Mort de Nahel : la médiatisation jusqu’à la nausée

Publié le 28/06/2023

La vidéo de la mort de Naël, 17 ans, filmée en direct par un passant hier à Nanterre a fait le tour des réseaux sociaux. On y voit un policier tirer à bout portant sur le conducteur de la voiture. Immédiatement, les politiques de tous bords ont commenté l’affaire au nom du nécessaire débat public. Et la famille, qui a pensé à la famille ? s’indigne Me Julia Courvoisier. Notre chroniqueuse s’inquiète des débordements de plus en plus graves et fréquents dans le traitement médiatique des affaires judiciaires. 

Mort de Nahel : la médiatisation jusqu'à la nausée
Photo : ©AdobeStock/Aleksei

Je n’aime pas écrire sous le coup de la colère.

Mais il m’arrive de plus en plus d’écrire sous le coup du dégoût.

L’essor des réseaux sociaux et des chaines d’informations en continu a bouleversé le traitement médiatique des affaires pénales : la semaine dernière, nous vivions en direct, au coin de la rue, la perquisition et la garde à vue de Michel Pialle, mise en examen pour le meurtre de son épouse. Qu’espéraient ceux qui l’ont montré ?  Le voir les mains encore couvertes de sang monter dans la voiture de la police ?

« L’avez-vous trouvé fou ? »

La semaine précédente, nous attendions à la sortie du commissariat d’Annecy pour interroger le codétenu du suspect principal de l’attaque au couteau : « l’avez-vous trouvé fou  ? L’avez-vous entendu hurler dans sa cellule ? L’avez-vous entendu tenir des propos incohérents ? ». Comme si passer 20 heures dans la cellule mitoyenne du suspect principal faisait de ce témoin un expert en psychiatrie dont l’avis présenter une quelconque importance.

Entre temps, nous avons vécu l’agression violente d’une grand-mère et de sa petite fille, puis guetté avec impatience leurs premières déclarations.  Elles ont réclamé instamment que leur agression ne soit pas reprise à des fins politiques.

Vidéos publiées, diffusées, commentées, reprises, rediffusées…ad nauseam. Parfois en violation du secret de l’enquête, mais au diable le respect de nos grands principes du droit !

Il faut faire du clic pour certains.

Et trouver des électeurs pour d’autres.

La présomption d’innocence, le respect de la vie privée des proches qui n’ont rien demandé, la dignité des victimes, le temps de l’enquête : peu importe !

Il n’y a presque plus de débats tempérés, de mots pesés, de prudence.

Enquête en direct

L’enquête se fait à la télévision en direct et on diffuse souvent des vidéos d’une rare violence, sous couvert du nécessaire débat public.

Oui les journalistes doivent informer : ce n’est pas la question.

Oui, le débat public sur la violence doit exister : ce n’est pas non plus la question.

Mais quand et comment doit-il exister ?

Il est grand temps de se poser cette question à l’heure de la fast justice et de l’information immédiate.

J’envisageais d’écrire calmement sur ce sujet aujourd’hui et puis, branle-bas de combat vers midi : un jeune homme tué par un tir de policier à Nanterre lors d’un « refus d’obtempérer ». Le jeune homme avait 17 ans : il n’avait évidemment pas le droit de conduire une voiture. Il est mort d’une seule balle tirée par un policier.

Sans aucune retenue, une vidéo a immédiatement fait la une des chaînes et des réseaux sociaux : un policier, situé sur le côté du véhicule jaune du jeune homme, tire une seule balle au niveau du haut du corps. Presque à bout portant. Le jeune homme meurt certainement dans les secondes qui suivent. Image insoutenable.

Le corps de ce jeune homme est encore chaud que nos politiques viennent évoquer leurs propositions de loi, relancer leur demande d’enquête parlementaire, évoquer l’ensauvagement de la société, parler de la nécessaire présomption de légitime défense pour les policiers, faire état des chiffres des refus d’obtempérer.

Outrance politique

Alors j’ai pensé à cette maman, à cette grande-mère, à ce papa, ce frère, ce cousin qui voient cette odieuse vidéo en direct dans leur salon. Qui lisent les mots violents et outranciers de toute la classe politique.

J’ai pensé à cette famille dont on ne sait rien mais dont j’arrive à imaginer l’immense et incommensurable douleur.

La mort de leur fils, de leur frère, de leur cousin, de leur petit-fils en direct dans tous les médias. Pas un mot pour eux. Que des mots politiques pour l’opinion publique.

Pourquoi ? Pour quel débat ?

L’opinion publique ne peut-elle pas attendre ?

Avons-nous à ce point perdu le peu de dignité qui a fait la grandeur de notre état de droit ?

Je ne suis pas en colère.

J’ai la nausée.

 

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