Affaire Lola : l’avocat de la défense salué pour sa rigueur déontologique
Communiquer ou ne pas communiquer dans les médias ? La question devient chaque jour plus pressante pour les avocats, à mesure que s’accroît l’intérêt des journalistes pour les affaires judiciaires. L’intervention récente de Me Alexandre Silva, avocat de la suspecte dans l’affaire du meurtre de Lola, sur BFM TV a été saluée pour sa rigueur déontologique sur les réseaux sociaux. Explications.
Il existe deux écoles parmi les professionnels de la défense. Ceux qui vont porter la voix de leurs clients partout où ils sont attaqués, y compris dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Et ceux qui estiment au contraire que leur unique interlocuteur doit être le juge car c’est la justice qui a le dernier mot.
Accepter de s’exprimer devant une caméra, c’est s’exposer au risque d’enfreindre la déontologie en parlant trop. Les exemples ne sont pas rares et suscitent régulièrement l’indignation sur les réseaux sociaux, autant qu’ils écornent l’image des avocats. On se demande d’ailleurs parfois si les habitués des plateaux ne sont pas plus soucieux de faire leur publicité qu’autre chose. Mais refuser les invitations, c’est se priver d’une possibilité de défendre son client en corrigeant des inexactitudes par exemple. Le dilemme est souvent shakespearien.
je vous présente un avocat et pas un showman en mal de publicité.
un cours magistral de déontologie. bravo !!!!https://t.co/fh087i1TJN— Maître Cyno (@cynorrhodons) October 18, 2022
À en juger par les réactions sur les réseaux sociaux, il semble qu’un avocat ait trouvé la bonne mesure. Il s’agit de Me Alexandre Silva qui défend la principale suspecte dans le meurtre de Lola, cette enfant de 12 ans violée et asphyxiée vendredi dans le 19e arrondissement et retrouvée enfermée dans une malle. Celui-ci a accepté l’invitation de BFM TV le 17 octobre de venir s’expliquer en plateau. La séquence dure une dizaine de minutes.
La première question des journalistes porte sur le point de savoir, alors qu’il existe un doute sur la santé mentale de la suspecte, si Me Silva l’a trouvée cohérente. L’avocat répond sobrement que s’il parlait de ses échanges avec sa cliente, il violerait son secret professionnel. « Mais ça peut être votre rôle de défendre y compris dans les médias », objecte un journaliste. Il existe une exception au secret lorsque l’intérêt de la défense exige de parler, sous le contrôle du conseil de l’ordre, confirme l’avocat qui cependant se garde d’en dire davantage.
« Le secret professionnel est un socle de notre système démocratique »
La question suivante porte sur les rumeurs, notamment celle relative à un éventuel trafic d’organes. Cette fois, Me Silva accepte de s’exprimer, et réitère le démenti qu’il a déjà formulé devant la presse à l’issue de l’audience du juge des libertés et de la détention. Cela évite une charge inutile sur sa cliente, explique-t-il, autant qu’une souffrance supplémentaire aux parents de la victime.
Voici que l’on en vient au mobile, de nouveau l’avocat se tait. Le journaliste s’agace, « si vous ne nous aidez pas à comprendre… ».
On aborde enfin la question délicate de l’OQTF (obligation de quitter le territoire français) non exécutée.
Me Silva se trouve encore dans l’impossibilité de s’exprimer.
Mais il s’en explique :
« — Le spectateur peut-être pense que je me cache derrière le secret professionnel, en réalité il ne s’agit pas, derrière l’invocation de ce secret, d’une défiance à l’égard des journalistes ou du public, je comprends parfaitement que tout le monde, que ce soit les professionnels que vous êtes ou le public, ait envie de savoir ce qu’il s’est passé et de comprendre la manière dont les choses ont pu se dérouler. Néanmoins, le secret professionnel est un socle de notre système démocratique, il permet d’assurer une instruction sereine, intelligente et intelligible. Et au terme de cette instruction, c’est là que les choses seront révélées.
— On entend ce que vous dites Maître, rétorque l’animateur, c’est juste que là où on est désarçonné, c’est que ça ne correspond pas à ce qui se pratique régulièrement avec un certain nombre de vos confrères qui acceptent de venir et de répondre à des questions. Là vous acceptez de venir, ce qui est très agréable de votre part, mais pour ne pas répondre aux questions, ce qui est particulier.
— Déjà, je ne serai pas juge de la pratique déontologique de mes confrères, je les renvoie à leur conscience pour ceux en tout cas qui se comportent ainsi. Pour ce qui concerne maintenant votre observation finale, je vous avais prévenu, j’avais eu cette délicatesse, que j’étais disposé à venir sur le plateau pour parler notamment de ces rumeurs ou éventuellement d’une contextualisation plus générale, en revanche jamais je m’attarderai sur le fond ».
