20e Rencontre des femmes de Seine-Saint-Denis : « Lutter contre un immense continent, celui de la domination masculine »

Publié le 13/12/2024

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L’édition 2024 des Rencontre des femmes de Seine-Saint-Denis a notamment mis en lumière deux études menées par l’Observatoire des violences envers les femmes sur les féminicides commis dans le département, l’une comparative pour mesurer l’amélioration de la prise en charge des féminicides entre 2005 et la période 2018-2023, et une deuxième sur les femmes sauvées grâce au Téléphone Grave Danger.

« Un territoire qui met les mains dans le cambouis ». C’est ainsi que Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, a défini son territoire pour parler de sa détermination à lutter contre les violences faites aux femmes. Il a évoqué des outils audacieux (Téléphone grand danger dit TGD, ordonnance de protection…) ensuite repris au niveau national. Ces rencontres ont été l’occasion pour Ernestine Ronai, à la tête de l’Observatoire des violences envers les femmes, de partager deux études menées afin de mesurer l’évolution de la prise en charge des féminicides. Si entre 2018 et 2023, aucune femme n’a été tuée lors d’un droit de visite (alors que un 2 féminicide sur deux se produit à ce moment précis), et que le TGD a permis de protéger 1 500 personnes en 15 ans, il faut d’urgence instaurer une « culture de protection des victimes » et « lutter contre un immense continent, celui de la domination masculine », a réaffirmé Stéphane Troussel.

Depuis vingt ans, des progrès certains…

Présentée par Abigail Vacher, chargée de projets à l’Observatoire, la première étude se basait sur 27 dossiers, dont 20 féminicides, 6 tentatives de féminicides et 1 tentative de suicide forcé, à la suite d’une étude réalisée en 2019 sur 24 féminicides commis entre 2005 et 2008. Le but ? Mesurer les progrès effectués en 15 ans, tout comme souligner les axes d’amélioration sur le recours au TGD, le protocole féminicide, le décret de 2021 (qui consiste à informer la victime de la sortie de détention d’un auteur) et la pertinence de la mesure d’accompagnement protégé (MAP). Dans la majorité des cas (20/27), les partenaires étaient encore en couple. C’est très souvent la décision d’une séparation qui constitue le catalyseur d’un passage à l’acte. Pour rappel, l’idée du TGD est née après qu’une femme a appelé le 17, sans que les forces de police ne se déplacent. Elle avait été tuée. En 2009, le tribunal de Bobigny autorise l’utilisation du Téléphone Grand Danger pour la première fois, avant une extension à l’échelle nationale du dispositif à partir de 2014. Dès que ce téléphone est activé par sa bénéficiaire, la police se déplace rapidement (en 7 minutes en moyenne) et systématiquement dès l’appel.

Les passations d’enfants constituaient, lors de cette première étude, des moments de très fort risque pour les femmes, puisqu’entre 2005 et 2008, la moitié des féminicides (8/16) étaient commis au cours du droit de visite, « un moment où l’auteur en profitait pour agresser et tuer son ex-femme », précise Abigail Vacher. D’où le dispositif de la MAP créé en 2011. C’est l’association La Sauvegarde 93 qui accompagne désormais les enfants du domicile de la mère à celui du père – bien qu’elle soit saturée de demandes. Cela réduit considérablement le danger pendant les passages puisqu’entre 2018 et 2023, aucun féminicide n’a été commis lors du passage de bras.

Concernant le protocole féminicide, le constat est que la présence des enfants n’empêche pas le passage à l’acte : entre 2005 et 2008, dans 8 situations sur 16, les enfants sont présents lors du féminicide de leur mère, ce qui correspond à 14 enfants présents, dont 4 tués en même temps que leur mère. En 2018-2023, dans 13 situations sur 18, les enfants assistent aux faits, ce qui correspond à 31 enfants présents, dont 5 tués en même temps que leur mère (3 enfants) / tante (2 enfants). Avant l’instauration du protocole féminicide, les enfants étaient placés dans la famille maternelle, voire paternelle, sans évaluation de santé, sans avoir reçu de soins spécialisés en psychotraumatisme. Depuis 2015, 23 enfants ont été pris en charge, avec une équipe médicale dédiée à l’hôpital. Le dispositif rassure tant les professionnels que les familles des enfants.

