Thibaut Adeline-Delvolvé : « Notre richesse c’est la pluridisciplinarité de nos médiateurs au-delà de l’expertise juridique »
Résoudre un litige sans passer devant le tribunal : c’est la raison d’être du Centre Yvelines Médiation (CYM). Créée en 1998, cette organisation a permis de développer la pratique de la médiation comme moyen de résoudre des conflits entre différentes parties. Un développement et une acculturation à la médiation auprès des professionnels du droit jusqu’à devenir aujourd’hui un réflexe. Dans une société de plus en plus conflictuelle, cette pratique est d’autant plus nécessaire. Le président du CYM, Thibaut Adeline-Delvolvé, décrypte l’évolution et la place de la médiation dans le département des Yvelines (78).
Actu-Juridique : Comment est né le Centre Yvelines Médiation ?
Thibaut Adeline-Delvolvé : Le Centre Yvelines Médiation (CYM) est né il y a 25 ans d’une volonté conjointe de l’ordre des avocats de Versailles, de la chambre interdépartementale des notaires et de la compagnie des huissiers de justice. Ensemble, ils ont fait le constat qu’il manquait un levier ou un outil pour envisager le règlement des litiges à titre amiable. C’était parfois envisagé spontanément par les parties ou par l’intermédiaire de leurs avocats, dont l’office comprend déjà cette mission de recherche de solution amiable. Cependant, il manquait un outil intermédiaire entre la négociation et le procès lui-même. La médiation, apparue en Amérique du Nord bien avant son arrivée en Europe, présentait ces avantages et donnait de bons résultats outre-Atlantique. Le bâtonnier Pierre-Jean Blard, fondateur du CYM, a œuvré pour que ce modèle nord-américain soit importé en France. C’est un pionnier et la structure yvelinoise fait partie des premiers centres de médiation en France. Pour les professionnels à l’initiative de la création du CYM, il y avait aussi la nécessité d’œuvrer en faveur de l’accès au droit et au développement d’un nouveau mécanisme de règlement des litiges.
AJ : Comment la médiation s’est-elle développée comme un moyen de résoudre les litiges ?
Thibaut Adeline-Delvolvé : Il y a eu une lente acculturation. Les avocats ont dû progressivement reconnaître que le règlement des litiges pouvait ne plus relever exclusivement de leur office. Ils devaient accepter, pour certains dossiers qui s’y prêtaient, de s’en remettre à un tiers extérieur : le médiateur. L’institution judiciaire a aussi rencontré le défi de ce changement culturel. En règle générale, un tribunal a pour mission de trancher un litige. Dans le cadre d’une médiation, la solution n’est pas tranchée mais négociée entre les parties avec un médiateur qui met en place un processus structuré. Au départ, ce procédé n’était pas naturel chez les participants au procès : les avocats et les magistrats. Cette acculturation a été possible en France grâce aux résultats tangibles d’expériences de la médiation. À ce titre, la politique très volontaire d’une présidente de chambre sociale à la cour d’appel de Grenoble dans les années 2000 a beaucoup aidé et a servi de vitrine. Plusieurs expériences de ce type ont permis de mettre en lumière la médiation et de convaincre de ses bénéfices. Un autre facteur a également permis son développement : la possibilité de désengorger les tribunaux et d’alléger le travail des magistrats grâce à ce processus.
AJ : Comment le Centre Yvelines Médiation organise-t-il son activité ?
Thibaut Adeline-Delvolvé : Actuellement, 85 % de l’activité du CYM concerne de la médiation au bénéfice de publics fragiles ou sans connaissance des réflexes de l’accès au droit. Cette mission relève du domaine non marchand. Ces personnes sont orientées vers nous grâce aux maisons de justice et du droit et aux centres communaux d’action sociale (CCAS) des communes yvelinoises. Elles sont reçues par nos chargés d’information à la médiation et orientées vers nos médiateurs. Ces médiations sont subventionnées, en sorte que le coût restant à la charge des bénéficiaires varie de 2 à 131 € en fonction des revenus et du quotient familial des personnes qui en font la demande. C’est l’honneur du CYM et des médiateurs familiaux d’assurer cette mission de service public. Nous avons un taux d’accord qui avoisine les 60 % dans ce type de médiations.
