A Gennevilliers, le cannabis pousse parfois dans la salle de bain

Publié le 01/04/2021

En pénétrant menotté dans le box des prévenus, mercredi 31 mars, Afif espérait faire croire que, sous la menace, il avait servi de « nourrice » aux dealers de sa cité. Mais ses plants de cannabis, ses quinze téléphones, son stock d’ecstasy et ses rouleaux de billets ont anéanti sa défense.

Palais de justice de Nanterre
Palais de justice de Nanterre (Photo : @P. Anquetin)

 « Voici les photographies de la caverne d’Ali Baba », indique la présidente de la 4e chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine), Dominique Marcilhacy. Joignant le geste à la parole, elle tend le dossier à ses assesseurs. Le jeune homme livide, debout devant l’escorte de policiers, accroche son regard à celui de ses parents, assis parmi le public. Pour comparaître, Afif a revêtu un polo hawaïen aux plantations aussi feuillues que du chanvre indien et a dompté ses longs cheveux noirs frisés en queue-de-cheval. Il a 27 ans et déjà huit mentions à son casier judiciaire, dont cinq portées lorsqu’il était encore mineur. Il vit du RSA et des « à-côtés ».

« Les mini-téléphones ? C’était pour la prison de Nanterre »

 Selon Afif, les fameux « à-côtés » se limitent à « des ventes sur les marchés rapportant trois fois rien, 20 à 30 euros aussitôt dépensés ». Leur définition diffère quelque peu si l’on se réfère au procès-verbal de saisie au domicile de sa mère, à Gennevilliers. La présidente  recense les objets trouvés : des plants de cannabis sous lampes de luminothérapie dans la salle de bain, une quantité industrielle de pochons à liserés rouges ou noirs, des flacons, des sachets Zip, 73 grammes d’ecstasy, 86 grammes de haschich, des graines, 19 120 euros dont des liasses en rouleaux cachées dans une boîte à chaussures, neuf cartes SIM et quinze téléphones, dont six de taille miniature.

«J’ai appris que ces tout petits portables sont destinés aux maisons d’arrêt, précise la juge. C’est vrai ? » Afif marmonne : « Les mini-téléphones ? Oui, c’était pour la prison de Nanterre. » Toutefois, il n’endosse pas le rôle du pourvoyeur : « Ils étaient stockés chez ma mère, comme le reste, parce que des gars m’ont forcé à faire la nourrice. »

Ainsi désigne-t-on, dans le jargon des cités, les petites mains du trafic de stupéfiants. Souvent des femmes désargentées, discrètes, suffisamment sensibles aux menaces pour se plier à la loi du silence.

« Satisfait ou remboursé »

 « Vous n’avez guère le profil d’une nourrice », remarque la présidente qui pointe, intriguée, la dizaine de comptes bancaires qu’ont ouverts Afif et sa mère. Les relevés mentionnent plusieurs versements d’allocations : aides au logement, à la famille, à un adulte handicapé, le RSA, « soit de l’argent public. Vous fraudez ? » Le prévenu paraît indigné : « Non ! Je touche le RSA car je suis sans travail à cause du confinement. »

S’ensuit un échange qui n’arrange pas les affaires d’Afif.

«— Le confinement a bon dos. Avez-vous déjà travaillé ?

— Oui, j’ai fait un stage…

— Non, je parle d’un vrai travail, déclaré, avec un contrat.

— Ah ? Non, jamais.

— Vous auriez pu faire la cueillette, l’an dernier, on cherchait des gens.

— Il n’y a pas eu de cueillette, à Gennevilliers… »

Dominique Marcilhacy, qui ne manque pas d’humour, aimerait également qu’on lui explique pourquoi, s’il n’est qu’une nourrice, Afif organisait des « ventes flash » et des « promotions » à destination de clients :

« — Sur votre publicité, je lis : “Ouvert jusqu’à 3 heures le week-end, satisfait ou remboursé”…

— Ce sont les dealers qui font ça, pas moi. »

« Si vous refusiez, le quartier serait moins craignos »

En prison depuis le 3 mars dernier, le jeune homme n’en démord pas. Son frère Walid, que les policiers venaient interpeller avec un mandat d’arrêt – ils ne l’ont pas trouvé mais sont tombés sur « la caverne » –, est comme lui menacé : « On ne peut pas refuser de stocker, sinon, des gens bizarres viennent en bas de chez nous. J’en voyais beaucoup. »

« — Moi, si on m’apporte de la drogue, je la refuse, objecte la juge Lysis Darrot, assesseure.

— Peut-être, mais vous ne vivez pas dans une cité où ça craint…

— Mais si vous refusiez, le quartier serait moins craignos, renchérit son collègue Patrick Girod. Vous pourriez porter plainte !

— Oui, vous avez raison. C’est ce que je ferai la prochaine fois.

— Bon, d’accord, conclut la présidente, vous avez agi sous la contrainte de méchants. On a compris. »

La procureure Karatas est convaincue que « le parfait attirail du trafiquant découvert » au domicile gennevillois caractérise indubitablement les chefs de prévention (transport, détention, offre, cession, acquisition, le tout en récidive légale) : « Vous n’êtes pas crédible ! Je requiers 18 mois de prison assortis du maintien en détention et la confiscation des scellés. »

Le prévenu décide de ne plus regarder les magistrats. Il se tourne à demi vers ses parents, n’offrant plus que la vision de son dos à la greffière.

« Son père peut l’accueillir à Paris pour le sortir de la cité »

Me Maxime Serverian, du barreau de Paris, intervient en défense d’Afif et sa tâche s’est grandement compliquée à l’audience. Il sait que son client a fait mauvaise impression. Alors, pour remonter la pente, il se focalise sur le dossier : « On lui reproche un trafic de septembre 2020 à mars 2021 mais les SMS qui l’incrimineraient datent d’avril dernier ! Nous n’avons aucune facturation détaillée qui prouverait l’offre et la cession de stupéfiants. Pas plus que de preuves de transport. Il ne reconnaît que la détention mais ce n’est pas un trafiquant. Il a un projet de travail, son père peut l’accueillir à Paris pour le sortir de la cité, il a toujours payé ses amendes et respecté les condamnations à des travaux d’intérêt général. Je vous demande à tout le moins un aménagement de peine. »

Le délibéré va durer trente minutes. Afif fixe toujours ses parents quand l’escorte lui repasse les menottes. Les réquisitions de la procureure ont été suivies à la lettre. Le tribunal n’a plus aucune indulgence pour les dealers de la petite couronne parisienne qui empoisonnent l’Île-de-France.

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