mort, a raconté ses impressions : « L’exécution avait eu lieu devant la porte de la prison, en public. […] Ce qui était affreux, c’était l’espèce de fête que cela représentait. Depuis plusieurs jours, sur la petite place, toutes les fenêtres étaient louées. Tous les cafés avaient ouvert. Une foule était aux fenêtres, avait festoyé toute la nuit et attendait le moment de l’exécution. Dans ce public, il y avait toutes les catégories sociales, des gens très simples aux gens fortunés. […] Le lendemain, la presse avait signalé la façon dont ça s’était déroulé, le véritable scandale que représentait cette fête populaire autour du sang. Cela avait ému l’opinion. Très rapidement, le gouvernement de monsieur Daladier a décidé que ça serait la dernière fois qu’une exécution aurait lieu en public ».
Y aurait-il des personnes pour regretter « cette fête populaire autour du sang »… ?
Référence : AJU498461