Sur Twitter, l’interview a été signalée par plusieurs avocats comme un modèle de respect des règles déontologiques.
Très très grande classe – https://t.co/CGoZn3WWgS
— Julia Courvoisier (@JuCourvoisier) October 18, 2022
Cours de déontologie par Alexandre Silva sur BFM, ça fait du bien on n’a plus l’habitude. Impeccable. pic.twitter.com/PQaqIqG2eW
— Astrée ✨ (@spicyplume) October 18, 2022
Mais évidemment, une telle réserve encourt toujours le risque d’être interprétée comme une façon d’éluder les questions parce qu’elles sont gênantes, ainsi que le remarque Me Silva lui-même. Ne valait-il pas mieux alors ne pas venir, comme semblent le suggérer les journalistes ?
La question est posée tant par le public,
que par les avocats eux-mêmes.
« La présence de l’avocat ici a le principal mérite de montrer que malgré l’horreur des faits dont elle est accusée, la suspecte a quelqu’un pour la défendre. Cela humanise. Rien que pour cela, il fallait qu’il soit présent sur le plateau » relève Guillaume Didier, associé de l’agence Vae Solis, spécialiste de communication de crise.
« Rien n’est audible, à ce stade »
Me Julia Courvoisier, qui fait partie des professionnels qui ont salué la prestation de Me Silva, estime elle aussi que cette intervention était nécessaire. « J’ai admiré son calme alors qu’il a traversé plusieurs jours d’emballement médiatique dans un dossier très lourd. Au-delà du simple respect de la déontologie, il dit à ce stade du dossier tout ce qu’il y a à dire et qu’il faut dire : que nous sommes au début de l’instruction, qu’il convient de respecter le temps judiciaire, la présomption d’innocence et le secret de l’avocat ainsi que de l’instruction. De toute façon, l’émotion est trop forte pour prétendre entrer dans la compréhension du dossier, rien n’est audible à ce stade ».
Reste à savoir comment le public, car c’est à lui que tout le monde s’adresse, a perçu la prestation de l’avocat. Or, il semblerait que ses réserves aient été plutôt bien comprises et acceptées par les internautes. Voire même saluées.
L’éthique, plus sûre alliée de la défense ?
« Cela démontre, s’il en était besoin, le fait que le respect de l’éthique est aussi la meilleure façon possible de défendre le client et donc que l’exigence déontologique n’est pas l’ennemie de la stratégie de défense, y compris dans les médias, mais au contraire sa plus sûre alliée » analyse Me François Martineau, avocat au barreau de Paris, qui enseigne la rhétorique judiciaire*.
Il faut dire que si Me Silva a évité l’écueil du dérapage déontologique, il s’est aussi gardé d’un autre danger, celui d’exciter une opinion publique hautement inflammable par des propos certes pertinents, mais parfaitement inaudibles, en particulier du point de vue des victimes. Combien de ses confrères, y compris parmi les plus expérimentés ont été attaqués par exemple pour avoir évoqué « l’honneur » de défendre un criminel (notamment Eric Dupond-Moretti dans l’affaire Merah), ou bien encore pour s’être confiés sur « l’humanité » de leur client (Me Olivia Ronen à propos de Salah Abdeslam) ? Il faut être un professionnel de la justice pour pouvoir comprendre certains propos, or les avocats souffrent, médiatiquement, de la méconnaissance qui entoure leur métier.
La prestation de Me Silva sur ce dossier sensible n’est pas sans rappeler une autre intervention remarquée, celle d’Edwige Roux-Morizot, procureur de la République de Besançon, pour rappeler les principes gouvernant la justice, au plus fort de l’emballement médiatique dans l’affaire Daval. Tous deux montrent que si l’articulation entre le droit à l’information et les principes démocratiques présidant au bon exercice de la justice est parfois complexe, elle n’en est pas moins réalisable.
Pour autant, l’avocat est-il condamné à toujours se taire dans les médias ? Pour Guillaume Didier, une telle parcimonie dans les déclarations ne s’impose pas forcément dans tous les dossiers. « Dans d’autres configurations, l’avocat peut être amené à être plus prolixe sans pour autant être en délicatesse avec la déontologie. Si un client crie son innocence par exemple, cela peut nécessiter de fournir des précisions. Ou bien dans un dossier de délinquance économique, où les infractions sont très complexes, il peut s’avérer nécessaire d’apporter des explications détaillées ».
Il est donc difficile de dégager des règles générales car tout dépend des circonstances. Tout au plus peut-on observer ici que le respect de la déontologie a semblé répondre convenablement tant aux nécessités de la défense qu’à la curiosité du public. Et ceci sans offenser la famille de la victime. Une communication modèle en somme…
*François Martineau est l’auteur du « Petit traité d’argumentation judiciaire et de plaidoirie » 2022-2023 9e édition. Dalloz
Référence : AJU325519