« Les conflits au travail ont souvent des origines complexes basées sur des malentendus, des non-dits »
Pascale Beyma, Emma Livingston et Laurence Frétille Rétif ont toutes les trois eu une longue expérience professionnelle en entreprise, avant de se former à la médiation et de fonder leur cabinet, Tiers d’Union. Elles ont choisi de se faire assermenter par la cour d’appel de Paris pour participer à des médiations judiciaires dans le but d’aider les personnes à résoudre leurs conflits liés au droit du travail.
AJ : Comment êtes-vous arrivées à la médiation ?
Pascale Beyma : J’ai suivi des études de droit avant de travailler comme juriste d’entreprise pendant une vingtaine d’années. J’ai découvert la médiation en entreprise à travers un séminaire auquel j’ai assisté puis j’ai profité d’un bilan de compétences qui m’a orientée vers un métier qui tienne compte de mon empathie et de ma sensibilité. C’est ainsi que je me suis ensuite formée à la médiation au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) où j’ai rencontré Emma et Laurence.
Emma Livingston : J’ai fait des études d’ingénieure en agronomie puis j’ai travaillé dans l’agroalimentaire. Au bout de 15 ans, j’ai quitté la partie production pour passer du côté commercial. Dans ce cadre-là, j’ai assisté à une formation de trois jours sur la méthode de Harvard, aussi appelée négociation raisonnée et qui propose une approche constructive de la négociation pour trouver un accord gagnant-gagnant. J’ai décidé d’approfondir cette voie de résolution des conflits à l’amiable et me suis inscrite au CNAM.
Laurence Frétille Rétif : J’ai fait une école de commerce puis j’ai travaillé dans des sociétés de gestion financière. En tant que manager et représentante syndicale, j’ai été confrontée à des problématiques de conflits au travail et à leur impact sur le bien-être et la santé des personnes en conflit. Puis à un moment, j’ai souhaité me reconvertir dans un domaine où mon expérience serait un atout. J’ai fait une première formation à la médiation, d’une semaine, au CMAP (Centre de médiation et d’arbitrage de Paris) et ça m’a donné envie d’aller plus loin. C’est comme cela que je me suis inscrite au CNAM. La formation dure un an, c’est la formation la plus complète pour devenir médiateur (330 heures en 2020).
AJ : Pourquoi avez-vous décidé d’être assermentées sur la liste de la cour d’appel de Paris à l’issue de votre formation ?
Laurence Frétille Rétif : Une des missions du médiateur est de faire connaître la médiation. C’est ce que l’on fait à travers les permanences d’information à la médiation tenues bénévolement lors des audiences prud’homales en appel. Le principe de ces permanences est d’être à la disposition des différentes parties pour expliquer le fonctionnement d’une médiation.
Emma Livingston : Il faut rappeler que l’inscription sur les listes des médiateurs des cours d’appel n’est pas automatique. Il faut pouvoir justifier d’une formation, d’un nombre d’heures suffisant, d’expérience, d’analyses de pratique etc.
AJ : Quelles sont les différentes étapes d’une médiation judiciaire ?
Pascale Beyma : Une fois assermenté, on peut assister aux audiences prud’homales en appel en tant que médiateur. Le juge, lors des audiences, peut proposer aux parties – ou à leurs avocats (ce qui est le cas la plupart du temps, les personnes en conflit n’étant pas présentes) – de recevoir une information à la médiation. Le juge propose une information à la médiation, étant entendu que la médiation ne peut avoir lieu qu’avec l’accord de toutes les parties. Et le plus difficile, c’est de transformer une information à la médiation en médiation.
Laurence Frétille Rétif : Une fois que le juge a proposé une information à la médiation, les avocats ont dix jours pour revenir vers le juge et communiquer le souhait de leur client. Si les parties souhaitent une médiation, le juge écrit au médiateur pour l’informer de la décision, il fixe le prix et la répartition des frais entre les différentes parties.
Emma Livingston : Nous organisons en amont des entretiens individuels avec chaque personne impliquée et fixons ensuite une rencontre de médiation avec les médiés et leurs avocats, s’ils le souhaitent. Dans le cas de notre cabinet, nous travaillons toujours à deux médiatrices, en comédiation. Et à l’issue de cette séance, il peut y avoir un accord total, partiel ou pas d’accord du tout.
