Marzieh Hamidi, championne de taekwondo et porte-parole des femmes afghanes

Publié le 20/11/2024
Marzieh Hamidi, championne de taekwondo et porte-parole des femmes afghanes
Public Sénat

Le 24 octobre dernier, la délégation aux droits des femmes du Sénat entendait Marzieh Hamidi, championne de taekwondo, invitée par Laurence Rossignol, sénatrice du Val-de-Marne. Réfugiée en France depuis trois ans, la jeune femme a levé le voile sur sa vie à Vincennes, où elle a été accueillie en mars 2022. Elle y vit désormais sous protection policière.

Jeune, belle et ne s’en cachant pas, Marzieh Hamidi apparaît à la tribune du Sénat le visage maquillé, de longues boucles d’oreilles sous ses longs cheveux lâchés. Elle est championne de taekwondo mais n’est pas venue parler de sport ! Elle est là pour raconter le sort des femmes, en Afghanistan, qui a changé du jour au lendemain, en une nuit, à la fin du mois d’août 2021. Depuis, explique-t-elle, ses concitoyennes sont comme emmurées vivantes. « Avant je m’entraînais pour moi, je voulais être une championne. Après la chute des Talibans, mon sport est devenu plus qu’une passion. Maintenant c’est vraiment une lutte contre un groupe terroriste ». Elle raconte la vie de ses concitoyennes, devenue une suite d’empêchements et de négations. Interdiction d’avoir une éducation après l’âge de 12 ans. De travailler. De participer à une compétition sportive. D’avoir un téléphone portable. D’aller et venir dans les rues sans tuteur. De chanter. À ces interdictions en cascade s’est récemment ajoutée la fermeture des salons de beauté, dernier lieu de rencontre pour les femmes. « La moitié de la population a perdu son droit même de respirer », résume la jeune femme. « Les femmes sont des esclaves qui ne servent qu’à avoir des enfants qui deviendront une nouvelle génération de Talibans ».

C’est Laurence Rossignol, sénatrice socialiste du Val-de-Marne et féministe, qui a eu l’idée de faire venir Marzieh Hamidi à la tribune du Sénat, institution qui a déjà plusieurs fois exprimé son soutien aux Afghanes. Le 25 novembre 2021, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le Sénat avait organisé un colloque international sur la situation des femmes en Afghanistan. Près d’un an plus tard, il avait remis en octobre 2022 le prix de la délégation aux droits des femmes à Shoukria Haidar, présidente de l’association Negar qui œuvre pour l’accès à l’éducation des femmes. Le 17 octobre 2024, la commission des affaires européennes du Sénat adoptait la proposition de résolution européenne pour prendre des mesures contre les atteintes aux droits fondamentaux commis contre les femmes. Des actions importantes sur le plan symbolique, qui ne changent pas la vie des Afghanes. « Comment ne pas se sentir impuissant alors qu’un crime contre l’humanité fondée sur le genre se déroule à quelques milliers de kilomètres ? », s’est interrogée Dominique Vérien, présidente de la délégation sur les droits des femmes du Sénat. À cette question, Marzieh Hamidi a donné quelques pistes de réponse. Premièrement, a-t-elle rappelé, « soutenir les Afghanes, c’est boycotter les Talibans et les empêcher de venir en Europe. Ensuite, la priorité est de lutter pour leur accès à l’éducation ». Mais à ce sujet, la sportive appelle à une vigilance particulière. « Il faut ouvrir des écoles mais aussi se demander : quel type d’éducation vont-elles recevoir », a-t-elle alerté, soulignant que le contenu des programmes scolaires est aussi important que l’accès à l’école. « Les talibans radicalisent les filles et les garçons, particulièrement dans les régions pachtounes. Ils préparent une génération de Talibans filles », a-t-elle insisté.

La jeune femme a tenu à élargir son propos et à parler de l’oppression subie par les Afghans quel que soit leur genre. Le régime Taliban lèse le pays entier, et pas seulement les femmes, a-t-elle ainsi précisé. « Les jeunes garçons sont forcés d’aller dans des madrasas pour devenir des Talibans. Certains y sont envoyés de force ». En tant que femme, en tant qu’athlète, elle entend néanmoins porter en premier lieu la parole des femmes. Interrogée sur le fait de savoir si des hommes, en Afghanistan, se soucient du sort des femmes, elle a répondu par la négative. Ils sont peu à les soutenir, et seulement a minima, assure-t-elle. « Ils peuvent ainsi être d’accord pour que l’on travaille, mais à condition d’être couverte et que l’on ne chante pas ». Les vrais alliés des femmes Afghanes ne seraient d’après elle « qu’une poignée ». Les hommes qui s’inquiètent de la prise du pouvoir par les Talibans craignent surtout, dit-elle, les répercussions économiques de l’isolement.

