L’abolition de la peine de mort est un des rares droits humains en constante progression

Publié le 15/04/2025
L’abolition de la peine de mort est un des rares droits humains en constante progression
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Abolie en France en 1981, la peine de mort fait encore de nombreuses victimes dans le monde, du Nord au Sud. Pour l’association Ensemble contre la peine de mort, la lutte ne doit jamais s’arrêter. Explications.

Paris, le 14 mars 2025, devant le collège Lucie et Raymond Aubrac, les élèves vont et viennent dans le chahut. À leur âge, difficile de rester concentré plus de 30 minutes. Puis une petite dame en chaise roulante se faufile entre les sweats larges et les sacs à dos raplapla, dans un français hésitant elle interpelle des ados, assises en groupe dans la cour bétonnée. « Vous savez de quel arbre il s’agit ? », demande-t-elle en pointant du doigt les quelques arbres prisonniers des 4 murs. Les racines des hêtres ont beau être prises dans le ciment, leurs branches pleines de bourgeons s’étirent vers l’éther, plein d’espoir. L’Américaine, Sunny Jacobs, connaît ce sentiment : condamnée à mort en 1976 elle a passé 17 ans en prison, dont cinq ans à l’isolement (la Floride ne disposant pas de place pour les femmes dans le couloir de la mort), avant d’être innocentée.

Dans la grande salle de conférences, des dizaines de chaises ont été disposées et Sunny fait face à une cinquantaine d’adolescents. Les jeunes ont déjà échangé sur le sujet avec leurs professeurs et un membre de l’association Ensemble contre la mort (ECPM), ils sont partagés – à l’image de ce qui se passe dans la société des adultes. Mais face à Sunny, les arguments pour la peine de mort ont tendance à perdre en vigueur. Sunny Jacobs a non seulement survécu à un traumatisme très particulier – survivre à sa condamnation à mort par la société, avoir échappé aux enfances de ses enfants – mais elle fait montre d’une énergie hors du commun pour que pareille injustice ne se renouvelle pas. Avec son époux, Peter Pringle, décédé en 2022, également ancien condamné à mort, ils ont monté en Irlande un centre, le Sunny Center, destiné à recevoir et soigner les survivants d’où qu’ils viennent. L’association ECPM en est convaincue : on peut faire du lobby pour l’abolition de la peine de mort auprès des politiques, des États, mais les témoins comme Sunny Jacobs ou le Kenyan, Pete Ouko, qui était aussi en France en mars, ont une place capitale, sur le terrain, pour travailler au plus près des citoyens dont les opinions sont souvent modulées par les actualités, les faits divers.

« Nos témoins sont identifiés grâce à des associations, des groupes de défense citoyens qui travaillent sur le sujet des condamnés à mort. Nous faisons très attention, dans ces interactions, au profil psychologique des personnes, car témoigner peut parfois raviver le traumatisme, répondre aux questions des jeunes peut être dur et violent. Notre démarche n’est pas d’exploiter un public fragilisé », nous explique Aminata Niakate, avocate au barreau de Paris, conseillère de Paris et présidente d’ECPM depuis 2020. «Ce que je trouve impressionnant avec ces personnes, c’est qu’ils ont passé 10, 20, 30 ans à l’isolement, qu’ils ont parfois perdu tout espoir, mais qu’ils sont tellement heureux d’en être sortis qu’ils ne démontrent pas de colère ou de ressentiment. Ils savent dans leur chair, l’horreur que c’est, la peine de mort, ils ont survécu, et ça devient le but de la vie qu’il leur reste, de l’abolir. Ils font ça bénévolement ! »

Une situation qui s’améliore chaque année

Chaque année, l’association publie un rapport pour montrer comment évolue l’abolition de la peine de mort dans le monde. Selon Aminata Niakate, « l’abolition est un des rares droits humains en constante progression » : sur les 198 États, 80 % n’exécutent plus personne. Que les pays aient aboli ou décidé un moratoire sur les peines de mort. Chaque année un nouveau pays s’ajoute à la liste. « On considère que le continent où l’abolition avance le plus vite en ce moment, c’est l’Afrique (avec un bémol en RDC où le moratoire a pris fin à cause du contexte de tension). Il existe encore des pays où l’on exécute pour cause d’homosexualité. La Chine reste championne du monde des peines de mort (même si les chiffres sont secret-défense) » ! Si l’association a publié cette année un rapport consacré à l’Iran, c’est parce qu’il s’agit du pays qui exécute le plus en termes de proportion avec sa population : « la situation s’est aggravée avec le mouvement Femme, Vie, Liberté. Il y a une instrumentalisation politique de la peine de mort contre les populations. En 2024, d’ailleurs 4 exécutions ont eu lieu en public, afin d’envoyer un signal, provoquer une sidération. Si des manifestants ont été exécutés, l’immense majorité des personnes le sont pour trafic de stupéfiant. En croisant les chiffres, on trouve en 2024 le chiffre de 975 personnes (dont 31 femmes et 1 mineur) exécutées, un chiffre sans doute en dessous de la réalité, qui ne prend pas en compte les exécutions sommaires, rapportées sur le terrain. De fait, depuis 2022, le nombre d’exécutions a presque doublé. Mais la population reste majoritairement opposée à la peine de mort : en 2024, 649 condamnés a mort ont été pardonnés par les familles des victimes et leurs peines ont été commuées en prison à vie », se réjouit l’avocate.

« Notre travail c’est de plaider auprès des États pour qu’ils abolissent ou réduisent les champs de la peine de mort. On travaille avec des réseaux de parlementaires, les ministres de la Justice, des journalistes et sensibilisons l’opinion publique qui n’a pas toujours le courage d’affronter ces questionnements frontalement ».

