E. Macron en Hitler : quand la satire neutralise l’injure
Par un arrêt du 13 décembre, reproduit en bas de cet article, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel qui avait condamné l’auteur de la caricature d’Emmanuel Macron en Hitler et en Pétain sur fond de crise sanitaire. Explications.

Existe-t-il des limites à la caricature ? Éternelle question dont la réponse varie selon les lieux, les époques et les points de vue. Même les plus libéraux semblent avoir été choqués par le fait que la Cour de cassation a décidé, le 13 décembre dernier, de casser sans renvoi l’arrêt d’appel qui avait condamné pour injure l’auteur de deux caricatures d’E. Macron, l’une en Hitler, l’autre en Pétain.
Un publicitaire féru de satire
Revenons aux faits. Michel-Ange Flori est un ancien publicitaire qui, jusqu’en 2016, exploitait de nombreux panneaux en région PACA. Lorsqu’il cède son entreprise, il décide d’en conserver deux, l’un à Toulon, l’autre à la Seyne-sur-Mer qui lui servent de support pour commenter sur un ton humoristique l’actualité, en faisant imprimer des affiches à ses frais. E. Macron l’inspire beaucoup. C’est ainsi qu’il le représente successivement en Pinocchio, en empereur romain ou encore en roi de France. Sans que le président de s’en offense.
Jusqu’à ce 12 juillet 2021 où E. Macron annonce l’extension du passe sanitaire à tous les cafés, restaurants, transports longue distance etc.…Michel-Ange Fiori conçoit alors une affiche en deux parties : à gauche E. Macron grimé en Hitler, à droite ce slogan « Obéis fais-toi vacciner ».
Point Godwin atteint
Cette fois E. Macron ne rit plus et porte plainte. Le parquet de Toulon ouvre une enquête, l’auteur avoue sans difficulté être l’auteur de l’affiche.
Le 11 août suivant, E. Macron répond lors d’une allocution télévisée à ceux qui l’accusent de dictature sanitaire que « jamais dans notre histoire une crise d’une telle ampleur n’a été combattue de manière aussi démocratique ». La déclaration inspire à M. Flori une nouvelle affiche montrant cette fois en vis-à-vis P. Pétain et E. Macron, tous deux coiffés du képi lauré du maréchal et habillés du même uniforme sur fond de QR code, avec ce slogan « Il n’y a qu’un pass à franchir ». Nouvelle plainte du président de la République, nouvelle enquête du parquet.
Condamné à 10 000 euros en correctionnelle
Michel-Ange Flori comparait le 16 août 2021 devant le tribunal correctionnel de Toulon pour injure (articles 29 et 33 alinéa 1 de la loi de 1881). Il est condamné à 10 000 euros d’amende, le tribunal estimant qu’il ne s’agit pas de l’expression d’un humour irrévérencieux mais d’une « volonté de ridiculiser ».
Il fait appel.
Nouvelle condamnation le 24 janvier 2022, cette fois à 5000 euros d’amende, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
L’immense liberté attachée à la satire dans le cadre d’un débat d’intérêt général
C’est cet arrêt que la Cour de cassation a cassé pour les motifs suivants :
Pour l’avocat de MA. Fiori, Me Bérenger Tourné, cette décision n’est pas surprenante. C’est une application classique de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a transposé en 2016 la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, aux termes de laquelle la satire dans le cadre d’un débat d’intérêt général, a fortiori visant des personnalités politiques, neutralise l’injure, à supposer que celle-ci soit constituée.
Nous publions ci-dessous l’arrêt en version intégrale.
Cour de cassation arrêt Flori
Référence : AJU338348
