Tribunal médiatique : A. Quatennens a le droit de se défendre, même si ça déplaît !
Condamné mi-décembre à quatre mois de prison avec sursis pour avoir giflé sa femme – dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – , le député LFI Adrien Quatennens a décidé de s’exprimer dans les médias pour livrer sa vérité sur l’affaire. Un exercice qui lui a été reproché. Notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier plaide pour le droit inaliénable de se défendre quand on est accusé, y compris dans les médias. Et aussi pour le droit à la réinsertion, que le tribunal médiatique lui refuse.
Ce qu’il y a de terrible avec le tribunal médiatique, c’est qu’il n’aime pas la contradiction. Et un tribunal sans contradiction n’est pas un tribunal. C’est d’ailleurs aussi pour cela que je ne l’aime pas.
Un avocat passe ses journées à entendre des arguments qu’il conteste et des pièces d’un dossier qu’il interprète différemment. Le débat contradictoire fait partie intégrante de la vie des avocats, et il est précieux. C’est parfois agaçant, voire révoltant, mais toujours essentiel.
À quelques jours du retour d’Adrien Quatennens à l’Assemblée nationale après sa condamnation pénale, il était temps de parler de son cas, vu qu’il est passé entre les mailles de mon filet de chroniqueuse cette année !
Défense, plaider coupable, sens de la peine pénale : c’est l’heure des explications ! Et donc de la réflexion.
Quatre mois de prison et deux milles euros de dommages et intérêts
Rappel des faits : à la fin de l’été dernier, dans un communiqué de presse, Adrien Quatennens reconnaissait avoir donné une gifle à son épouse un an auparavant, s’être battue avec elle pour un téléphone portable et lui avoir en outre adressé « de trop nombreux messages ». Alors en pleine procédure de divorce, il décidait de se mettre en retrait de son mandat de député.
Bonjour à tout·e·s, après les événements de cette semaine et dans un souci de transparence et d'apaisement, voici ma déclaration officielle. pic.twitter.com/ykwswNB4F5
— Adrien Quatennens (@AQuatennens) September 18, 2022
Comme il n’avait sans doute jamais été condamné ni mis en cause dans la moindre affaire pénale, le parquet décidait de le juger dans le cadre de la procédure dite de « plaider coupable », appelée « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » (CRPC). En gros : il faut reconnaître les faits pour bénéficier de cette alternative aux poursuites afin d’éviter une audience classique devant le tribunal correctionnel. Le principe ? Le parquet propose une peine qui doit être acceptée par le prévenu puis homologuée par le tribunal correctionnel.
Le 13 décembre dernier, il était donc condamné à 4 mois de prison avec sursis et 2 000 euros de dommages et intérêts. Aucune sanction complémentaire n’était prononcée par le tribunal correctionnel de Lille.
Un moment de télévision gênant
Sans tarder, Adrien Quatennens allait s’expliquer sur les plateaux de télévision dans une interview fleuve de près d’une heure. Tout y passait : l’intimité d’un couple qui va mal, les séparations, les nuits sur le canapé, les jalousies, les portes fermées, les échanges de leur fille sur un parking… Et l’annonce de son retour sur les bancs de l’Assemblée début janvier.
Ne nous mentons pas : ce moment de télévision était particulièrement gênant, y compris pour l’avocate que je suis.
Cette interview a été perçue par certains comme une stratégie de victimisation, une inversion des rôles, une tentative de se faire plaindre, de se faire excuser… Tribunes, tweets, interviews. Et tous ceux-là d’appeler cet homme, et les autres d’ailleurs, au silence le plus absolu.
Il n’y aurait pas de contexte, pas d’explications, pas de… CONTRADICTION.
Accusé publiquement, condamné mais surtout réduit au silence.
Reconnaître les faits (comme lui) ou les nier (comme d’autres) : aucune différence devant le tribunal médiatique !
Mon avis, vous le connaissez : pas de tribunal médiatique. Ni d’un côté, ni de l’autre. Ma première réaction a donc été de me demander pourquoi il avait accepté cette interview et pourquoi il venait raconter tout cela. Exposant son intimité et celle de sa famille aux yeux de millions de juges planqués derrière leur poste de télévision. Dont je faisais partie !
Au nom de quoi refuserait-on de l’entendre ?
Mais quitte à entendre une voix, pourquoi ne pas entendre l’autre ?
Et c’est visiblement là que le bât blesse avec le tribunal médiatique que j’exècre tant.
Comment diable peut-on ne pas vouloir entendre ces hommes ?
Ne peut-on, à l’époque du débat perpétuel, faire l’effort de comprendre la différence entre excuse et explication ?
Pour soigner la violence, ne faut-il pas essayer de la comprendre ?
Ne doit-on pas écouter les causes de la violence pour la combattre ?
Expliquer un contexte, raconter comment un individu a perdu pied et est devenu violent, c’est ce qu’il se passe tous les jours dans les tribunaux. C’est ce que chacun de nous fait, ou ferait, s’il était mis en cause. Expliquer, c’est se défendre. Écouter cette défense, ce n’est pas pardonner. Ni excuser. C’est comprendre.
Mais le tribunal médiatique n’a pas les mêmes règles que les tribunaux judiciaires de notre État de droit. Son rôle n’est pas de comprendre, mais de juger rapidement pour faire de l’audimat et conquérir des parts de marché.
Réinsertion interdite
Pas de présomption d’innocence, pas de pièces, pas de contradiction, aucune nuance.
Quant à la défense, elle n’a droit qu’au silence.
Mais le tribunal médiatique n’aime pas non plus la réinsertion. Il n’aime pas que les condamnés reprennent une vie. Et si en plus c’est leur vie « normale », c’est encore pire. Ça serait une insulte à la victime !
Peut-on avoir un condamné sur les bancs de l’Assemblée nationale ?
Un homme ayant une mention à son casier judiciaire ? Un délinquant ?
Parce que c’est objectivement ce qu’est Adrien Quatennens, reconnu coupable de violences volontaires sur conjoint.
La peine pénale doit-elle s’accompagner d’une exclusion sociale et professionnelle définitive ?
D’une renonciation obligatoire à son mandat alors que le juge pénal n’a pas prononcé d’inéligibilité ?
Doit-on empêcher un condamné de refaire ce qu’il a fait toute sa vie, uniquement car il a été condamné ?
En réalité, il n’y a, en l’espèce, aucune règle qui l’oblige à quoi que ce soit. Adrien Quatennens est face à trois options :
*rester député et être un député condamné pour violences volontaires sur conjoint ; juridiquement, il en a parfaitement le droit.
*Rendre son mandat et se représenter à une nouvelle élection ; dans ce cas-là, ce sont ses électeurs qui décideront.
*Rendre son mandat et quitter la vie politique.
La morale, la politique, la loi pénale…
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le tribunal médiatique qui décide, encore plus lorsque des intérêts politiques et des luttes de pouvoir sont en jeu.
La démocratie est précieuse.
Mais elle va de pair avec un état de droit que nous devons tous respecter.
Adrien Quatennens prendra sa décision, libre aux électeurs que nous sommes, ensuite, de prendre la nôtre. Et il devra s’y plier.
Référence : AJU342473