Le sort de Mariam Abudaqa entre les mains du Conseil d’État
Membre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation classée terroriste, et militante des droits des femmes, Mariam Abudaqa, 73 ans, est venue en France donner une série de conférences. Mais, suite à l’attaque terroriste menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre, le ministère de l’Intérieur a jugé que ses conférences risquaient de porter une atteinte grave à l’ordre public et a ordonné son expulsion. Celle-ci a donné lieu à une bataille juridique dont un épisode s’est joué ce mardi après-midi devant le Conseil d’État.
Repartira ou repartira pas ? Mariam Abudaqa a obtenu le 7 août un visa du consulat de France à Jérusalem de 50 jours afin de lui permettre de venir donner une série de conférences. Cette femme de 73 ans est connue en tant que militante du droit des femmes, mais aussi et surtout membre de l’organisation classée terroriste FPLP. Elle milite notamment pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, condamné à la perpétuité en 1987 pour l’assassinat de diplomates américain et israélien.
Expulsion en urgence absolue
À la suite de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, le ministère de l’Intérieur a estimé que ses conférences représentaient une menace pour l’ordre public et pris un arrêté « d’expulsion en urgence absolue pour menace grave à l’ordre public ». Celui-ci a été annulé par une ordonnance du tribunal administratif de Paris en date du 20 octobre. Le tribunal a relevé que si elle avait donné deux conférences malgré l’interdiction qui les frappait, et manifesté par deux fois après le 7 octobre pour obtenir la libération d’Abdallah, en revanche elle n’avait pas soutenu le Hamas, ni proféré de propos antisémites, ni commis de provocation à la haine.
C’est dans le cadre d’un référé-liberté que le ministère de l’Intérieur a décidé de demander l’annulation de cette ordonnance. Il a été examiné ce mardi à 15 heures par le juge Thomas Andrieu. Mariam Abudaqa, présente à l’audience, ne fait plus à la date du 31 octobre l’objet d’aucune mesure de contrainte, la mesure d’assignation à résidence à Marseille ayant été levée à la suite de l’ordonnance du tribunal administratif. La première discussion a porté sur l’urgence. Pour le ministère, il n’y avait pas d’urgence à demander au TA de suspendre la mesure dès lors que si l’expulsion avait été ordonnée, le pays de renvoi n’était pas encore trouvé. En tout état de cause, il lui aurait été possible alors de faire un référé-liberté. L’avocate de Mariam Abudaqa, Me Julie Gonidec, objecte que la date de son expulsion avait été fixée au 22 novembre et qu’il y avait donc bien urgence.
« Réclamer la libération d’Abdallah, c’est jeter de l’huile sur le feu »
Deux libertés ici sont en cause, celle d’aller et venir et la liberté d’expression. Le juge prend soin de rappeler que défendre la cause Palestinienne n’est pas un trouble à l’ordre public en soi, et qu’il s’agit de démontrer en quoi concrètement la présence de Mariam Abudaqa est de nature à troubler l’ordre public. Jusqu’au 7 octobre, répond Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur, la dénonciation de la politique coloniale israélienne et le soutien à Abdallah relevait du débat public. Mais ensuite, dès lors qu’elle est membre du bureau politique du FPLP, organisation considérée comme terroriste par l’Union européenne depuis 2001, le ministère a jugé nécessaire qu’elle suspende ses conférences. Ce qu’elle a refusé de faire. « Au moment où la France est en émoi, réclamer la libération d’Abdallah, c’est jeter de l’huile sur le feu et risquer de déclencher des troubles graves à l’ordre public » analyse Pascale Léglise. Elle n’a pas voulu renoncer, le ministère a considéré que sa présence en France était de nature à créer un trouble à l’ordre public, c’est pourquoi il y a un lien entre ces conférences et son expulsion. Le ministère lui reproche de se rendre à des conférences organisées par des associations qui ont tenu, avec ou sans elle, des manifestations prenant officiellement le parti du Hamas, avec des slogans du type « Israël casse-toi, la Palestine n’est pas à toi ». Le fait de l’assigner à résidence a mis fin à ces conférences. Pascale Léglise rappelle ensuite qu’on dénombre 857 événements actes antisémites à la date de l’audience : menaces, injures, coups et blessures, atteintes aux lieux communautaires, étoiles de David peintes sur des habitations, enfants violentés dans les écoles, opérations de doxxing. La difficulté, que souligne le président, c’est que le ministère ne semble pas en mesure de reprocher à Mariam Abudaqa d’actes ou de paroles répréhensibles.
