Quand un député des Yvelines propose d’inscrire le « droit aux vacances » dans la loi
Près de la moitié des Français n’est pas partie en vacances cette année. Pour que la donne change, l’élu écologiste des Yvelines, Benjamin Lucas, a déposé au début de l’été une proposition de loi pour faire reconnaître le « droit aux vacances ». Le texte a été coécrit avec des militants d’ATD Quart Monde qui connaissent d’expérience l’exclusion et la grande pauvreté. Si des initiatives ont déjà vu le jour, notamment dans les Yvelines (78), pour aider les plus démunis à partir en vacances, cette proposition de loi, pour Benjamin Lucas, n’est qu’un début.
Début septembre, la fin des vacances a sonné. Enfin, pour ceux qui ont pu en prendre… Selon l’Observatoire des inégalités, seuls 54 % des Français sont partis en vacances cette année, avec de fortes disparités selon les milieux sociaux. Ceux qui ont les plus bas revenus ne sont que 37 % à partir, soit deux fois moins que les plus aisés. C’est pour remédier à ces inégalités que le député des Yvelines, Benjamin Lucas, a déposé début juillet une proposition de loi « pour le droit aux vacances ».
Dans les Yvelines 2 889 familles ont bénéficié des « Aides aux vacances en familles »
Depuis 1998, la loi affirme que « l’égal accès de tous (…) aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national » (loi n° 98-657, 29 juillet 1998, art. 140). Des aides versées par la CAF peuvent aider les moins aisés à prendre à quelques jours par an. En 2022, 442 jeunes des Yvelines sont partis dans le cadre du dispositif « vacances des enfants » et 2 889 familles du département ont bénéficié des « Aides aux vacances familles ».
Ces aides restent néanmoins sous-utilisées, puisque plus de 30 000 familles étaient de potentielles bénéficiaires du dispositif dans les Yvelines. À en croire Benjamin Lucas, les dispositifs existants ne suffisent pas : « Quand je fais du porte-à-porte au Val-Fourré à Mantes-la-Jolie (l’un des quartiers les plus pauvres de France, NDLR), il m’est arrivé que toutes les familles d’un immeuble me disent ne pas partir en vacances, assure l’élu écologiste. Être député de la huitième circonscription des Yvelines, ça a renforcé ma détermination à agir sur le sujet des vacances », continue-t-il.
Le premier article de sa proposition de loi entend inscrire le « droit aux vacances » tel quel dans le texte. Le député de la NUPES propose également de créer un fonds de soutien aux départs en vacances (art. 2), de mener des études sur les aides actuelles et l’impact qu’auraient des campagnes de sensibilisation (art. 6 et 7) et de centraliser les informations concernant les aides déjà existantes (art. 3). Deux autres propositions prennent en particulier en compte la situation des plus précaires : l’article 4 prévoit que les enfants placés partent systématiquement en vacances avec leurs parents, sauf si le juge en décide autrement dans l’intérêt de l’enfant. Et l’article 5 suggère que les hébergements d’urgence prennent en compte le droit aux vacances des résidents pour qu’ils puissent partir quelques jours sans craindre de se retrouver à la rue à leur retour.
Intégrer les vacances dans la pratique des professionnels
Ce texte de loi est le résultat d’un long travail auquel ont contribué des professionnels et des personnes qui ont vécu l’exclusion et la grande pauvreté. Au printemps dernier, ATD Quart Monde a réuni magistrats, travailleurs sociaux et militants de cette ONG qui lutte pour l’éradication de la misère à effectuer un « croisement des savoirs et des pratiques ». Le travail était articulé autour de trois thèmes : Que représentent les vacances pour vous ? Quels sont les freins aux départs en vacances ? Quelles solutions pour y remédier ?