Ensuite, les 15 % restant de nos missions couvrent une activité marchande assurée par des médiateurs libéraux membres du CYM. Il y a d’une part des médiations conventionnelles au bénéfice d’institutions comme les bailleurs sociaux qui désignent notre association comme médiateur. Par exemple, nous pouvons ainsi agir dans le cadre de conflit de voisinage. Nous avons, d’autre part, la médiation judiciaire qui est ordonnée par les juridictions ayant leur siège dans le ressort du département des Yvelines : le tribunal judiciaire, la cour d’appel, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Versailles. Le CYM est alors désigné par le juge comme médiateur entre deux ou plusieurs parties en litige. Le taux d’accord est autour de 50 % des médiations réalisées dans ce cadre-là. Mais, en toute hypothèse et y compris s’il n’y a pas d’accord, les parties ont pu se parler, s’écouter, se comprendre et une médiation n’est jamais du temps perdu. Elle participe aussi à éviter soit une aggravation du conflit, soit la naissance de nouveaux litiges.
AJ : Quels sont les atouts de la médiation dans le département des Yvelines ?
Thibaut Adeline-Delvolvé : Aujourd’hui, 27 médiateurs libéraux, diplômés ou ayant commencé leur exercice avant même l’existence de diplômes, composent le CYM. Ces personnes sont avocats, experts judiciaires, médiateurs familiaux diplômés d’État ou professionnels de l’entreprise, des ressources humaines ou de la psychologie. Cette pluridisciplinarité est une véritable richesse qui caractérise notre centre. La médiation participe au règlement d’un litige mais pas sur des ressorts juridiques. Plusieurs aspects peuvent intervenir en fonction du fond du problème entre les parties. Nous allons chercher les besoins et les attentes des parties en rentrant parfois dans leur schéma de pensée, leur culture et leur personnalité. À la fin, le droit revient dans le processus à travers un protocole d’accord conforme à l’ordre public. Nous nous distinguons par rapport à d’autres structures de médiation qui sont l’émanation des seuls ordres des avocats et composés exclusivement d’avocats. Je n’émets aucune critique vis-à-vis de mes confrères mais je peux témoigner, en tant qu’avocat, de l’inestimable atout de la pluridisciplinarité.
AJ : Quels sont les sujets qui reviennent le plus souvent dans des processus de médiation ?
Thibaut Adeline-Delvolvé : La médiation familiale représente une part importante de notre activité. Après une séparation dans un couple, comment les deux partenaires vont-ils s’occuper des enfants et se partager les biens ? Les conflits de voisinage reviennent aussi beaucoup, comme les litiges qui sont en lien avec la construction ou l’urbanisme. Le contentieux social lié à l’application du contrat de travail et relevant du conseil des prud’hommes et de la chambre sociale de la cour d’appel de Versailles est très présent, comme celui intéressant les agents publics. Enfin, l’exécution des contrats commerciaux ou les marchés publics est aussi un sujet récurrent en médiation.
AJ : Comment les citoyennes et les citoyens des Yvelines arrivent-ils à accéder à la médiation ?
Thibaut Adeline-Delvolvé : Il y a deux éléments de réponse à apporter à cette question. Première hypothèse, le citoyen peut saisir spontanément un avocat quand il rencontre une problématique juridique. Dans cette situation, l’avocat est de plus en plus acculturé. Il a aujourd’hui le réflexe de la médiation ou de la procédure participative dont certains sont spécialistes. Quand il estime que le sujet ne peut être tranché que par une décision de justice, il saisit le juge. L’avocat est le bon stratège pour déterminer l’outil adéquat pour satisfaire les intérêts de son client. Une fois saisi, le tribunal peut aussi proposer la médiation judiciaire. Deuxième hypothèse, l’administré ne se tourne pas vers un avocat. Soit il va saisir lui-même le juge quand c’est encore possible. Soit il va se renseigner en se rendant notamment dans les permanences juridiques assurées par les mairies ou dans les maisons de justice et du droit. Dans ces institutions, il va pouvoir accéder à la médiation. Les juristes présents au sein de ces organisations vont orienter le citoyen en fonction de la nature de son litige. Nous participons à ce réseau d’accès au droit pour offrir la médiation comme un des leviers au bénéfice des justiciables.
AJ : Comment évolue la pratique de la médiation sur le territoire yvelinois ?