Le 17 novembre 2021, n’ayant pas été prévenue de la sortie de détention anticipée de son mari, condamné pour violences conjugales, une femme a été tuée à Épinay-sur-Seine. Son meurtre avait bouleversé la communauté judiciaire. En décembre 2021, un décret a vu le jour, qui consiste à « ce que l’autorité judiciaire avise la victime d’infractions commises au sein du couple de la sortie de détention d’une personne poursuivie ou condamnée », pour une « protection renforcée » de la victime.

… mais des améliorations à apporter

Abigail Vacher partage trois axes d’amélioration : d’abord, améliorer le questionnement systématique. Au moins 4 femmes de l’étude étaient connues des services du département comme victimes de violences avant les faits. Par ailleurs, il faut mieux les protéger : entre 2005 et 2008, dans la moitié des situations, il existe des antécédents de violences (plaintes, jugements, mains courantes…). Sur la période 2018-2023, seules 3 femmes sur 20 avaient déposé plainte ou une main courante avant les faits. Aucune ordonnance de protection n’a été recensée dans l’étude, « alors que ce dispositif peut être obtenu sans plainte », rappelle Abigail Vacher. Enfin, il est nécessaire de garantir l’application de la loi du 18 mars 2024 en systématisant le retrait de l’autorité parentale par la juridiction pénale : dans l’étude, le juge aux affaires familiales a ordonné la suspension des droits de visite et d’hébergement dans la totalité des situations connues de féminicide et dans trois situations connues de tentatives de féminicide.

La seconde étude, menée par Abigail Vacher et Magali Moralès, juriste au sein de l’association SOS Victimes 93 et référente du dispositif Téléphone Grave Danger, aborde la question des femmes « sauvées » par le TGD. Le smartphone signale la présence de l’ex-conjoint par géolocalisation, et par un système de téléassistance, enclenche une intervention quasi immédiate des forces de l’ordre. Il y a cependant quatre critères pour rentrer dans le dispositif : consentement de la victime, absence de cohabitation, danger grave caractérisé, interdiction judiciaire d’entrer en contact ou conjoint violent en fuite. L’étude porte sur 197 déclenchements entre 2016 et 2024 et permet de faire trois constats : la « reconnaissance de la grande dangerosité des hommes violents », « l’efficacité du dispositif grâce à l’engagement des partenaires » et une « protection globale et durable ». Dans 77 %, les faits de violence à l’origine du signalement sont des faits de violence physique et des menaces de mort pour 43 % ; la moitié des victimes dénoncent un viol conjugal, sans qu’il y ait nécessairement une plainte. Au sein du dispositif TDG, 98 % des victimes ont déjà porté plainte et 69 % des agresseurs ont des antécédents judiciaires avant l’admission dans le dispositif. En 2018, la majorité des orientations vers SOS Victimes 93, afin de permettre le repérage des situations les plus à risques, passait par le milieu associatif. On note un inversement à partir de 2019 : 68 % des demandes partent désormais de la justice et 25 % de l’associatif, traduisant « une culture de juridiction ».

Quand la victime déclenche-t-elle son TGD ?

Dans 83 % des cas la victime déclenche son TGD quand elle voit l’agresseur, ce qui signifie qu’il viole ses interdictions (contrôle judiciaire ou sursis probatoire…). 7 % des auteurs agressent la victime et la police intervient dans 100 % des cas. Dans le cas d’une agression, 85 % sont interpellés par les forces de l’ordre, immédiatement ou quelques jours plus tard. Dans 30 % des situations, il y a comparution immédiate et condamnation pour le mis en cause ; dans 6 % il y a comparutions immédiates avec condamnation et incarcération. Dans 18 % des cas, on constate un rappel des obligations par le juge d’application des peines et dans 7 % des cas, une révocation du sursis et une nouvelle incarcération. 47 % des victimes sortent du dispositif car la situation s’est améliorée (pas de contact avec l’agresseur depuis plusieurs mois). 17 % ont dû déménager. La durée moyenne de la durée du dispositif est de 1 an et 7 mois.

Du côté SOS Victimes, l’exercice exclusif de l’autorité parentale par la mère a quadruplé au cours de l’admission, et plus de la moitié des droits de visite et d’hébergement ont été réservés. Le suivi psychologique des femmes victimes atteint les 61 %, et 35 % ont été relogées.

Avec presque 5 000 téléphones déployés en 2024, le TGD continue de faire ses preuves et connaît un développement exponentiel sur le territoire français.

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