À Bry-sur-Marne, les studios historiques se projettent dans l’avenir

Publié le 19/10/2023
À Bry-sur-Marne, les studios historiques se projettent dans l’avenir
Vitali/AdobeStock

Construits entre 1977 et 1987, les studios de Bry-sur-Marne (94) ont changé de mains avant l’été et se préparent un avenir doré, sous le label « La  grande fabrique de l’image-France 2030 ».

Depuis le ciel, c’est un ensemble de grands hangars pris en sandwich entre la Marne tortueuse et l’Autoroute de l’Est. Mais la rue qui borde la zone n’a pas été baptisée : Avenue des Frères Lumière pour rien : les studios de Bry-sur-Marne ont été bâtis à la fin des années soixante-dix par la Société française de production (SFP) au départ pour tourner les jeux télévisés, plébiscités par le public. À la grande époque s’y tournait des jeux comme le Juste Prix, les Z’amours, le Bigdil ou le Plus grand cabaret du monde.

Mais les séries télé et le cinéma ne sont pas en reste. Le premier film, Je te tiens tu me tiens par la barbichette, de Jean Yanne, est tourné en 1978. Suivront Les rivières pourpres, Astérix, Un long dimanche de fiançailles, Hunger Games, Marie Antoinette et plus récemment Jacky au royaume des filles, Victoria ou De Gaulle ou la série Le Bazard de la charité… les 8 studios, les décors extérieurs et les 15 000 m2 d’ateliers de décorateurs et d’entrepôts regorgeant de décors et d’accessoires ont toujours été plébiscités par les professionnels de l’image. Près de 200 films y sont tournés chaque année.

Une leçon pour les amateurs de pelleteuses ?

Dur d’imaginer que les studios ont échappé de peuà la machoire de la pelleteuse : en 2012 le propriétaire des lieux Euromédia (qui avait absorbé SFP) décide de céder à un promoteur les studios historiques pour intégrer la flambant neuve Cité du Cinéma, inaugurée cette année-là dans une ancienne centrale électrique de Saint Denis (93). Selon la société, la présence de deux studios en région parisienne est superflue. En 2014, le site était promis à la destruction. Mais c’était sans compter sur la mobilisation de la profession, attachée à ces vieux murs et à cet outil de travail vieillissant certes, mais très bien pensé.

En 2015, c’est Transpalux, une ancienne filiale d’Euromedia, qui reprend l’exploitation. « C’est vrai qu’ils étaient vieillissants. Mais ils offraient des potentialités rares en France, des lieux de stockage, des ateliers de fabrication de décors. Et nous estimons qu’il y avait des besoins de studios avec les séries premium », avait expliqué aux Échos son directeur d’alors, Pascal Bécu. Quand l’arrivée du Grand Paris Express est annoncée, les promoteurs immobiliers repassent une tête, mais c’est la commune, cette fois, qui fait en sorte de protéger de façon pérenne cette plus-value en inscrivant le site dans le PLU de la ville, dès 2017 : le maire de la ville, Jean-Pierre Spielbauer avait affirmé : « Ce site restera dédié à l’audiovisuel, et nous l’avons d’ailleurs inscrit au PLU. Bry doit garder sa spécificité, entre les studios et l’Institut national de l’audiovisuel (INA) ».

Un avenir en or

Cette volonté de créer un écosystème basé sur l’audiovisuel, son patrimoine et sa production, la commune et les collectivités locales s’y sont engagées dès 2020 dans le but de sécuriser un véritable « pôle audiovisuel » sur place. Une volonté recherchée aussi par le producteur Guillaume de Menthon qui sous la houlette de Axa IM a acquis le foncier (12 hectares) du site des studios en juin 2023. L’homme, tout juste nommé président de la première commission du fonds d’aides aux moyens techniques de production et de diffusion par le CNC, a de grandes ambitions pour le site. Non content d’importer dans l’histoire de l’audiovisuel et du cinéma en France, les studios de Bry-sur-Marne s’inscrivent surtout dans l’avenir, considère-t-il.

« Avant de reprendre en juin, j’ai travaillé un an et demi sur le projet. C’est un site que je connaissais bien pour y avoir entre autres produit la série Versailles (Canal +, Netflix). À ce moment-là, les intermittents et les professionnels s’étaient mobilisés pour empêcher la construction de 2 000 logements qui aurait consisté à tout raser. C’est un projet que j’ai appréhendé dans sa globalité : il s’agit du site le mieux conçu de France, voire d’Europe. Il était urgent de ne pas toucher à l’ADN même du site, idéal pour le cinéma et les séries télé, en rénovant et développant le site ». Mise aux normes, meilleure sobriété énergétique, améliorations des bureaux, des loges, les grands travaux vont permettre dans l’avenir de doubler la surface de tournages, afin de répondre à une demande grandissante.