Thibaut Adeline-Delvolvé : La société est de plus en plus conflictuelle et violente. Au cours des dernières décennies, les rapports humains sont devenus de plus en plus individuels. Chacun exacerbe son individualité. Chacun dispose de son smartphone comme miroir qui flatte son ego à longueur de journée et peut tout commander, tout obtenir en un clic. On n’est donc plus habitué à se heurter à des résistances, à des oppositions, à la manifestation par autrui de sa propre individualité, et le conflit naît d’abord de cette incompréhension. La capacité à faire société et communauté est affaiblie. Il y a des disparités. Quand les mots manquent, on en vient aux mains. Dans ce contexte, la médiation permet de réhabiliter chaque partie concernée par le litige dans sa dignité, son humanité et ses droits de justiciable. Les parties ont le même poids et la médiation rétablit un équilibre. Par conséquent, la médiation a un avenir et représente un outil essentiel. L’objectif pour le médiateur est de questionner le problème et les besoins pour résoudre le litige, sans intégrer l’aspect juridique ou en tout cas sans le placer au centre. Par exemple, la branche de l’arbre du voisin tombe dans mon jardin, les enfants du voisin sont trop bruyants. Ce sont des questions de fait avant de devenir des questions de droit. On peut donc les régler a priori sans recours au droit. Autre exemple, j’ai un litige avec mon employeur et je refuse de m’engager dans une procédure longue en passant par les prud’hommes… Ces cas sont des situations du quotidien. Les juridictions judiciaires et administratives ont une politique de l’amiable extrêmement dynamique et volontariste. En 2022, le garde des Sceaux a mis en place le Conseil national de la médiation. Les présidents de cour d’appel ont pour mission de déployer la médiation. Le Conseil d’État a également demandé aux juridictions administratives d’accélérer la médiation, pour atteindre l’objectif de 1 % du stock.
AJ : Vous venez de le dire, la société est de plus en plus violente et la médiation peut être une solution à ce phénomène. Comment pouvez-vous aller plus loin dans votre démarche pour pousser le développement de la médiation ?
Thibaut Adeline-Delvolvé : La médiation doit s’inviter dans la vie quotidienne comme un recours pour régler un litige mais aussi comme une philosophie. L’idée même de l’existence de cette pratique, en étant bien ancrée dans l’esprit de chacun, permettra aussi que l’on ait moins recours au juge. En médiation, le règlement du litige repose sur le travail et la participation des parties, même s’il y a l’intervention d’un tiers. Le médiateur n’impose ni ne propose rien. Il oriente les parties vers une solution qui leur ressemble et qui est co-construite entre elles. En s’appropriant ce processus, les citoyens pourraient par eux-mêmes utiliser la médiation sans même l’intervention d’un tiers. L’objectif est d’ancrer encore plus cette philosophie dans la société. Il y a trois millions de nouveaux litiges en France par an. 90 % relèvent du contentieux judiciaire et 10 % du contentieux administratif. Il y a des occasions de litige bien plus nombreuses encore dans la vie quotidienne. Heureusement, la majorité des situations problématiques se règlent sans intervention ni d’une juridiction, ni même d’un médiateur. C’est la preuve de la capacité des hommes à savoir faire la paix par eux-mêmes. Ce qui nous intéresse, c’est de capitaliser sur cette orientation naturelle pour l’amplifier.
AJ : Quelles sont les démarches à engager concrètement ?
Thibaut Adeline-Delvolvé : L’esprit de l’amiable existe mais il mérite d’être renforcé. Lorsque la médiation est nécessaire en tant que processus, elle doit se proposer plus en amont par rapport à ce qui se pratique aujourd’hui avant même qu’une des parties saisisse un avocat, une maison de justice ou qu’une situation ne dégénère. Par exemple, on déplore aujourd’hui une recrudescence de la violence scolaire. Un de mes objectifs est de travailler dans la mise en place de conventions avec le rectorat de Versailles et la direction diocésaine de l’enseignement catholique afin d’intervenir dans le milieu scolaire public et privé. En cas de litige dans un établissement, la médiation doit être institutionnalisée pour éviter les violences et le harcèlement scolaire. On a également besoin d’aller vers des domaines où nous ne sommes pas suffisamment présents comme la médiation commerciale. Il y aurait une nécessité de renforcer notre collaboration avec le tribunal de commerce de Versailles. Enfin, nous devrons étendre nos partenariats avec de nouveaux bailleurs sociaux et plusieurs administrations. Pour conclure, il s’agit d’occuper les lieux de la vie quotidienne économique et sociale où il peut y avoir des litiges à régler ou à prévenir.
Référence : AJU014p2
