Seine-Saint-Denis : une caravane pour lutter contre les discriminations

La 2e édition de la Caravane des discriminations s’est baladée du 3 juin au 13 juillet 2023. Informer, sensibiliser et donner des clés juridiques sur les recours possibles en cas de discriminations, voici les missions de ce dispositif itinérant, chapeauté par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis (93) et qui s’est arrêté dans 25 communes à la rencontre des Dionysiens. Retour d’expérience sur ce nouvel outil mis en place en Seine-Saint-Denis pour aller au plus près des citoyens.
« Ici, vous avez une image du bidonville de Nanterre. Là c’est dans les années 40, à Paris, ça se voit aux vêtements que portent les enfants. Et là, c’est un piège, elles ont beau être en noir et blanc, ces photos sont beaucoup plus récentes ». Sarah Gin, codirectrice des programmes 93 et 95 de l’association Acina, spécialisée en accompagnement socioprofessionnel des nouveaux arrivants, est en train d’expliquer à deux étudiants de passage les discriminations rencontrées par les personnes migrantes. À côté d’eux, une exposition de dessins réalisés par des collégiens de Seine-Saint-Denis, divers panneaux contenant des informations sur les discriminations et surtout une caravane. Normal, ce 11 juillet 2023, c’est à Pantin, place de la Pointe, que la Caravane des discriminations s’arrêtait. « Cette caravane est l’un des outils de l’Observatoire contre les discriminations, lancé en 2021 », explique Oriane Filhol, conseillère départementale de Seine-Saint-Denis, déléguée à la lutte contre les discriminations. Une nécessité quand en 2022, 63 % des personnes interrogées en Seine-Saint-Denis par l’institut Harris-Interactive pour le compte du département estimaient avoir été victimes d’actes de discrimination au cours des cinq dernières années.
Mieux identifier les discriminations
Lara Bakech, chargée de mission lutte contre les discriminations au conseil départemental, vient de remballer un jeu de mémo de l’égalité destiné aux enfants, dans lequel « on peut voir que les garçons et les filles peuvent faire les mêmes activités, ressentir les mêmes émotions ». La caravane, dispositif « d’aller-vers » permet la rencontre directe avec les habitants. « Ce qu’ils décrivent est assez représentatif des chiffres de notre baromètre. Ils évoquent surtout des discriminations liées à l’origine, la couleur de peau, et, de manière plus étonnante, à leur lieu de vie. Certains pensent ne pas subir de discrimination, mais dans le bénéfice du doute, ils ne disent pas qu’ils viennent de Seine-Saint-Denis pour une location de vacances, par exemple. Quand on leur rappelle que s’ils font ça, c’est qu’ils ont peur de ne pas pouvoir partir, ils prennent conscience que c’est une discrimination », explique-t-elle.
Parfois, comme le souligne en effet Oriane Filhol, les discriminations sont tellement « intériorisées » que les habitants ne s’en rendent plus compte. « On veut s’adresser autant aux victimes qu’aux témoins ou aux éventuels auteurs. Bien sûr, il y a des personnes qu’on ne va pas faire changer d’avis, mais il y en a aussi que l’on peut sensibiliser sur ce que sont les micro-agressions (propos ou comportements d’apparence banale exprimés envers une communauté marginalisée, NDLR), ou s’ils sont témoins, la caravane peut les aider pour savoir comment agir », détaille-t-elle.
L’un des panneaux présents sur le site rappelle les différents types de discriminations : la couleur de peau, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, la perte d’autonomie, l’état de grossesse, mais aussi le lieu de vie, l’âge, etc. En tout une vingtaine de discriminations sur lesquelles il faut informer davantage. Ce travail de rencontre avec le public est nécessaire, y compris auprès des jeunes. « Il faut leur faire prendre conscience qu’une blague sur les gros n’est pas une blague mais un acte de discrimination, explique Oriane Filhol, résolument optimiste. Les jeunes sont les adultes, sans doute plus tolérants, de demain ».