Son avocate en profite pour préciser qu’elle ne se présente pas dans ces conférences en tant que porte-parole du FPLP, mais se contente de prôner une mise à l’agenda politique de la question gazaoui et de parler de la défense des femmes. Il n’empêche, dans le contexte actuel, être membre du bureau politique d’une association classée terroriste par l’UE n’est pas anodin dès lors qu’il s’agit de mesurer le trouble à l’ordre public que ses prises de parole peuvent susciter.
« Are you member of the political bureau of FPLP ? »
L’audience va alors prendre soudain un tour inattendu. Les épisodes de tension sont rares devant la très aride juridiction administrative, aussi la crispation de Marima Abudaqa quand on lui a demandé la nature exacte de son engagement a-t-elle surpris.
Thomas Andrieu se tourne vers son avocate. « Est-elle membre du bureau politique du FPLP comme l’affirme le ministère de l’Intérieur ?
— On conteste une parole au nom de cette organisation, répond Me Gonidec.
— Est-ce qu’elle est membre du bureau politique ? insiste le juge.
— Sa présence en France n’est pas en cette qualité. Effectivement, elle a des liens avec cette organisation, continue d’éluder l’avocate.
— Maître, c’est factuel : est-elle ou non membre du bureau politique ?
— Ce n’est pas démontré et elle n’est pas venue en France en cette qualité, s’entête l’avocate. Quand je lui ai posé la question elle a confirmé des liens ».
Le juge ne lâche rien. Il a demandé en début d’audience si l’intéressée parlait le français, on lui a répondu uniquement anglais. Il a alors fait savoir qu’elle pourrait sans difficultés s’exprimer dans cette langue si elle le souhaitait. « Madame Abudaqa est là. Je repose la question, on n’est pas devant un juge pénal, je ne vois pas la difficulté à répondre. « Do you understand me ? » lance-t-il alors dans un anglais impeccable. Non, répond l’intéressée. « You don’t understand me ? Are you member of the political bureau of FPLP ? » Mariam Abudaqa finit par accepter de répondre, mais à son avocate : « Absolutely not ». « Je prends acte que l’affirmation selon laquelle elle est membre du bureau du FPLP est rejetée par l’intéressée elle-même, néanmoins elle en est membre et le FPLP a été inscrit sur la liste des organisations terroristes depuis 2001 sans discontinuer par l’Europe au même titre que le Hamas » conclut le juge.
Pourquoi avoir délivré un visa à un membre d’une organisation terroriste ?
Il n’est guère plus tendre avec le ministère. « Je voudrais qu’on m’explique pourquoi, si c’est très grave d’être membre du FPLP, on délivre un visa à un membre d’organisation terroriste ?
— C’est un défaut d’instruction des services, ils n’ont pas vu le sujet, avoue Pascale Léglise.
— Vous dites que la politique de la France c’est de ne jamais délivrer de visa à des membres de l’OPLP ?
— Je ne peux pas l’affirmer, ce n’est pas de mon ressort, en tout cas, lorsque sa présence a été constatée en France le 7 octobre, on s’est dit qu’il n’aurait pas fallu lui délivrer un visa ».
La visite en France de Mariam Abudaqa s’inscrivait dans le cadre du questionnement sur les accords d’Oslo, précise son avocate, son positionnement politique n’était pas un mystère, « il me semble compliqué aujourd’hui de faire volte-face » observe-t-elle. « Elle assume sa qualité de militante marxiste du FPLP, mais n’a jamais adhéré à la lutte armée ni soutenu le Hamas, dont le fondamentalisme religieux n’est pas compatible avec une force de gauche laïque, adhérente à une doctrine sociale » explique encore Me Gonidec. Elle venait de toute façon en tant que militante féministe.
Il reste que l’intéressée a participé à plusieurs manifestations organisées par France Palestine Solidarité, dont Pascale Léglise rappelle qu’elles ont été l’occasion de slogans tels qu’« Israël est le seul responsable des morts des deux côtés, il n’y a pas de terroriste » ou encore « Israël casse-toi, la Palestine n’est pas à toi » avec des arrestations à la clef pour apologie du terrorisme. Pour prononcer une expulsion, il faut démontrer des comportements individuels, rétorque Me Gonidec.
Au terme d’une heure et demie d’échanges, l’audience s’est achevée sur une querelle quant à savoir si « Palestine vaincra » constituait ou non un slogan de soutien au Hamas. La décision sera rendue d’ici la fin de la semaine. En tout état de cause, le visa de l’intéressée expire le 24 novembre prochain.
Référence : AJU399259