« Certains professionnels ne pensent pas du tout aux vacances, indique Dominique Guittet, militante d’ATD Quart Monde qui a pris part aux échanges. On a travaillé sur le fait qu’ils soient formés, pour que ce ne soit pas toujours le plus précaire, le plus malheureux qui demande s’il a le droit de partir » Laurence Hamel, magistrate au tribunal de Paris abonde : « Avec les juges des enfants présents, on a fait le constat qu’on avait nous aussi une part de responsabilité. Il faut qu’on parle des vacances à l’audience et qu’on les intègre dans le contenu de la mesure, sans simplement déléguer ce sujet au service éducatif. » Cette juge des enfants, engagée auprès d’ATD Quart Monde depuis 30 ans, est elle-même partie à deux reprises en vacances avec ses enfants et d’autres familles résidantes du centre d’hébergement de Noisy-le-Grand (CHRS). Elle évoque avec émotion ces séjours qui lui ont laissé des souvenirs inoubliables, « parce que j’ai appris à connaître ces familles et à voir en elles autre chose que toutes les choses négatives écrites dans les rapports ». Cette magistrate plaide pour que le regard sur le temps libre change, de façon que chacun puisse se sentir libre de le revendiquer : « Le mot vacances induit « farniente » alors qu’il s’agit pour les familles confrontées à l’exclusion ou la grande précarité de reprendre confiance en eux, de retrouver de l’énergie pour chercher un travail. Les vacances permettent aux liens de se reconstruire et de s’étoffer entre parents et enfants. »
Une proposition de loi coécrite avec les concernés
Après ces premières rencontres, les militants d’ATD Quart Monde ont été conviés par le député Benjamin Lucas à l’Assemblée nationale pour une dernière journée d’échanges lors de laquelle la proposition de loi a été rédigée. Véronique Lenfant et Dominique Guittet sont venues de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) pour partager leur expérience : « On a parlé du fait que certaines personnes sont perdues dans les gares ou une fois sur place, sans repères. C’est important que certaines personnes se sentent accompagnées », indique Dominique Guittet.
Le député des Yvelines tenait à prendre en compte le vécu de ceux qui partent le moins en vacances : « Faire des personnes en situation de précarité des experts, leur donner la parole et partir de leurs besoins, c’est une démarche très précieuse pour que les textes tombent juste. C’est aussi un enjeu démocratique pour que la politique ne soit pas toujours faite d’en haut », explique-t-il. Et le mouvement ATD Quart Monde dispose d’une expertise dans le domaine des vacances, puisqu’il possède la maison de la Bise, située dans le Jura destinée aux séjours de familles depuis 1978, et mène des « actions vacances » un peu partout en France. « Au milieu des années 1980, quand j’ai commencé à m’occuper des vacances à ATD dans les Yvelines, on envoyait déjà des familles dans la maison de la Bise », explique Marie-Andrée Rio, ex-responsable vacances pour ATD Quart Monde dans le département. Et ce travail se poursuit : cet été, dans les Yvelines, les membres départementaux de l’association ont accompagné le départ de 27 familles et trois adultes. « On accompagne les familles les plus isolées, celles qui ne peuvent même pas imaginer partir en vacances », explique Françoise Baroin, déléguée d’ATD Quart Monde dans les Yvelines. Elle poursuit : « Concrètement, on commence par lever tous les obstacles au départ en vacances, puis il faut trouver des structures où elles vont pouvoir se sentir à l’aise. Et ensuite s’assurer que les familles partent effectivement, ce qui n’arrive pas toujours. »
Pour Benjamin Lucas, cette proposition de loi n’est qu’un début et il souhaite la voir voter le plus largement possible. En attendant qu’elle soit étudiée à l’Assemblée nationale – elle n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour des prochaines semaines –, il appelle de ses vœux une étude sur le surcoût du non-départ en vacances : « La sédentarité nourrit des dépressions, des burn-out, être enfermé chez soi crée des tensions intrafamiliales, d’autant plus dans un petit appartement qui fait passoire thermique en pleine canicule… Il faudrait des études pour évaluer le coût du non-départ en vacances, certainement bien supérieur aux financements des mesures proposées dans cette loi » !
Référence : AJU010i3