La caravane comporte aussi une malle aux livres, destinés aux enfants, qui proposent des représentations plus diverses des familles. Parents noirs, famille homoparentale, ces modèles qui, la plupart du temps, n’existent pas, ou pas encore assez, dans la littérature enfantine. Par ailleurs, Lara Bakech se réjouit : les jeux de cartes que la caravane propose fonctionnent très bien auprès des adolescents. « La dernière fois, un groupe d’une dizaine de garçons de 14 ans est resté une heure sur le stand ! », conquis par le jeu des privilèges. « Face à une situation donnée, en fonction des cartes qu’ils piochent, ils doivent identifier les privilèges dont bénéficient les personnages du jeu ou non », explique-t-elle.
Albiges, 20 ans, et Noah, 19 ans, les deux étudiants qui discutaient avec Sarah Gin, semblent très réceptifs aux informations délivrées. Ils semblent découvrir, comme beaucoup d’autres concitoyens, que les bidonvilles sont encore une réalité, et que les discriminations font partie du quotidien de leurs habitants. « La France est un pays de brassage culturel où vivent différentes ethnies. Mais la différence crée la division et la division la discrimination, lance Noah. Il faut habiter dans une grotte pour ne pas les voir ! ».
Sarah Gin, elle aussi, connaît bien cette question. « Notre cœur de métier, c’est l’accompagnement social global pour les personnes habitant dans des bidonvilles avec une grosse visée sociale et professionnelle », afin de faciliter leur insertion et l’obtention d’un titre de séjour. Pour elle, venir discuter avec les riverains a beaucoup de sens : « La Seine-Saint-Denis est le département français avec le plus de bidonvilles, éclaire-t-elle. Ils sont souvent associés aux Roms, or il en existe en France depuis la révolution industrielle, aux alentours de 1840 ». Sa collègue Emma Ulveling, chargée de mission en stage et future travailleuse sociale, renchérit : « Nous voulons aussi déconstruire les préjugés. Les Roms sont souvent assimilés aux gens du voyage mais ce sont deux populations bien différentes ».
Ce travail de déconstruction des stéréotypes s’avère essentiel… Mais énerve certains passants. « Ce qui me chagrine cette année, c’est que nous avons subi plus d’invectives que l’année dernière », glisse Oriane Filhol. Des mots comme « ce n’est pas ma France », lancés devant l’expo photo qui montre des habitants de toutes origines s’engageant contre les discriminations et le racisme, ont été entendus. Lara Bakech attribue ce phénomène à « la libération d’une parole raciste et homophobe dans les médias, ce qui se reproduit dans la rue ».
Le droit à la rescousse
Pour elle, l’accès au droit est déterminant. « Parmi ceux qui passent à la Caravane, il y a les résignés, qui se disent que c’est la vie ou qu’ils n’obtiendront pas réparation ». Nasrine, 19 ans, étudiante voilée, de passage sur le stand raconte : « Dans mon école, les couvre-chefs sont interdits. Donc on me demande de retirer tout bandeau (couvrant ses cheveux), mais à mes camarades, pas de retirer une casquette », y voyant un deux poids-deux mesures. « Les discriminations sont toujours plus fortes chez les femmes, confirme Oriane Filhol. Elles s’additionnent les unes aux autres ».
Mais il y a aussi de quoi être optimiste. « Quand nous discutons avec les gens, nous tenons à montrer que l’on peut obtenir réparation. Nous mettons en avant des cas victorieux et expliquons que la Défenseure des droits les accompagne vraiment. Du concret ! », analyse Lara Bakech. Quelques exemples : une étudiante en situation de handicap dont la candidature en service civique avait été refusée par une association. La discrimination a été reconnue. Idem pour le retour de congé maternité d’une agente d’un centre pénitentiaire qui n’avait pas pu reprendre son poste ou le refus de promotion d’un agent de sécurité, fondé sur ses origines. Encore faut-il davantage visibiliser la Défenseure des droits, « identifiée seulement d’un tiers des habitants », estime-t-elle. Sachant que seul 1 % des saisines réalisées auprès d’elle concerne les discriminations, là encore il y a du travail. Malgré cela, quand les habitants restent réticents, « nous leur rappelons que c’est une institution indépendante, avec des positions assez fortes sur les dernières émeutes ou les discriminations à l’embauche. Bien sûr, on ne peut pas garantir que cela va aboutir individuellement, mais on essaie de leur faire prendre conscience que s’ils ne le font pas pour eux, ils peuvent le faire pour le reste des habitants. Le combat collectif est un bon moteur », conclut Lara Bakech.
Référence : AJU009x8
