Avis sur internet : le risque de la course aux étoiles pour les avocats

Publié le 01/02/2023

Sur Internet, on peut désormais tout noter, depuis la pizzeria du coin de la rue jusqu’à son coiffeur, en passant par son dentiste ou son avocat. Seulement voilà, tout ne se vaut pas. Si le pizzaïolo peut défendre la qualité de sa pizza en réponse à un commentaire négatif, l’avocat lui est tenu par le secret professionnel, ce qui le condamne à subir insultes et commentaires injustes en silence. Une situation que dénonce Me Michèle Bauer. 

Avis sur internet : le risque de la course aux étoiles pour les avocats
Photo : ©AdobeStock/OceanProd

« Petit cœur adorable vous a laissé un avis », ainsi débute parfois la journée d’un avocat qui ouvre fébrilement la notification de Google Business.

« Désolé, tu as reçu une étoile de Petit cœur adorable », un lien mène à l’avis de ce petit cœur peu étoilé.

L’avocat hésite alors à cliquer, il sait que sa journée sera gâchée, mais il ne peut pas s’en empêcher.

« Je déconseille, à fuir ! »

Il a eu raison d’hésiter : « Maître Trolos est arrogant, suffisant, il ne sait que demander de l’argent et après y a plus personne, je déconseille, à fuir, si j’avais su j’aurais pas venu ! En plus il n’a même pas d’ascenseur et on peut pas venir avec une poussette ».

Blême, l’avocat décortique pendant une dizaine de minutes l’avis du Petit cœur pas du tout adorable, il essaie de trouver qui se cache derrière ce pseudo ridicule, se repasse « le film » des deux dernières semaines, avec quel client a-t-il été arrogant ou suffisant ? Quand est-ce qu’il a reçu un client ou une cliente avec une poussette ?

Il a beau chercher, il ne trouve pas qui est ce Petit cœur et s’agace de ce mauvais commentaire qui a fait baisser sa moyenne, de 4 étoiles sur 5, il passe à 3.7 sur 5, une étoile est en train de filer, au prochain commentaire, il passe à 3.

Pour se rassurer, il se dit que personne n’est parfait, avoir 5 étoiles sur 5, c’est louche…

Toutefois, il est frustré.

D’abord par cet avis qui n’est pas vérifié, Petit cœur adorable est-il vraiment client du cabinet ? Est-ce que ce ne serait pas un adversaire qui n’a pas supporté sa défense efficace ? Impossible de savoir, n’importe qui peut laisser un commentaire, louloute34 comme Dédé le marrant, sans dévoiler son vrai nom, aucune vérification d’identité n’est effectuée par Google Business qui l’indique clairement : Google ne vérifie pas les avis, mais recherche et supprime les faux contenus lorsqu’ils sont identifiés.

Ensuite, parce que l’avocat ne peut répondre à un commentaire dont il a identifié l’auteur, il est soumis au secret professionnel et il lui est donc interdit d’évoquer les détails d’un dossier. Il rajeunit alors, redevient un enfant qui apprend à accepter la frustration. Toute la journée de l’avocat qui a perdu une étoile est consacrée à en acquérir cinq nouvelles.

Partir à la chasse au client satisfait pour faire remonter sa moyenne

Il contacte alors Madame Gentille qui l’a remercié au moins une dizaine de fois pour « l’avoir divorcé », il lui demande si elle peut lui donner 5 étoiles.

« Mais comment on fait, je voudrais bien mais faut que je créée une adresse gmail, et puis je ne veux pas trop que mes amis voient que j’ai divorcé, désolée Maître, c’est trop compliqué ».

Au troisième appel, Monsieur Sauveur accepte de mettre un commentaire, il donne 5 étoiles sans plus de détails, c’est déjà cela, la moyenne remonte à 3.8.

Dix jours plus tard, notification « Alain ARMAND vous a laissé un avis », ça recommence, avec la même fébrilité, l’avocat lit cette notification « Bravo, tu as reçu 5 étoiles d’Alain ARMAND ».

Ce client identifié laisse un commentaire dithyrambique : « Super Avocat, après vingt ans d’ancienneté, il a fait condamner mon employeur, merci Maître, je conseille vraiment. »

Les avis postés par des clients, parfois des adversaires, produisent l’effet d’un ascenseur émotionnel car on le sait bien malheureusement la nouvelle guerre des étoiles (terme emprunté du livre de Vincent COQUAZ et Ismaël Halissat) a été déclarée par Fred Reichheld, consultant américain, inventeur du NPS (Net Promoter Score), questionnaire de satisfaction amélioré qui devient un questionnaire de recommandation.

Ce marketing, dont on revient, est-il adapté à la profession d’avocat ?

La profession ne s’est jamais posé cette question, bien au contraire, le Conseil national des barreaux (CNB) a essayé de promouvoir les avocats étoilés en publiant un rapport le 12 octobre 2019. Ce rapport de la Commission prospectives et innovation est parti du postulat que la notation des avocats était une fatalité, il fallait l’accepter « c’est comme ça ma bonne dame ».

L’inquiétante dépendance à Google Business

Bien malheureusement, contrairement à ce que pensait la Commission prospective et innovation, selon une étude d’opinion way, 45 % des clients viennent consulter un avocat par le bouche-à-oreille (amis ou famille), 37 % des clients ont trouvé leur avocat par internet, d’abord par le site de l’avocat (43 %) et 38 % par les avis, à égalité avec le site internet du barreau de leur ville.

Les avis sont un moyen de trouver son avocat, mais pas le seul moyen.

Les étoiles commencent à prendre de l’importance car elles peuvent se transformer en clients.

L’avocat devient un commerçant soucieux de sa réputation se sentant obligé de répondre à un mauvais commentaire comme le conseillent les Sociétés de e réputation.

Il s’excuse de la mauvaise expérience et assure que la prochaine fois, la soupe, euh non la prestation sera meilleure.

La dépendance à Google Business est inquiétante car elle porte atteinte à l’indépendance de l’avocat inscrite dans notre serment.

Le score étoilé inquiète l’avocat autant que certains de ses clients.

« Maître, je ne paierai pas votre dernière note d’honoraires, je change de conseil, et ne vous avisez pas de me poursuivre devant le bâtonnier car je n’hésiterai pas à vous donner une étoile sur Google ».

Certains clients n’hésitent pas à laisser plusieurs avis en utilisant des pseudos différents, à la limite de la diffamation, voire à cyberharceler, ce qui rend certains de mes confrères malades. Hélas, le roi Google refuse d’effacer ces insultes publiques.

Pour éviter l’effet Streisand, le silence est d’or, mais il s’avère douloureux dans ces cas extrêmes.

En conclusion, n’est-il pas temps de réfléchir plus sérieusement sur le danger que représente cette nouvelle guerre des étoiles pour les avocats ?

Jusqu’à quand accepterons-nous de nous laisser noter comme de vulgaires toilettes d’aires d’autoroute ?

Quand est-ce que l’on réclame une loi interdisant de noter les avocats au nom de la protection de notre secret professionnel et de notre indépendance ?

J’espère la lune ? Laissez-moi rêver !

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