En France, un sujet toujours d’actualité, malgré l’abolition

Comme le montre la récente mobilisation pour le rapatriement de Serge Atlaoui, condamné à mort en Indonésie en 2005 et rapatrié en France en février 2025, les Français sont concernés par la peine de mort. Même chose pour les demandes répétées de ne pas exécuter l’Américain, Hank Skinner, marié à une Française, qui a passé 27 ans dans le couloir de la mort avant de décéder de maladie derrière les barreaux. Un documentaire intitulé : Un moment dans la vie de Hank Skinner, réalisé par Jordan Feldman et diffusé par Canal Plus, relate les deux semaines qui précèdent l’une de ses dates d’exécution du 24 mars 2010 au travers du regard de son épouse, Sandrine Ageorges-Skinner. Il resterait aujourd’hui cinq Français condamnés à mort à l’étranger, qui sont souvent l’objet de tractations diplomatiques.  « Nous considérons certains prisonniers comme des otages, c’était le cas par exemple d’Olivier Grondeau qui a été détenu en Iran depuis 2022 et qui vient d’être libéré en mars ».

Cependant, loin des yeux ne veut pas dire loin du cœur. L’association ressent le besoin de continuer à plaider en France. Dès qu’un attentat ou un fait divers particulièrement sordide entache l’actualité, certains médias lancent des sondages sur l’opinion des Français concernant la peine de mort, qui tourne en temps normal autour du 50/50 mais a tendance à basculer dans les périodes difficiles. « Les gens terrifiés ont ce réflexe de la pulsion de mort. Selon nous ces sondages n’ont pas lieu d’être : on ne demande pas l’opinion des Français sur l’esclavage ou la pénalisation de l’homosexualité. C’est la même chose ». L’association déploie donc tous ses arguments grâce à ses témoins (« on est rarement pour la peine de mort quand on a devant soi quelqu’un qui aurait pu avoir la tête coupée », souligne la présidente) mais aussi grâce à un livret traduit en anglais et en arabe où les faits sont rappelés noir sur blanc : la peine de mort n’est pas dissuasive, elle constitue une torture, ne rend pas la société plus sûre et correspond à un geste de vengeance plus qu’à un geste de justice (comme le démontre la présence des familles de victimes aux exécutions, par exemple). « De plus, les délais d’exécution qui existent après la condamnation plongent les familles dans l’impossibilité de faire leur deuil et après, elles comprennent que cela ne ramène pas la victime. Parfois, dans le cas des erreurs judiciaires par exemple, la peine de mort est également un obstacle à la vérité ». L’avocate tient malgré tout à rappeler que quand François Mitterrand a été élu avec la promesse de l’abolition, les Français étaient en grande majorité favorables à la peine capitale. « Il a fallu un grand courage politique au candidat et à Robert Badinter (président d’honneur de l’association) pour mettre en place cette loi : ce n’est pas un hasard si la date de la Journée mondiale contre la peine de mort est le 10 octobre, rappelle-t-elle, c’est le jour de publication de la loi au Journal officiel ».

Une peine inhumaine de bout en bout de la chaîne

En février dernier, un condamné à mort de Caroline du Sud a demandé à être exécuté par peloton d’exécution, une méthode rarement choisie dans un pays qui prône l’injection létale. « C’était le seul choix qu’il avait, après que les trois exécutions dans l’État par injection létale ont fait subir des agonies prolongées et potentiellement proches de la torture à des hommes qu’il aimait comme des frères », avait expliqué son avocat, Gerald King. Depuis quelques années en effet, les artisans de la mort dans les pénitenciers américains se trouvent face à une crise sans précédent : produits létaux en rupture de stocks ou mal dosés, équipements défectueux, les mises à mort ne peuvent plus passer pour indolores (elles ne l’ont jamais été !). « Aux États-Unis, les méthodes d’exécution ont été prévues pour être les moins traumatisantes pour les bourreaux surtout depuis la généralisation de l’injection létale qui immobilise le détenu, l’endort puis le tue sans que personne n’intervienne physiquement sur son corps. La crise que l’on trouve en ce moment (l’Alabama et la Louisiane ont mis en place l’exécution par masque d’azote) démontre bien la barbarie de l’exécution et qu’il n’y a aucune réparation, aucune solution, à attendre de la peine de mort ».

Très engagée sur les questions d’égalité et des droits humains, Aminata Niakaté, préside la commission Parité-Égalité de l’Union nationale des professions libérales. Très investie au sein de sa profession, elle a également présidé la commission Égalité du Conseil national des barreaux entre 2018 et 2020. Une démarche qui va de pair avec ses fonctions au sein d’ECPM. « Les avocats ont l’abolition dans leur ADN. On a fondé la Coalition mondiale contra la peine de mort, dont le barreau de Paris et le CNB sont membres. Sur le terrain, les avocats sont des partenaires privilégiés : nous formons des avocats dans les pays concernés à travailler correctement ce qui peut être compliqué. Dans un pays comme le Cameroun, les condamnés à mort sont détenus à l’écart de la capitale où se trouve le barreau, il faut accéder à cette province difficile… Ces professionnels de la loi ont besoin de soutien, voilà pourquoi lors du 8e Congrès mondial contre la peine de mort qui s’est tenu à Berlin, nous avons récompensé du Prix de la Défense, le Réseau des avocats camerounais contre la peine de mort (RACOPEM) », explique la présidente qui espère également, avec la création récente d’une école de l’abolition avec le Conseil de l’Europe, former les nouvelles générations à l’abolition.

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