C8 et NRJ12 : il n’y a aucun droit acquis au renouvellement

Publié le 21/02/2025 à 10h04

D’abord saisi, par la société C8, d’une requête en référé demandant la suspension de la décision de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique-ARCOM refusant de lui accorder le renouvellement de son autorisation d’exploitation d’un service de la télévision numérique terrestre-TNT, puis, par la même société C8 et la société NRJ, d’une requête en annulation des mêmes décisions leur préférant d’autres candidatures, le Conseil d’Etat en prononce le rejet.

C8 et NRJ12 : il n'y a aucun droit acquis au renouvellement
Photo : ©AdobeStock/Lija

En dépit et même – contrairement à ce qui pourrait être pensé – en application du principe de « liberté de communication » (audiovisuelle) -impliquant liberté d’émission et de réception- énoncé, en droit français et conformément aux exigences du droit européen, par le titre et l’article 1er de la loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986, l’exploitation d’une entreprise du secteur privé de la télévision par voie hertzienne demeure subordonnée – en raison du nombre limité des canaux de diffusion disponibles- à l’obtention d’une autorisation délivrée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – ARCOM. Une telle autorisation est limitée dans le temps, mais susceptible d’être renouvelée, ou non, en fonction des conditions dans lesquelles la première exploitation a été faite, au regard des obligations légales et conventionnelles de la société, selon l’appréciation de la même ARCOM.

Posant que « la communication au public par voie électronique est libre », l’article 1er de ladite loi du 30 septembre 1986 précise notamment que « l’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise […] par le respect […] du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion […] par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication ». Aux termes de l’article 28 de la même loi, « la délivrance des autorisations d’usage de la ressource radioélectrique pour chaque nouveau service diffusé par voie hertzienne terrestre » du secteur privé « est subordonnée à la conclusion d’une convention passée entre l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, au nom de l’Etat, et la personne qui demande l’autorisation. Dans le respect de l’honnêteté et du pluralisme de l’information et des programmes et des règles générales fixées en application de la présente loi […] cette convention fixe les règles particulières applicables au service ». L’article 28-1 détermine la durée de ces autorisations et les conditions et les modalités de leur attribution et de leur possible reconduction.

C’est dans ce cadre et par référence à ces dispositions que doit être considéré le rejet, par le Conseil d’Etat, des requêtes des sociétés de télévision C8 et NRJ12 visant les décisions de l’ARCOM leur refusant le renouvellement de leurs autorisations d’exploitation, s’agissant, dans un premier temps, de l’action en référé de C8 ayant donné lieu à l’ordonnance du 30 décembre 2024, et de l’action au fond, des deux sociétés, objet de l’arrêt du 19 février 2025.

I.- Ordonnance du 30 décembre 2024

Saisi, par la seule société C8, d’une requête en référé, le juge conclut à son rejet.

A.- Requête de la société C8

Dans sa première requête, la société C8 demandait, au juge des référés du Conseil d’Etat : de « suspendre l’exécution » des décisions de l’ARCOM lui refusant le renouvellement de son autorisation d’exploitation et accordant de telles autorisations à des sociétés concurrentes ; et d’« enjoindre à l’ARCOM de réexaminer sa candidature et de l’admettre aux négociations d’une convention » préalable à l’attribution d’une telle autorisation.