AJ : Les permanences d’information à la médiation proposées ont lieu seulement après l’audience d’appel. Est-ce que ce n’est pas déjà trop tard quand le conflit est allé si loin ?
Laurence Frétille Rétif : Le fait d’avoir été aux prud’hommes puis en appel peut avoir un impact sur la cristallisation du conflit. Il peut être plus simple de trouver des solutions au litige plus en amont. Cela dit, la médiation, c’est aussi une question de moment. Parfois, il faut en passer par la case tribunal et procès pour réussir à se dire qu’on a vraiment envie de trouver une solution.
AJ : Est-ce que tous les litiges peuvent aller en médiation ?
Laurence Frétille Rétif : Tous les types de conflits liés au droit du travail sont potentiellement éligibles à la médiation. Ce sont par exemple des salariés qui ont été licenciés et contestent leur licenciement, qui demandent des requalifications de statut, le paiement d’heures supplémentaires… Si c’est vraiment un cas binaire, une partie qui a raison et une autre tort, il n’y a pas de médiation et c’est le droit qui tranche. Mais c’est souvent plus compliqué que cela, on le voit bien en médiation : les conflits ont souvent des origines complexes basées la plupart du temps sur des malentendus, des non-dits.
AJ : Selon votre expérience, de quoi dépend le fait que le juge propose ou non aux parties une information à la médiation ?
Laurence Frétille Rétif : Les juges proposent un peu moins l’information à la médiation aux affaires en série mais à part ce cas-là, je trouve que c’est globalement beaucoup proposé. Certains le font même systématiquement. Mais cela ne suffit pas toujours : il arrive que les avocats refusent l’information à la médiation et expliquent qu’ils l’ont déjà proposée à leurs clients.
AJ : Quel est l’enjeu derrière la médiation ?
Pascale Beyma : Un litige, c’est la partie émergée de l’iceberg. Et tout le travail de médiation va être d’aller au-delà et de creuser tout ce qu’il s’est passé pour en arriver là, quels sont les besoins de chacun, qu’est-ce qui est important, comment et pourquoi la situation les touche. Derrière un licenciement contesté par exemple, qu’y a-t-il ? Lors de la médiation, si la personne licenciée entend que l’autre a compris en quoi ça a été dur, en quoi ça l’a blessée, ça peut lui suffire, cela dépend des besoins de chacun. Et tant que la médiation n’a pas eu lieu, on ne peut pas savoir.
Emma Livingston : Le juge va traiter l’objet du litige, les faits. La médiation va permettre de prendre le temps d’ouvrir un autre espace, de faire un pas de côté, d’ouvrir un sas où les personnes peuvent livrer ce qui les a touchées et les a amenées à judiciariser le conflit.
AJ : Mais comment est-il possible de trouver un accord « gagnant-gagnant » ? Ça marche vraiment ?
Laurence Frétille Rétif : Lors d’une permanence d’information à la médiation que je faisais dernièrement à la cour d’appel de Paris, un juge disait que les affaires qui allaient en médiation trouvaient des accords dans deux cas sur trois ! Au-delà des statistiques, les solutions sont généralement plus durables, du fait qu’elles sont trouvées par les personnes en conflit elles-mêmes.
Emma Livingston : La médiation peut permettre d’arriver au même résultat que le procès mais de l’accepter de manière tout à fait différente.
Laurence Frétille Rétif : L’autre avantage de la médiation, c’est qu’elle permet aux personnes de se réapproprier leur conflit plutôt que de subir une décision imposée, qui parfois ne contente personne.
AJ : Avez-vous déjà été surprises par un accord trouvé entre les médiés ?
Emma Livingston : Nous sommes toujours un peu surprises, cela fait partie du métier de médiateur. Et puis, surtout, il ne faut pas partir du principe qu’il y aura accord, parce que parfois, il n’y a pas d’accord. Et ce n’est pas un échec pour autant car les parties se seront parlé et expliqué.
Pascale Beyma : Il ne faut pas faire de plan ou avoir une idée de comment la médiation va se dérouler. On ne le sait pas à l’avance. C’est un grand point d’interrogation et c’est bien là son intérêt. On avance pas à pas avec les médiés qui avancent eux-mêmes pas à pas sur ce chemin pour se parler, s’expliquer, se rencontrer de nouveau et pour essayer d’imaginer des solutions pour sortir du conflit.
Référence : AJU013d1