En 2022, la maire Charlotte Libert-Albanel, avait officiellement souhaité la bienvenue au nom des Vincennoises et des Vincennois à Marzieh Hamidi. La ville de Vincennes s’était portée candidate pour loger certains des 2 600 Afghans qui avaient pu rejoindre la France dans le cadre de l’opération Apagan menée par les autorités françaises pour accueillir les réfugiés menacés par les Talibans. Depuis son appartement, Marzieh Hamidi continue à avoir des contacts avec ses collègues athlètes restées au pays. En parler lui est difficile. « Je me sens coupable vis-à-vis d’elles. Je continue à faire mon sport, quand elles ne peuvent même pas quitter leur maison. Elles ont perdu trois ans pendant lesquels elles auraient pu étudier, progresser dans leur discipline. Elles mériteraient tout autant que moi de vivre libres. J’essaye de les écouter autant que possible mais je ne peux pas partager grand-chose de ma vie avec elles. J’ai honte ». Plusieurs sénatrices lui ont répondu qu’elle pouvait au contraire être fière de ses prises de paroles et des actions qu’elle mène pour faire entendre ses compatriotes réduites au silence. Pourtant, Marzieh Hamidi est loin d’avoir la vie facile. Elle a beau vivre à des milliers de kilomètres du régime Taliban, elle reste une cible. « Je vis de la même façon qu’en Afghanistan, je dois cacher qui je suis, me préparer à être agressée car j’ai osé élever la voix contre eux ». Elle explique que des groupes de fanatiques influencés par les Talibans la harcèlent. Elle reçoit des flots de menaces de mort. En arrivant en France, elle a pris des cours de français, qu’elle dit avoir arrêté après y avoir rencontré deux jeunes « fans de Talibans ». Elle témoigne qu’elle continue de recevoir des flots de message, de menace de viol ou de mort. « Ils se sont partagé mon numéro de téléphone. Ils sont un groupe, une équipe. Un soir, j’ai reçu 500 messages en quelques heures. Tous venaient de numéro européens ».Marzieh Hamidi a porté plainte pour cyberharcèlement le 3 septembre dernier. Sa plainte est instruite par le pôle national de lutte contre la haine en ligne. Elle estime que toutes les femmes devraient se sentir concernées, car toutes sont des cibles pour les Talibans. Même si les Européennes sont moins exposées que les Afghanes, elles le sont aussi, avertit-elle. « Ils diffusent leur idéologie et ils peuvent agir ici », Marzieh Hamidi a fini par demander une protection policière. « Je ne voulais pas devenir une victime ! », dit-elle.

Interrogée sur la décision prise par la France d’accorder de manière automatique l’asile aux Afghanes, elle a livré une réflexion nuancée, estimant qu’être femme ne signifiait pas automatiquement être hostile à l’idéologie des Talibans. « C’est bien d’aider mais il faut savoir qui on aide. Certaines femmes sont complices des Talibans. On leur a lavé le cerveau. ». Elle a assuré également que parmi les Afghans qui l’avaient menacé, certains vivent désormais en France. Souvent présentée comme une athlète féministe, Marzieh Hamidi a été invitée à donner son avis sur la situation des femmes en France. Elle a esquissé un sourire, comme une manière de dire que ce sujet n’est pas le sien, et sans répondre vraiment à la question. « Ici, les femmes ne savent pas ce que c’est que de croiser une voiture pleine de policiers qui vont vous emmener et vous battre à mort. Elles se battent pour faire ce qu’elles veulent. C’est leur choix et je le respecte. Mais cela n’a rien à voir ».

Dans la salle, lors de son audition, le public était clairsemé. Pas un homme n’était venu écouter la jeune femme. Samedi 26 octobre, deux jours après l’audition de Marzieh Hamidi, le ministre taliban chargé de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice, venait ajouter une nouvelle restriction aux si maigres droits des femmes afghanes. Il déclarait que les femmes n’auraient désormais plus le droit de réciter le Coran à voix haute en présence d’autres femmes. Une mesure, qui d’après des organisations internationales, pourrait témoigner d’une volonté d’empêcher, à terme, toute communication verbale entre femmes en Afghanistan…

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