A l’appui de sa requête, elle soutenait que « la condition d’urgence était satisfaite » dès lors notamment que : « les décisions contestées, qui ont pour effet de faire cesser immédiatement la diffusion de la chaîne C8, l’exposent à la perte définitive, totale et immédiate de son chiffre d’affaires du fait de la cessation de son activité » ; qu’elles « altèrent l’équilibre concurrentiel sur le marché de la TNT » ; qu’« il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées » ; que celles-ci « sont insuffisamment motivées eu égard aux dispositions de la directive (UE) 2018/1972 » (Directive (UE) 2018/1972, du 11 décembre 2018, établissant le code des communications électroniques européen) « et de la loi du 30 septembre 1986, dès lors que, d’une part, le déroulement de la phase de présélection a méconnu le principe d’égalité de traitement entre les candidats et, d’autre part, l’ARCOM aurait dû réexaminer sa candidature à la suite du retrait des chaînes du groupe Canal Plus », libérant ainsi des canaux de diffusion ; que ces décisions « sont entachées d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors que […] l’ARCOM a pris en considération les critères de la maîtrise de l’antenne et du risque de récidive, alors que ces critères ne sont pas, au regard de la loi du 30 septembre 1986, au nombre de ceux susceptibles de fonder la décision de refus », que « les manquements allégués ne justifient pas la décision prise qui est disproportionnée », que « l’ARCOM a redéfini arbitrairement, à travers ses décisions, la notion d’intérêt du public en méconnaissant la réalité de la contribution de la chaîne C8 », et alors que cette dernière « avait pris des engagements pour permettre d’assurer la maîtrise de son antenne » ; que « les appréciations de l’ARCOM sur sa candidature, comparée à celle des autres chaînes, sont erronées » ; que « l’ARCOM a occulté tous les éléments mettant en évidence que la chaîne C8 remplissait les critères requis » ; que « le projet de la chaîne C8 est viable et présente plus de garanties que celui des nouveaux entrants » ; et que « les décisions contestées sont de nature à déstabiliser le marché de la publicité et les équilibres concurrentiels ».

B.- Décision du juge

Considérant que « le recours pour excès de pouvoir introduit par la société requérante sera appelé à une audience dans les prochaines semaines […] et qu’il n’apparaît pas […] que la mise en œuvre de la décision contestée, à l’horizon de la fin février 2025, caractériserait une situation d’urgence telle qu’elle justifie la suspension de leur exécution sans attendre le jugement au fond », le juge des référés saisi conclut au rejet de la requête et laisse ainsi, au juge du fond, le soin de statuer (CE, réf., 30 décembre 2024, n° 500008, Sté C8 c. ARCOM).

II.- Arrêt du 19 février 2025

Saisi, par les sociétés C8 et NRJ12, de requêtes au fond, le Conseil d’Etat conclut à leur rejet.

A.- Requêtes des sociétés C8 et NRJ12

Dans leurs requêtes, reprenant les arguments présentés par la société C8 devant le juge des référés, les sociétés C8 et NRJ12 demandaient au Conseil d’Etat : d’annuler pour excès de pouvoir les décisions de l’ARCOM rejetant leurs candidatures à l’attribution d’une autorisation d’exploitation d’un service de la TNT et celles autorisant des sociétés concurrentes ; d’enjoindre à l’ARCOM de réexaminer leurs candidatures ; et « de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles relatives à la compatibilité de la procédure » d’octroi des autorisations d’exploitation « avec les objectifs de la directive (UE) 2018/1972) ».

Lesdites sociétés soutenaient, pour cela : que « la procédure de sélection est irrégulière, du fait de son manque de transparence et du choix de l’ARCOM de procéder à une présélection des candidats » ; que le rejet de leurs candidatures n’était « pas motivé » ; que « l’étude d’impact » était « insuffisante et trompeuse dans ses développements relatifs à la TNT payante et à l’évolution du marché publicitaire » ; que « la décision de l’ARCOM de n’attribuer que onze autorisations méconnaît l’obligation de l’attribution de toutes les fréquences disponibles » ; que « l’ARCOM a méconnu les critères d’attribution fixés par la loi du 30 septembre 1986, et entaché ses décisions d’erreur d’appréciation en écartant » leurs candidatures et en en retenant d’autres.

B.- Arrêt du Conseil d’Etat

Se prononçant : « sur la régularité de la procédure » d’attribution des autorisations d’exploitation ; sur « l’étude d’impact » de telles attributions ; et sur « la procédure d’appel à candidatures », s’agissant notamment de « la phase de présélection », de « la motivation des décisions attaquées », du « choix de ne pas attribuer la totalité des autorisations mentionnées dans l’appel à candidatures », et de « l’appréciation portée par l’ARCOM sur les candidatures », le Conseil d’Etat retient qu’il résulte des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 que : « pour délivrer des autorisations d’usage de ressources radioélectriques pour la diffusion d’un service de TNT, il incombe à l’ARCOM […] de choisir, à l’issue de la procédure d’appel à candidatures […] les projets qui contribuent le mieux à la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socio-culturels, lequel participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensée et d’opinion, et qui sont le mieux à même de répondre à l’intérêt du public » ; et qu’il appartient à ladite autorité « de procéder à une appréciation des mérites comparés des candidatures reçues, au regard notamment de leur contribution au pluralisme et à la diversité des opérateurs ainsi qu’à la production et à la diffusion d’œuvres françaises et européennes, de leur impact sur la concurrence, des perspectives de leur financement et de leur capacité à respecter les obligations légales leur incombant ».