« Nous ne sommes pas un musée, mais une usine qui fonctionne à plein régime. Il nous faut un endroit où les décorateurs, les techniciens, les producteurs et les comédiens aient envie de venir tourner. Nous souhaitons attirer les plus beaux projets à Bry-sur-Marne, comme De Gaulle que l’on vient de tourner avec Antonin Baudry (un projet à 50 millions d’euros, avec Simon Abkarian dans le rôle-titre, NDLR). Aujourd’hui, nous sommes proches de la saturation et cela ne va pas s’arrêter car les studios de Paris (à la Cité du Cinéma) vont s’arrêter en octobre à cause des Jeux Olympiques et Paralympiques ».

L’ambitieuse Cité du Cinéma de Luc Besson justement, qui devait attirer toutes les productions internationales à Saint-Denis avant de montrer toutes ses faiblesses, est devenue un contre-exemple pour la réhabilitation du site de Bry-sur-Marne. Une marche sur laquelle s’appuyer pour montrer que l’avenir du cinéma se construit dans le Val-de-Marne. « Nous savons ce qu’il s’est passé, ce qui était bien et ce qui n’a pas été et évidemment c’est une expérience dont nous tenons compte. Ça a pu faire peur aux banquiers qui ne connaissent pas le secteur. C’était un projet très ambitieux en termes de studios, de surfaces », souligne Guillaume de Menthon qui s’apprête à accueillir la saison deux de Marie Antoinette, un Audiard et d’autres projets prestigieux. Le producteur a de quoi être optimiste.

Un label « La grande fabrique de l’image-France 2030 »

En mai 2023, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak et le secrétaire général pour l’investissement, en charge de France 2030, Bruno Bonnell, avaient profité du Festival de Cannes pour annoncer les lauréats de l’appel à projets « La grande fabrique de l’image-France 2030 ». Cette initiative inédite, dotée de 350 millions d’euros de France 2030, mise en œuvre par le secrétariat général pour l’investissement et opérée pour le compte de l’État, par la Caisse des dépôts et le Centre national du cinéma, a l’ambition de faire de la France un leader des tournages, de la production de films, séries et jeux vidéo, de la post-production (effets spéciaux notamment) et de la formation aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel. « C’est la relève du cinéma, de la création audiovisuelle et numérique que nous sommes en train de créer ! Cette relève va se déployer dans douze régions, autour de pôles d’excellence pour les tournages, la production numérique et la formation, qui seront vecteurs d’attractivité, d’emploi et de dynamisme, tout en étant vertueux sur le plan écologique. Notre ambition est d’élargir et de diversifier le vivier de talents, aussi bien créatifs que techniques, de développer les compétences de la filière et d’offrir à la jeunesse l’opportunité de porter de nouveaux récits pour nourrir nos imaginaires », avait expliqué la ministre.

Sur les 68 dossiers retenus pour le label La grande fabrique de l’image, 26 des lauréats sont des acteurs de la région Île-de-France. Pas étonnant : selon les chiffres de Film Paris Région, l’Île-de-France concentre plus de 50 % des tournages en France, soit environ 1 000 tournages par an et 15 à 20 tournages par jour sur le territoire. 150 000 emplois sont concentrés en région parisienne, soit 54 % de la filière en France. L’Île-de-France héberge 6 700 entreprises sur son territoire, de la pré-production à la post-production et 85 000 m2 de surfaces de plateaux de tournage. Film Paris Région a accompagné 400 œuvres, référencé 263 lieux accueillant des tournages et 670 prestataires (incluant les studios) en Île-de-France. La région Île-de-France a soutenu 142 œuvres grâce à un budget total de 22 millions d’euros dédié à la filière. Plusieurs studios de tournages, d’animation, d’effets spéciaux ou de jeux vidéo, des écoles ou des instituts de formation. Selon le maire de Bry-sur-Marne, Charles Aslangul (LR), interrogé par le Parisien, la nouvelle de cette labellisation est une nouvelle « extraordinaire » qui signe « plus que le sauvetage du site, une véritable renaissance pour continuer de porter le projet et poursuivre la dynamique aux côtés des professionnels et des décideurs ».

Pour Guillaume de Menthon, cette distinction, au-delà des subventions publiques, est l’occasion de mettre un « coup de tampon » sur la viabilité de son projet. L’occasion aussi de formaliser une synergie avec l’INA, en formant un nouveau pôle image sur un site rénové et agrandi, réunissant le meilleur du tournage et de la formation. « Auprès de France 2030, le but c’est d’aménager un des bâtiments pour accueillir des écoles en partenariat avec l’INA pour le projet éducatif (plus de 1 500 étudiants en formation initiale et continue) », souligne-t-il. Une opération gagnant-gagnant qui confirme que l’avenue des Frères Lumières ne deviendra jamais la rue des promoteurs, à Bry-sur-Marne…

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