L’arrêt retient que, en l’espèce, l’ARCOM, par ses décisions contestées, a, dans le même temps, « autorisé la diffusion des services BFM-TV, CMI-TV, CNews, CStar, Gulli, LCI, OFTV, Paris Première, TFX, TMC et W9 ».

S’agissant de NRJ12, il est retenu : que « les engagements de diffusion de programmes inédits sur la télévision gratuite » pris, par elle, « dans son dossier de candidature, sont substantiellement inférieurs à ceux d’autres services retenus, notamment TFX, TMC et W9, et que le volume de fictions audiovisuelles proposé repose en grande partie sur la rediffusion de séries relativement anciennes » ; et que « les prévisions de croissance des recettes publicitaires figurant dans le dossier de candidature présenté par la chaîne qui n’a, depuis sa création, présenté un résultat net positif que pour un seul exercice, contrastent avec le déclin constant de ses parts d’audience, y compris auprès du jeune public qu’elle cible, et avec les perspectives d’évolution du marché publicitaire ».

S’agissant de C8, il est retenu : « que la chaîne se distingue par un volume important de programmes inédits, notamment d’émissions en direct » ; qu’« elle bénéficie d’une part d’audience élevée sur la TNT, hors les chaînes historiques de la télévision hertzienne », mais que « les programmes qu’elle diffuse, notamment les magazines, le divertissement et la fiction, sont peu diversifiés, d’autres candidatures présentant une offre plus variée et renouvelée » ; qu’elle « a fait l’objet de nombreuses sanctions financières, mises en demeure et mises en garde de l’ARCOM pour des manquements, au cours des dernières années, à ses obligations légales et conventionnelles, notamment en matière de respect des droits de la personne, de protection des mineurs et de maîtrise de l’antenne » ; et qu’elle « a, depuis sa création, enregistré un déficit chronique et significatif, et que les prévisions du plan d’affaires figurant au dossier de candidature contrastent avec les perspectives d’évolution du marché publicitaire ».

En conséquence, il est jugé que : « dans ces conditions, au vu de l’ensemble des caractéristiques des projets qui lui ont été présentés, et compte tenu des différents impératifs et critères énoncés par la loi, l’ARCOM a pu légalement estimer que les candidatures de C8 et NRJ12 étaient moins à même que les onze projets qu’elle a retenus […] de contribuer au pluralisme des courants d’expression socio-culturels et de répondre à l’intérêt du public ».

Il en est conclu : que les sociétés NRJ12 et C8 « ne sont pas fondées à demander l’annulation des décisions qu’elles attaquent », et que « leurs requêtes ne peuvent, par suite, qu’être rejetées » (CE., 19 février 2025, n° 499823 et 50009, Sté C8 et Sté NRJ12 c. ARCOM).

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Pour être sans précédent, le non-renouvellement de l’autorisation d’exploitation de deux chaînes de télévision par voie hertzienne -auxquelles ont, cette fois, été préférées d’autres candidatures, comme cela fut fait, à leur avantage, lorsqu’elles avaient-elles-mêmes été autorisées- ne peut pas, alors qu’il n’y a aucun droit acquis au renouvellement, être présenté comme constituant une mesure d’« interdiction » ou de « censure », comme l’ont fait, notamment sur C8, l’un de ses animateurs -Cyril Hanouna, cause et objet des nombreuses condamnations prononcées, du fait de ses excès, par l’autorité de régulation ainsi conduite, entre autres raisons, à prendre la présente décision – et son dirigeant dénonçant une atteinte à la liberté d’expression dont ils ont dit vouloir saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

 

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